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Clientélisme, incompétence et dérive autoritaire : l’inquiétant parcours de la loi Fioraso - Yann Bisiou, blog "Le sup en maintenance", 16 juillet 2014

jeudi 17 juillet 2014, par Mariannick

Avec la loi Fioraso le ministère de l’éducation est pris dans une fuite en avant dangereuse, pas seulement pour l’enseignement supérieur et la recherche mais, au-delà, pour la Démocratie.

Mal née, la loi Fioraso a aussi été mal rédigée. Au final elle ne satisfait ni le monde académique, ni ceux qui l’ont voulue et imposée. Les derniers textes publiés par le ministère comme le document paradoxalement intitulé « contrôle de légalité : grille de lecture des statuts d’une université (ou d’un institut national polytechnique) » diffusé par la DGESIP le 12 juin dernier ou le Décret n°2014-780 du 7 juillet 2014 « relatif à la composition de la formation restreinte du conseil académique » illustrent la tentation du gouvernement de passer en force jusqu’à aller outre et contre la Loi, au mépris des principes qui fondent l’État de Droit.

Le clientélisme qui a présidé à la conception de la loi et l’incompétence qui s’est exprimée dans sa rédaction et son approbation par le Parlement conduisent aujourd’hui le ministère de l’éducation, de l’enseignement supérieur et de la recherche dans une dérive autoritaire préoccupante.

Clientélisme

Alors que le président de la République avait fait campagne sur le thème de la « République exemplaire », dès sa conception, la loi Fioraso était marquée par le clientélisme. Un petit groupe d’enseignants et de chercheurs, d’hommes politiques, de lobbies scientifiques et industriels avait décidé de s’approprier les moyens publics de l’enseignement supérieur et de la recherche. Au cœur du système, le lobby du nucléaire et le Commissariat à l’Energie Atomique dont Mme Fioraso et son mentor, Michel Destot maire déchu de Grenoble, étaient très proches. Le « modèle grenoblois » fait d’une imbrication des intérêts entre milieu politique, économique et scientifique allait s’imposer au bénéfice des grands industriels français du nucléaire, des transports, des communications et de la santé.

Le projet de loi était pensé de longue date, alors que Valérie Pécresse était encore ministre, et son marketing politique bien rôdé. Comme le mot « autonomie » avait permis de vendre la loi LRU, Lionel Collet, Vincent Berger, le « think-tank » « Marc Bloch » ou « Terra Nova » avaient déjà préparé le vocabulaire destiné à légitimer cette appropriation de l’ESR par quelques-uns.

On parlerait « d’université de recherche » ou « d’établissements d’excellence de taille mondiale » pour justifier la concentration des moyens sur quelques disciplines quelques écoles, universités ou organismes dont les porteurs de la loi étaient proches. On parlerait « d’innovation » pour transférer sur le secteur public et l’impôt le financement de l’investissement privé, accroître les marges des lobbies industriels et répondre aux besoins des laboratoires qui en dépendent. 0n parlerait de « mikado » et de « simplification » pour légitimer les processus de fusion des établissements d’enseignement supérieur et leur régionalisation sous la coupe d’exécutifs majoritairement socialistes. On parlerait de « réussite des étudiants » pour réduire l’offre de formation publique et on ressortirait le concept « d’autonomie » pour justifier le sous-financement de l’enseignement supérieur et de la recherche publique. Pour emballer le tout, les mêmes organisaient une grand messe, les Assises de l’Enseignement Supérieur veillant à en contrôler tous les rouages, toutes les étapes, de l’organisation et du choix des intervenants jusqu’à la rédaction du rapport confiée à Vincent Berger, l’actuel conseiller enseignement supérieur et recherche du président de la République.

Incompétence

Mais, et c’était aussi inattendu, la détermination de quelques-uns se doublait d’une incompétence rare. Incompétence stratégique d’abord : les assises ne permettaient pas d’aboutir aux conclusions prévues. Le « modèle américain » ou le « modèle allemand » montraient leurs faiblesses et ne parvenaient pas à convaincre. Le « Sénat académique » et le « Board of Trustees » avaient du plomb dans l’aile. Le processus de légitimation ne fonctionnait pas et il faudrait passer outre la volonté générale pour imposer le modèle tant souhaité.

On vit alors le mépris affiché pour la communauté académique. Persuadé d’avoir raison seul contre tous, le groupe qui pilotait les Assises en tira des recommandations qui avaient peu à voir avec les discussions.

Incompétence technique ensuite. Le Droit est un art méticuleux. Il nécessite un savoir-faire, une certaine maitrise de la langue et de la syntaxe, de la patience, le temps de la relecture et de la confrontation des idées. Autant de qualités qui font défaut au petit groupe qui gravite autour de François Hollande. Peu importe. Il fallait aller vite, mettre au pas le monde académique et servir les lobbies impatients. Alors que les « Affaires », Servier, Cahuzac, etc… mettaient en lumière l’exigence de transparence d’une majorité de français, il fallait légaliser les conflits d’intérêt dans la recherche en permettant aux chercheurs du public de pantoufler dans le privé. Il fallait que le CEA, voire les industriels du secteur privé puissent participer au recrutement des enseignants-chercheurs, il fallait que les présidents de régions socialistes puissent mettre la main sur les universités.

La loi Fioraso était bâclée. On supprimait le droit de veto du président dans un article, mais on le laissait subsister dans un autre. On retirait à l’AERES ses compétences, mais on lui laissait postes et crédits devenus inutiles et sans objet. Certaines erreurs étaient énormes, comme le fait de se tromper sur les règles applicables aux COMUEs - titre « VI » au lieu de « VII » du code de l’éducation - qui laisse ce fleuron de la loi Fioraso sans cadre légal de référence. Les députés et sénateurs socialistes transformés en parlementaires godillots furent incapables de jouer leur rôle normatif.

À peine quelques semaines furent nécessaires pour réaliser l’ampleur considérable des malfaçons. La raison aurait du l’emporter, le gouvernement aurait du comprendre l’impasse dans laquelle sa précipitation le conduisait, le risque qu’il faisait courir à la démocratie. Ce fut tout le contraire. Au lieu de renoncer devant une loi inadaptée, le gouvernement s’enferra.

Dérive autoritaire

La loi devait leur donner les moyens de parvenir à leurs fins, mal ficelée elle s’avérait pour une grande part inutile ? Et bien le gouvernement se passerait de la loi, ou plutôt il passerait outre la loi qu’il avait fait voter.

La première mesure fut timide et pris la forme d’un cavalier introduit par amendement dans la loi sur l’agriculture et la forêt. Il s’agissait en urgence de sauver les COMUEs et en particulier celle de Saclay. Le procédé était osé et peu légal, mais au moins les formes étaient mises : la loi modifiait la loi.

Cela ne suffisait pas, alors le gouvernement s’est dispensé d’appliquer la loi, d’abord de façon insidieuse en comptant sur la confiance que lui faisaient les universités. C’est l’objet de cette fameuse « grille » de « contrôle de légalité » des statuts des universités diffusée au mois de juin. Au lieu de veiller au strict respect de la loi par les universités, la DGESIP invente de nouvelles obligations ou modifie celles prévues par la loi… en toute illégalité. Nous en donnerons ici deux exemples.

Le premier exemple concerne les pouvoirs du conseil académique. Depuis la loi Fioraso, l’article L. 712-6-1, V du code de l’éducation précise « Les décisions du conseil académique comportant une incidence financière sont soumises à approbation du conseil d’administration ». Alors que ces dispositions sont claires et précises, le guide du contrôle de légalité de la DGESIP affirme, au contraire, que « les décisions individuelles relatives au recrutement, à l’affectation et à la promotion des enseignants-chercheurs ne constituent pas des décisions ayant une incidence financière au sens de l’article L. 712-6-1 ».

Une telle interprétation est manifestement fausse et contraire à la loi. Le coût d’un recrutement n’est pas le même selon que les candidats classés sont de jeunes collègues titulaires de l’agrégation du supérieur ou tout juste qualifiés par le CNU ou des collègues déjà chevronnés qui arrivent en mutation, avec plusieurs années d’ancienneté et, pourquoi pas, un IUF Senior.

Je ne sais pas si soumettre la décision de recrutement au conseil d’administration pour qu’il évalue sa soutenabilité financière est une bonne ou une mauvaise proposition, mais je suis certain que l’interprétation de la DGESIP est de pure opportunité et manifestement contraire à la loi. Pourtant les universités sont priées d’obtempérer et les recteurs de faire appliquer ces dispositions illégales.

Le deuxième exemple concerne l’élection du Vice-président Etudiant, un enjeu symbolique, notamment pour l’UNEF si présente dans le cabinet de Mme Fioraso. La « grille » de la DGESIP affirme : « Le vice-président étudiant du conseil académique est élu par le conseil académique plénier ». Encore une fois ce n’est pas ce que dit la loi ! L’article L.712-4 du code de l’éducation dispose : « Les statuts de l’université prévoient les modalités de désignation … de son vice-président étudiant ». Ce sont donc aux universités de décider, dans leurs statuts, des modalités d’élections du VP étudiant en toute liberté. Elles peuvent choisir de le faire élire par le conseil d’administration, par les deux conseils ou, au contraire, seulement par la commission recherche ou la commission formation du conseil académique. La DGESIP retire ainsi aux universités un pouvoir que la loi leur a donné et impose par un simple courrier une interprétation contraire à la lettre de la loi. C’est ça l’autonomie !

Cette dérive autoritaire où le pouvoir exécutif s’arroge les compétences du pouvoir législatif atteint, provisoirement, son paroxysme avec le décret n°2014-780 du 7 juillet 2014. Le IV de l’article L712-6-1 déjà cité dispose : « Lorsqu’il examine en formation restreinte des questions individuelles relatives aux enseignants-chercheurs, autres que les professeurs des universités, [Le conseil académique] est composé à parité d’hommes et de femmes et à parité de représentants des professeurs des universités et des autres enseignants-chercheurs, dans des conditions précisées par décret ».

Et bien le décret du 7 juillet 2014 censé permettre l’application de cette double parité, de sexe et de grade, commence par cette formule incroyable : « Lorsque la composition de la formation restreinte du conseil académique de l’université ne permet pas le respect des dispositions du IV de l’article L. 712-6-1 du code de l’éducation, le président du conseil académique choisit parmi les membres élus de cette formation ceux appelés à constituer la formation restreinte compétente pour examiner les questions individuelles relatives aux enseignants-chercheurs autres que les professeurs des universités. ». Voici donc un texte d’application de la loi rédigé par le pouvoir exécutif qui commence par nous dire que la loi n’est pas applicable et que l’on fera autrement !

Une nouvelle fois, la question n’est pas de savoir si la solution du gouvernement est pire, ou meilleure, que la solution du Parlement. Ce qui choque dans cette succession de textes de la DGESIP et du ministère de l’éducation c’est la conséquence d’une loi de circonstance, faite dans l’urgence pour satisfaire l’intérêt de quelques-uns et qui, finalement, ridiculise le Parlement et conduit le Gouvernement à bafouer le principe de séparation des pouvoirs et les fondements de l’État de Droit en France.

Quant aux universités, les voici de nouveau en difficultés, obligées de choisir entre le respect de décisions illégales pour éviter une confrontation avec les recteurs et le gouvernement et un risque d’annulation de leurs décisions. Les candidats malheureux sur les postes ouverts au recrutement l’année prochaine auront en effet tout loisir de faire annuler les concours puisque les instances saisies ne seront pas celles que la loi avait prévu.

À lire ici.