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Sélection : il y a du tirage à l’université - Véronique Soulé, Libération, 15 juillet 2014

dimanche 27 juillet 2014, par Elisabeth Báthory

Mêlant affluence de bacheliers et baisses budgétaires, les facs, qui ne peuvent choisir sur dossier, en viennent à tirer au sort les candidats. Un système décrié, mais qui reste légal.

A lire sur le site de Libération.

Imaginons : vous êtes passionnée de science politique. Parisienne, vous avez demandé la licence de Paris-I. Mais il y a énormément de demandes, et vous n’avez pas été tirée au sort. Vous aurez certainement plus de chances à Angers… Ou alors, vous pouvez vous inscrire en droit et tenter de passer en science politique en deuxième année, sur dossier.

Sportive, vous habitez Bordeaux et rêvez de devenir coach en entreprise. Mais vous n’êtes pas prise en première année de Staps (sciences et techniques des activités physiques et sportives) à Bordeaux. La licence n’a que 150 places. Et vous n’avez pas été tirée au sort… Vous pouvez vous rabattre sur l’université de Pau, qui en a 240. Il va falloir déménager.

Les licences « à capacité limitée », affichant un nombre maximum de places en première année, se sont multipliées ces derniers temps. Et avec elles, leur corollaire : le tirage au sort des candidats à ces formations trop prisées, confié au serveur Admission Post-Bac (APB). Une pratique bizarre et discutable, qui renvoie à une équation très française : l’université doit accueillir tous les bacheliers qui le demandent avec interdiction de sélectionner, mais sans que l’Etat n’augmente les moyens alloués en proportion, et l’injonction de diminuer l’échec en première année ainsi que l’obligation de mieux insérer les étudiants professionnellement.

Tout a commencé avec l’éducation physique

Si l’on excepte la médecine - la Pages, première année commune aux études de santé - qui a depuis longtemps des plafonds d’effectifs, les licences « à capacité d’accueil limitée » avec tirage au sort ont pris leur essor il y a six ou sept ans dans la filière Staps (lire ci-contre), devenue très en vogue. Le nombre de candidats a explosé. Or, les équipements ne sont pas extensibles et les mesures de sécurité sont strictes. Inquiètes devant un tel afflux, les universités ont commencé à demander aux rectorats de fixer des limites maximales d’étudiants dans les filières trop demandées. Le recteur transmet alors le chiffre aux ingénieurs du serveur APB. Une fois les vœux des étudiants connus, le logiciel tourne, en respectant certains critères : les demandes issues de l’académie et les premiers vœux sont servis en premier. S’il reste encore des places, le tirage au sort intervient.

Certaines universités préfèrent les bonnes vieilles méthodes : elles ouvrent les inscriptions trois jours. Premier arrivé, premier servi. D’autres le refusent au nom d’une priorité académique. « Nous avons rejeté cette pratique, explique Wolfgang Sabler, de l’université de Picardie. Face à un afflux, nous préférons organiser de nouveaux groupes. Car la priorité dans l’académie est d’augmenter le nombre de bacheliers poursuivant dans le supérieur. »

Une ampleur difficile à mesurer

L’an dernier, 25 des 50 licences de Staps affichaient des capacités limitées, selon Didier Delignières, en charge de la licence à Montpellier-I. Mais les situations sont très variables. Bordeaux ne proposant que 150 places, les candidats risquent fort de jouer leur avenir à la roulette. Avec 650 places, Montpellier leur laisse beaucoup plus de chances.

Récemment les associations d’enseignants-chercheurs de science politique ont protesté contre le tirage au sort pour entrer dans leur licence. Une pratique à laquelle ils ont dû se résigner à contrecœur, faute de moyens pour répondre à la demande. Les autres filières touchées sont très diverses - éco-gestion, langues étrangères appliquées, arts du spectacle, information-communication, psychologie, etc., ainsi que des parcours spécifiques à l’intérieur d’une licence.

Il y a aussi un phénomène de propagation. Dès lors qu’une université fixe des capacités maximales à une licence, les autres facs ressentent la pression des candidats recalés. Et sont incitées à adopter, à leur tour, des plafonds. C’est ce qui est arrivé à Montpellier-III, qui en instaure dans six licences à la rentrée. « En cinéma, explique sa présidente, Anne Fraïsse, Bordeaux ne prend que 60 étudiants. Du coup, l’an dernier, nous en avons accueilli une centaine supplémentaire, dépassant les 600. Et notre taux de réussite s’est effondré, à 30% en première année. »

Un problème de « fluctuations » selon le ministère

« Il faut le reconnaître : le système ne sait pas répondre à des fluctuations d’étudiants pouvant aller jusqu’à 10% dans certaines formations », explique-t-on au ministère de l’Enseignement supérieur. Mais on se veut rassurant, arguant du fait, qu’au finale, chacun trouve sa place, avec une pointe de fatalisme : « Ce choix aléatoire est gênant, mais dans le cadre de la loi qui interdit la sélection, les juges ont tranché : seul le tirage au sort est légal. » A l’avenir, alors que certains réclament des critères pour départager les candidats, les choses ne devraient pas évoluer : « Ce type de débat n’est pas à l’ordre du jour. » En clair, le gouvernement n’a aucune envie de s’attaquer à un sujet tabou, une ligne rouge pour les principales organisations étudiantes.

Un problème financier selon les universités

Pour les universitaires, l’Etat leur demande toujours plus, mais sans accorder davantage de moyens. Et ces licences surchargées avec tirage au sort ne sont que l’illustration de l’absence de vision et de choix sur l’enseignement supérieur : alors que la France vise 50% de diplômés, quel rôle veut-on faire jouer à l’université, minée par les déficits depuis l’autonomie ?

« Le système est arrivé à ses limites, estime Anne Fraïsse, il faut regarder les vrais problèmes et cesser d’utiliser l’université pour masquer le chômage, avec des étudiants qui ne viennent pas pour étudier mais pour avoir la sécurité sociale. Il faudrait parler aussi de l’inadéquation de certains bacs. J’ai vu un bac pro Métiers du froid s’inscrire en LEA anglais-espagnol. Il a zéro de chance de réussite, mais nous n’avons rien à dire. »

Une sélection déguisée pour les étudiants

« Mettre des capacités limitées peut se justifier, mais on se demande aussi parfois si ce n’est pas de la sélection déguisée », explique Julien Blanchet, le président de la Fage, seconde fédération étudiante. Si l’on ajoute les licences sélectives, qui recrutent sur dossier et portent souvent sur des doubles diplômes exigeant des niveaux de langues étrangères, il estime que plus de la moitié des formations sont touchées par des formes insidieuses de sélection. Il prône à la place une meilleure orientation des bacheliers, mais sans toucher à sa sacro-sainte liberté de choisir.