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Vallaud-Belkacem fait disparaître les non-remplacements de profs - Amélie Mougey, Libération, 24 octobre 2014

vendredi 24 octobre 2014, par Louise Michel

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DÉSINTOX La ministre de l’Education nationale assure que tous les enseignants absents sont remplacés. On en est encore très loin.

INTOX. Des postulants au Capes (Certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement du second degré) en nombre insuffisant, un démarchage téléphonique pour dénicher des bac+4 prêts à enseigner, des contractuels recrutés dans l’urgence et non payés depuis la rentrée : ces dernières semaines, les signes trahissant les difficultés rencontrées par la Seine-Saint-Denis pour recruter des enseignants se sont multipliés.

Reçue début octobre par le Bondy Blog Café, Najat Vallaud-Belkacem a dû s’en expliquer. Interpellée sur le non-remplacement chronique des professeurs absents dans le 93, la ministre de l’Education nationale a rejeté la faute sur la majorité précédente. « L’éducation est un temps long, quand la droite a supprimé 80 000 postes, elle a commencé par supprimer ceux qui ne se voyaient pas, ( …) les postes de remplaçants, les postes de Rased, ces adultes qui accompagnaient les élèves les plus en difficultés. Ce qui fait que tout ça ne s’est pas vu immédiatement. » Mais, à en croire la ministre, la gauche aurait repris les rênes depuis son arrivée au pouvoir : « Je vous assure qu’en Seine-Saint-Denis comme ailleurs, nous veillons à ce que tous les enseignants absents soient remplacés. » A peine concède-t-elle quelques exceptions. « Vous allez toujours me trouver un cas où ce n’est pas le cas… », se défend-elle déjà.

DÉSINTOX. Après plusieurs années de pénurie sévère des enseignants remplaçants, fruit des réductions de postes voulues par la droite, l’éducation nationale ne laisserait désormais plus aucun élève sur le pavé. La thèse de Najat Vallaud-Belkacem ne fonctionne qu’à moitié.

Sur les racines du problème, la ministre de l’Education nationale tape juste : la mise en accusation de ses prédécesseurs est fondée. Entre 2007 et 2012, la suppression de 80 000 postes d’enseignants a en effet ébranlé la gestion des absences de professeurs. Et comme l’affirme la ministre, cette mesure d’économies a frappé en premier lieu les Réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté (Rased) et les enseignants remplaçants, « les postes les moins visibles pour les parents », confirme Frédérique Rolet, porte-parole du Snes-FSU, le syndicat majoritaire des enseignants de collèges et lycées.

Au total, pendant le quinquennat de Nicolas Sarkozy, ce sont quelque 2 500 postes de remplaçants qui ont disparu à l’école primaire. Dans le même temps, le nombre de titulaires sur zone de remplacement (TZR) passait de 41 486 à 28 457 dans le second degré. « La situation était telle que les congés maternité, pourtant très prévisibles, n’étaient pas remplacés , se souvient Frédérique Rolet.

En promettant de recréer 60 000 postes d’enseignants, François Hollande a stoppé cette hémorragie. Mais sa ministre de l’Education pèche par optimisme. Car contrairement à ce que Najat Vallaud-Belkacem suggère, le vivier de remplaçants n’a pas été reconstitué. De fait, sur les 2 541 postes supprimés dans le primaire, le SNUIpp, syndicat majoritaire des professeurs des écoles, estime que seuls 500 ont été recréés sur les trois dernières rentrées. « Les créations de postes ne correspondent pas toujours aux besoins et nous souffrons toujours », commente Sébastien Sihr, secrétaire général du syndicat. Résultat : sur l’année scolaire 2012-2013, les écoliers ont encore perdu l’équivalent de 659 293 journées de cours, indique un rapport de la Direction générale de l’éducation scolaire (DGesco) relayé par Le Parisien.

Quel que soit le niveau, le manque de personnel de « réserve » reste criant. Au collège et au lycée, Frédérique Rolet estime que le nombre de TZR avoisine désormais les 20 000. Un chiffre que la présidente du syndicat majoritaire du secondaire estime suffisant… à condition que ces effectifs soient réellement dédiés au remplacement. Ce qui est loin d’être le cas. « Dans les faits, les deux tiers des TZR sont affectés dans un établissement à l’année où ils occupent un poste de permanent », assure la présidenta du syndicat. Pour pallier ces 13 000 TZR manquants, les académies ont donc recours à des contractuels, détenteurs au minimum d’une licence. Mais pour certaines disciplines particulièrement touchées par la crise du recrutement, ces renforts ne sont pas encore suffisants. C’est le cas par exemple en maths ou en lettres classiques où, au Capes 2014, respectivement 33% et 17% des postes n’ont pas été pourvus, contre 12% pour l’ensemble des matières.

Situation critique dans le 93

A ces écarts s’ajoutent de très fortes disparités entre les territoires. « On observe une corrélation très forte entre la croissance démographique et les capacités de remplacements. Quand un établissement gagne des élèves, les créations de postes servent à ouvrir des classes et non à constituer un vivier de remplaçants, explique Sébastien Sihr. C’est flagrant dans les académies d’Aix-Marseille ou de Créteil. » De fait, quoi qu’en dise Najat Vallaud-Belkacem, la situation est loin d’être en Seine-Saint-Denis « comme ailleurs ». Avec le Nord, ce département compte la plus grosse part de contractuels dans ses équipes, selon les estimations non chiffrées des syndicats d’enseignants. Ce qui n’empêche pas le 93 de manquer encore de remplaçants : Pôle Emploi a même lancé cette année sa première opération de « phoning » pour des contractuels de l’enseignement. Une procédure qui doit permettre de recruter 300 personnes à l’échelle du département…

Cet effectif correspond aux besoins estimés par la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE), les premiers à avoir alerté sur la situation. Depuis cinq ans, le site de cette fédération nationale est équipé d’un logiciel baptisé « OUYAPASCOURS » permettant aux parents de recenser les heures manquantes. Sur la Seine-Saint-Denis, le résultat est édifiant : sur l’ensemble de sa scolarité, un élève du département perdrait entre six mois et un an de classe. Et à en croire Rodrigo Arenas, le président de la FCPE 93, « le nombre d’absences non remplacées signalées par les parents n’a pas décru ces dernières années ». Najat Vallaud-Belkacem a encore quelques efforts à faire pour que sa promesse devienne réalité.

Amélie MOUGEY