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Nouvelle filière pour les bacs pro : relégation ou tremplin ? - Céline Authemayou & Isabelle Dautresme, EducPros, 19 décembre 2014
mardi 23 décembre 2014, par
Créer une filière professionnelle dans l’enseignement supérieur, destinée aux bacheliers professionnels. Geneviève Fioraso a annoncé les contours de cette réforme à venir en missionnant, vendredi 19 décembre 2014, Christian Lerminiaux pour réfléchir au sujet. Un projet qui provoque des réactions mitigées, nourries par l’inquiétude de voir se dessiner une "voie de garage".
A lire sur le site EducPros.
Geneviève Fioraso a annoncé une nouvelle mesure pour répondre à l’échec massif des bacheliers professionnels dans l’enseignement supérieur : créer une filière spécialement pour eux. La loi de juillet 2013 avait déjà institué une orientation prioritaire des bacs pro vers le BTS (brevet de technicien supérieur), via des quotas. Mais arguant du fait que ces formations ne peuvent répondre à l’afflux des bacheliers professionnels, le ministère souhaite désormais passer à la vitesse supérieure, avec cette autre méthode.
Un sujet crucial alors que de plus en plus de lycéens choisissent le bac pro, et décident ensuite, pour moitié, de poursuivre des études. "Malheureusement chaque année, sur les 18.000 bacs pro qui rejoignent l’université, seuls 3 % franchissent le cap de la première année, rappelle Geneviève Fioraso. Il y a une véritable injustice sociale, lorsqu’on sait que la majorité de ces bacheliers sont issus de milieu modeste voire très modeste."
Vers Une filière courte, en alternance
Christian Lerminiaux, ancien président de la Cdefi (Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs) et administrateur provisoire de Chimie ParisTech, va mener ce vaste chantier, dont la réussite est basée en partie sur un changement de paradigme.
"Dans un contexte de forte concurrence internationale, les industries et les services ont besoin de compétences professionnelles, et le niveau bac ne suffit plus. Il faut une filière permettant d’avoir un bac+2 ou un bac+3 et pour cela, changer les états d’esprit, estime-t-il. Le choix de ces cursus doit être dicté par une conviction et non par l’échec. Je crois que nous aurons réussi notre mission lorsque des bacs généraux s’engageront dans ces voies professionnelles."
Son équipe a jusqu’au mois de juin 2015 pour rendre son rapport définitif, après un point d’étape attendu en mars. À l’heure actuelle, le nouveau cursus n’a pas de nom. Quant à sa durée, tout reste à déterminer. Pour accueillir cette nouvelle voie de formation, Geneviève Fioraso évoque les universités, mais aussi les écoles d’ingénieurs ou les lycées. La voie de l’alternance sera privilégiée. Quant au contenu du cursus, rien n’est encore arrêté.
"Ce qui est sûr, c’est qu’il faut être cohérent avec le système LMD (Licence Master Doctorat), note Christian Lerminiaux. Il faut pouvoir s’appuyer sur ce qui existe déjà pour ne pas complexifier le système. Grâce à des passerelles, la poursuite d’études vers un bac+5 voire un bac+8 sera possible car cette filière ne doit pas être une fin en soi."
Les industries et les services ont besoin de compétences professionnelles, et le niveau bac ne suffit plus (C.Lerminiaux)
La crainte d’une voie de garage
Sophie Orange, maître de conférences en sociologie à l’université de Nantes, voit surtout dans cette filière une nouvelle voie de relégation pour les bacheliers professionnels. "Cela risque d’enfermer encore plus ces lycéens qui n’ont pas nécessairement choisi leur formation et renforcer leur sentiment d’un destin scellé." Pour elle, "ce dispositif a surtout vocation à atteindre, de façon artificielle, l’objectif de 50 % d’une classe d’âge diplômée de l’enseignement supérieur."
"Il ne serait pas acceptable de faire de ces formations une ’voie de garage’ pour les bacheliers professionnels", interpelle également l’Unef, qui estime qu’une forte intégration de ces futures sections dans les universités et un cadrage national de la formation devront "garantir aux étudiants un haut niveau de qualification qui permet leur insertion professionnelle ainsi que la poursuite d’étude en licence et en master."
Pour Nathalie Schuhmacher, professeur de BTS au lycée Jules-Uhry à Creil (60), une nouvelle filière n’est pas la réponse au problème. "N’y a-t-il pas un risque de doublon avec les BTS existants ? Ne vaudrait-il pas mieux envisager des BTS en trois ans ?", interroge-t-elle.
Selon La Fage justement, la volonté de créer une nouvelle filière est "l’aveu de l’échec" de la priorité donnée aux bacheliers professionnels en BTS.
Un financement à la clé ?
Et quid du financement ? "Nous n’avons pas regardé cela en détail, concède Christian Lerminiaux. Mais je ne suis pas très inquiet : si la filière répond aux demandes du secteur professionnel, on trouvera les fonds."
L’Unef a, d’ores et déjà, fait part de son inquiétude sur ce point. Le syndicat, qui estime à 40.000 le nombre d’étudiants concernés par ce cursus, fait ses calculs. "En partant du principe que le financement sera proche de celui des filières professionnelles actuelles, soit environ 13.500 € par an et par étudiant, cela représente un investissement total de plus de 500 millions d’euros. L’annonce de la secrétaire d’État est donc une raison supplémentaire pour revoir le financement des universités et en finir avec l’austérité budgétaire."
Après une année d’expérimentation prévue pour 2015-2016, le ministère entend généraliser cette offre dès 2016, avec la volonté clairement affichée "d’aller très vite".
Aller plus loin Le communiqué de l’Unef Le communiqué de la Fage (pdf)
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