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"Sur la masterisation des concours de recrutement des enseignants", par Alexis Grélois pour SLU
23 octobre 2008
samedi 25 octobre 2008, par
Le projet de masterisation des concours de recrutement des enseignants du premier et du second degré présenté le 13 octobre 2008 est censé répondre aux difficultés rencontrées par les jeunes collègues (malgré la mise en place des IUFM il y a 17 ans), tout en répondant favorablement à de vieilles revendications syndicales :
— sanctionner la formation en IUFM par un diplôme, le master,
— amener de ce fait les professeurs des écoles et les titulaires du CAPES à un degré de qualification (Bac+5 au lieu de Bac+3) et de rémunération supérieur,
— améliorer la formation des enseignants grâce à l’allongement de leurs études.
Il faut d’emblée tordre le cou à ces contrevérités :
1. Les professeurs des écoles et du second degré suivent déjà au moins 5 années d’études et de formation avant d’être titularisés. Il n’y a donc aucun allongement réel.
2. Le projet prévoit la suppression de l’année de stage ; les jeunes recrutés enseigneront donc à plein temps dès leur première rentrée, sans autre formation qu’un stage limité en 2e semestre de M2 et sans autre soutien qu’un vague « compagnonnage ». On imagine déjà leur désarroi, comme celui de leurs élèves… L’idée d’un complément de formation apporté dans la première (T1) voire la deuxième année (T2) suivant le recrutement (avant la titularisation) est souvent avancée dans les IUFM, mais elle n’apparaît pas précisément dans les documents officiels. Dans tous les cas, cette formation s’ajouterait à un service d’enseignement complet. Pauvres jeunes enseignants qui devront préparer leurs cours, les assurer, corriger leurs copies avant d’aller effectuer une deuxième journée comme étudiants !
3. La revalorisation des traitements annoncée ne concerne que les débuts de carrière et n’a jamais fait l’objet d’un chiffrage précis. De plus, les étudiants devront attendre une année de plus avant d’être payés puisque l’année de stage disparaît, ce qui accroîtra les inégalités sociales (c’est peut-être pourquoi le ministère prévoit de manière bien peu républicaine qu’« en cas de difficultés de constitution d’un vivier d’étudiants de masters pour les collectivités et départements d’outre-mer, un examen spécifique sera envisagé » — l’emploi du terme « examen » au lieu de concours mérite d’être souligné). Enfin, on exigera des enseignants à 60/65 ans 42 annuités de traitement pour leur accorder une retraite à taux plein, ce que peu atteindront étant donné l’âge assez élevé des recrutés actuels. On voit donc que le gouvernement entend reprendre d’une main bien plus que ce qu’il semble généreusement accorder de l’autre.
Devant tant de mensonges, on ne s’étonne pas des absurdités contenues dans le projet ministériel :
— un calendrier de recrutement (épreuves d’admissibilité en janvier, d’admission en juin) qui réduit le M2 à un semestre de bachotage et un autre de stage, donc totalement incompatible avec un master recherche ;
— fondre master et préparation aux concours revient à marier la carpe et le lapin (l’expérience de certaines universités montre d’ailleurs que les étudiants ne parviennent pas à mener de front la préparation d’un concours et un travail de recherche) ;
— réduit à deux interrogations — l’une didactique (délirante, car comment un jeune sans expérience pourrait-il improviser un cours pour plusieurs niveaux), l’autre portant sur la « connaissance du système éducatif » —, l’oral ne laissera plus de place aux disciplines : on pourra ainsi être professeur de langue ou de musique sans avoir démontré sa capacité à s’exprimer correctement en anglais ou en italien ou à jouer d’un instrument !
— Enfin, alors qu’il s’agit officiellement d’élever le niveau de qualification des futurs enseignants, il est précisé tout aussi officiellement que le niveau d’exigence des futurs concours sera celui de la 3e année de licence !
— De même, les programmes des CAPES seront désormais ceux des collèges et des lycées, mais on ne s’est pas avisé que les questions enseignées en BTS et en classes préparatoires pouvaient varier.
Mais ces absurdités n’en sont pas. Pour le comprendre, il suffit d’analyser en profondeur les motivations profondes de cette réforme pour en comprendre la logique redoutable.
1. Cette réforme s’inscrit d’abord dans une politique budgétaire, qui fait de la suppression de postes dans la fonction publique la seule variable d’ajustement du gouvernement. De 2002 à 2012, 140.000 postes devraient avoir disparu dans l’Éducation nationale, dont 35.000 entre 2007 et 2009. Or la seule suppression de l’année de stage en IUFM permettra d’économiser 15.000 postes. Pour éviter que la situation ne tourne au chaos, le ministère multiplie les expédients :
— La réforme des lycées annoncée par X. Darcos permettra de faire d’innombrables économies, notamment avec la réduction du volume horaire de cours pour les élèves (975 heures au lieu de 1100 en seconde) ; de plus, la modularisation rendra la plupart des matières optionnelles (y compris les mathématiques et l’histoire–géographie) et permettra de délivrer aux élèves des enseignements en fonction ni d’un programme national, ni de leurs attentes, mais des disponibilités locales en enseignants, rendus encore plus flexibles par la bivalence (avec une réduction probable du nombre de CAPES, actuellement 22, au moyen de fusions entre disciplines). On verra donc se renforcer un système éducatif à plusieurs vitesses, alors que V. Pécresse prétend amener 50% d’une classe d’âge au niveau licence.
— La réforme du CAPE et du CAPES est indissociable de cette politique : elle permettra de faire entrer dans les classes à la rentrée 2010 deux cohortes de nouveaux enseignants, recrutées en 2009 et en 2010 (encore qu’il soit désormais question que les enseignants recrutés en 2009 soient employés à plein temps dès leur première rentrée). Par ailleurs, on ne peut qu’être troublé par le fait que la semestrialisation du lycée ait été annoncée après le lancement de la réforme du CAPES : ne va-t-on pas faire assurer une partie des cours du 2e semestre par les stagiaires (non rémunérés) en M2 ?
Ainsi serait ouverte une brèche de plus dans les statuts de la fonction publique. Ce ne serait pas étonnant, car la masterisation de la formation des enseignants est en fait une arme de destruction massive dirigée contre les fonctionnaires.
En effet, les directeurs d’IUFM et le gouvernement ont prévenu depuis longtemps que les masters seraient délivrés non seulement aux étudiants admis aux concours de recrutement de la fonction publique, mais aussi à d’autres ayant échoué au concours mais dont le niveau aux « partiels » correspondrait aux attentes des formateurs. Apparaîtra donc une nouvelle catégorie, les « reçus–collés » (reçus au master, collés au concours) qui, contrairement aux anciens maîtres-auxiliaires, aura reçu une forme de certification pédagogique.
On verra donc grossir considérablement le volant d’enseignants précaires, disponibles pour occuper des emplois de contractuels, recrutés en CDD de 10 mois pour effectuer 24 h de cours hebdomadaires, ou de vacataires, chassés des établissements sans droit au chômage après avoir effectué 200 h d’enseignement. Ces professeurs précaires seront recrutés directement par les établissements, dont les proviseurs et les principaux verront leurs prérogatives étendues, comme la loi LRU l’a fait pour les présidents d’université.
Dans ces conditions, le maintien de fonctionnaires dans l’Éducation nationale apparaîtra comme une anomalie à laquelle il sera facile de mettre fin, comme ce fut déjà le cas à La Poste ou à France Télécom, mais aussi dans les établissements d’enseignement de la plupart des pays d’Europe. Une mesure transitoire sera de faire basculer les nouveaux enseignants dans la fonction publique territoriale, sans garantie de poste, ce que semble annoncer le projet soutenu par la CPU de régionaliser les concours de recrutement (officiellement pour répondre au souhait des jeunes recrutés de rester dans leur région d’origine).
On ne saurait donc trop insister sur le fait que la réforme des lycées et la masterisation des concours sont liées et préparent le démantèlement de l’enseignement public en France. Les universitaires ne doivent pas croire qu’ils seront épargnés.
Faisant suite à l’intégration des IUFM aux universités, la masterisation ressemble à un processus de fusion–acquisition, avec son cortège de suppressions de services et d’emplois :
— La concurrence entre masters professionnels « enseignement » et masters recherche risque fort de se traduire par une désertion des seconds au profit des premiers. La création annoncée ici et là de licence « Professeur des écoles » aura des conséquences semblables dans le premier cycle.
— Il sera donc possible de fermer de nombreuses formations (licences et surtout masters) ainsi que des écoles doctorales, surtout dans les universités petites et moyennes. C’est ainsi que la masterisation permettra de redessiner la carte universitaire selon les désirs du ministère, avec 10 ou 12 universités de renommée mondiale (au moins en raison de leur taille) et plusieurs dizaines de collèges universitaires, se contentant de délivrer des licences pluridisciplinaires et des masters « professionnels », où les enseignants–chercheurs seront progressivement remplacés par des professeurs agrégés (PRAG), puisque ces derniers seront désormais destinés à enseigner en licence.
— Ces phénomènes seront renforcés par la mise en place de masters « enseignement » académiques, dans le but de contraindre les universités d’une même Académie à mutualiser leurs formations, mesure présentée par un directeur d’IUFM comme une « économie d’argent et d’intelligence », ce qui résume en fait tout l’esprit des réformes actuelles.
2. En effet, comme bien souvent, l’argument budgétaire sert de justification à une attaque généralisée contre la connaissance et ses modes de transmission. On pouvait s’y attendre puisque la masterisation a été voulue par un président qui manifeste de manière obsessionnelle son mépris pour La princesse de Clèves et ceux qui persistent à la lire et à l’enseigner.
À cet égard, il faut prendre garde à la formule maintes fois répétée : désormais, « les universités forment, l’employeur (Éducation nationale) recrute ».
Dans l’architecture qui prévalait jusqu’à maintenant, les futurs enseignants recevaient une formation pédagogique après avoir effectué des études et passé un concours essentiellement académiques. Ce parcours était irrigué par la recherche : à l’université (comme en partie à l’IUFM), les cours étaient prodigués par des enseignants–chercheurs ; les programmes du CAPES comme de l’agrégation tenaient compte des progrès récents de la recherche car ils étaient définis par des membres de la communauté universitaire qui siégeaient dans les jurys. Le recrutement se faisait donc selon des critères scientifiques et donnait accès à un corps de la fonction publique, avec toutes les garanties apportées par ses statuts.
Plus rien de tout cela dans la configuration projetée, qui subordonne complètement les enseignements disciplinaires à une formation professionnelle elle-même bâclée :
— les programmes des CAPES sont donc réduits à ceux du secondaire (eux-mêmes fortement appauvris depuis des années), définis par l’Inspection générale, et donc au mieux figés et coupés des découvertes récentes, au pire soumis aux lubies pédagogiques de l’inspection ou aux pressions des politiques et des puissants, comme le montre la réforme en cours du contenu des SES ;
— les universitaires seront exclus des jurys au profit de la « hiérarchie » administrative (inspections et chefs d’établissements) et de « membres de la société civile » (députés, chefs d’entreprise, curés, parents de familles nombreuses, simples badauds recrutés par petites annonces ?) ;
— le contenu des études universitaires sera profondément altéré : la transmission des connaissances issues de nos recherches devra régresser au profit de formations « pré–professionnalisantes », en particulier de stages dans les établissements scolaires.
De même que les réformes en cours dans le secteur de la recherche depuis 2004, notamment la destruction programmée du CNRS, visent à instaurer un pilotage politique au nom de l’« économie de la connaissance », au prix de l’abandon de branches entières du savoir pourtant fondamentales, la réforme des lycées et la masterisation des concours de recrutement des enseignants visent à détruire les libertés académiques, dans le secondaire comme à l’université. Partout, c’est bien une idéologie utilitariste qui est à l’œuvre. De même que les seules disciplines scientifiques légitimes seraient les sciences appliquées, les seuls enseignements légitimes seraient les formations professionnalisantes. Appliqué aux domaines du savoir dont les seules finalités institutionnelles sont l’enseignement et la recherche, ce principe idéologique implique que seuls les contenus didactiques sont légitimes, comme si l’on pouvait être un bon enseignant sans maîtriser sa (ou ses) discipline(s), absurdité malheureusement souvent répétée ces temps-ci. On comprend alors pourquoi la maquette du nouveau CAPES accorde la part du lion à la didactique, y compris à l’écrit (calqué sur celui du CAPE).
Toutes ces réformes visent donc à ôter aux chercheurs et aux enseignants toute liberté, bien loin de l’autonomie promise notamment par la loi LRU.
3. C’est donc une conception autoritaire du gouvernement des hommes et de la société qui est au cœur de toutes les mesures prises par le gouvernement. Partout, les présidents, les petits chefs et la hiérarchie doivent prévaloir. Ce sont eux qui dicteront les contenus des enseignements et les axes de la recherche, qui recruteront en n’offrant que des statuts précaires et qui distribueront primes et promotions à ceux qu’ils distingueront comme « méritants », en fonction de leur obéissance. Ainsi se développera la vassalisation déjà à l’œuvre dans l’enseignement supérieur.
Cette politique repose sur une mise en concurrence généralisée des institutions et des hommes. La masterisation et la confusion apparente qui accompagne sa mise en place visent en effet à exacerber la rivalité :
— entre les diverses universités,
— entre les diverses composantes d’une même université, les tensions latentes entre IUFM et universitaires étant notamment excitées pour détourner l’attention des responsabilités propres au gouvernement et à l’Inspection,
— voire entre les universités et des préparations privées dont la menace revient fréquemment dans les discours officiels, non seulement pour nous inciter à rendre les fameuses maquettes, mais aussi sans doute parce que leur émergence est souhaitée pour des raisons idéologiques.
Quant à la méthode employée par le gouvernement, elle doit beaucoup à la chasse : on commence par l’enfumage au moyen de ballons d’essai (destinés autant à tester les capacités de réaction de l’adversaire qu’à entretenir son affolement), de commissions fantoches permettant de contourner les instances élues et de focaliser l’attention des syndicats et de la publication de documents de cadrage volontairement vagues ; puis on passe à l’hallali en imposant des calendriers infernaux, qui rendent toute négociation impossible.
Le plus remarquable est que le gouvernement prétend nous faire creuser notre propre tombe, en nous ordonnant de faire des maquettes dans chaque composante. Mais c’est aussi là sa faiblesse : ce système ne peut fonctionner que si nous y collaborons.
On le voit donc, cette réforme :
1) n’élève pas réellement le niveau du recrutement des futurs enseignants et n’élève pas durablement leur rémunération,
2) détruit les masters recherche, affaiblit la place des savoirs disciplinaires dans les licences et prépare le remplacement des enseignants-chercheurs par des professeurs agrégés pour le premier cycle (L),
3) rend plus aiguë la concurrence entre les universités et les universitaires,
4) s’intègre dans une réforme du lycée qui réduit nombre de disciplines à des options, contribuant activement à la fin du lycée général et à l’exigence du meilleur pour tous, l’essence même du service public d’enseignement,
5) développe la précarisation généralisée des enseignants.
En conséquence, une telle réforme ne peut contribuer, à terme, qu’à tout simplement détruire l’université et elle est dangereuse non seulement pour les étudiants et les enseignants mais aussi pour tous les élèves, autrement dit pour l’ensemble de la société.
Nous demandons donc, l’arrêt de cette réforme (par un moratoire), avec l’engagement de la part des ministres concernés que les concours 2010 se tiendront selon les modalités de 2009, et l’ouverture immédiate d’une négociation avec l’ensemble des acteurs, sans préalable (autrement dit sans accord, avant discussion, sur la masterisation).