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La longue crise à Lyon 2 illustre le malaise des étudiants vacataires , Matteo Maillard, Le Monde, 26 février 2015

jeudi 26 février 2015, par Victor Schoelcher

A Lyon 2, les enseignants vacataires sont depuis six mois sans salaire voire sans contrat de travail. Après la rétention des notes de partiel, c’est maintenant par la grève que passe leur action. Et comme ils sont nombreux (de plus en plus nombreux...), ça commence à faire désordre...

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C’est une crise qui s’enlise à l’université Lyon-2. Depuis six mois, plusieurs dizaines d’enseignants vacataires, également étudiants, travaillent sans salaire et parfois sans contrat de travail. En signe de protestation, ils ont d’abord décidé d’une rétention des notes des partiels de janvier, avant d’amplifier leur mouvement par une grève. Les départements touchés sont ceux qui ont le plus recours à ces jeunes travailleurs précaires : sciences politiques, anthropologie et sociologie.

« Je vis depuis septembre sans un sou en poche malgré les 96 heures de cours que j’ai données, le maximum autorisé par an, explique un étudiant vacataire. Cette situation n’est pas nouvelle, ça fait plusieurs années déjà qu’il y a des retards dans le paiement des salaires et l’établissement des contrats. » 171 étudiants vacataires sont dans une situation analogue à la sienne, différente de celle des 2 230 autres enseignants vacataires de Lyon 2, salariés par ailleurs. Il s’agir de doctorants mais aussi d’étudiants de masters 2 qui assurent les séances de travaux dirigés (TD) et donnent parfois des cours magistraux, ce qui est pourtant prohibé par la loi pour les masters 2.

A l’automne, un collectif d’une cinquantaine de « vacataires précaires » se forme, pour dénoncer plus largement des conditions de travail « délétères » et le statut qui leur est accordé. Il manifeste le 8 octobre, mais son action reste sans réponse.

UNE DIZAINE DE DOSSIERS INACHEVÉS

Au conseil d’administration de décembre, la présidence promet une résolution rapide de la situation, un mois tout au plus, un délai qui excède les vacataires. Après les partiels de janvier, ceux qui sont chargés de la correction des copies refusent de rendre les notes et de les inscrire dans Apogée, le logiciel de gestion des dossiers étudiants, tant qu’ils n’ont pas de contrat de travail en leur possession.

« A partir de ce moment, la réaction de la présidence s’est fait sentir. Elle a commencé à accélérer les procédures de traitement des dossiers contractuels des vacataires enseignants… en mobilisant plus de vacataires administratifs pour s’en charger, s’étonne un professeur titulaire proche du mouvement. Encore aujourd’hui, il y a toujours une dizaine de dossiers qui ne sont pas bouclés. »

La présidence de Lyon 2 explique ces retards par une « succession de mésaventures : la responsable des contrats des vacataires est partie en congé maternité en septembre et sa remplaçante est tombée malade peu après, indique Jean-François Goux, vice-président à la politique de l’emploi et à l’action sociale. Comble du malheur, la DRH, partie en juillet, n’a été remplacée qu’en novembre. »

COURS ANNULÉS

Une explication qui n’a pas apaisé les vacataires, pour qui les causes sont tout autant structurelles que conjoncturelles. Réunis en assemblée générale le 21 janvier, ils décident de muscler leur action par une grève. « Une solution nécessaire, alors que certains vacataires qui achevaient leur premier semestre de travail sans paie, n’avaient toujours pas de contrat en débutant le second semestre », fulmine un frondeur, étudiant en sciences sociales.

Dans les départements de sciences politiques, d’anthropologie, de sociologie et d’arts du spectacle, 20 à 60 % des cours et TD, habituellement donnés par des étudiants vacataires, ne seraient ainsi plus assurés. Sur le campus de Bron, depuis janvier, quatre rassemblements ont mobilisé plus d’une centaines de personnes, dont des étudiants et professeurs titulaires qui se sont joints à la cause.

« Depuis l’adoption de la LRU (loi relative aux libertés et responsabilités des universités) en 2007, il y a une déperdition des moyens, les budgets se resserrent, mais les besoins en enseignants restent les mêmes, explique un professeur de sciences sociales. Nous devons faire appel en permanence aux vacataires, moins chers, dont le recrutement est moins contraignant que celui d’un titulaire mais dont le statut est beaucoup plus précaire. »

DES FRAIS D’INSCRIPTION ÉLEVÉS

Le salaire d’un vacataire étudiant est d’environ 40 euros bruts de l’heure. Un montant qui « ne prend pas en compte les heures de préparation des travaux dirigés, les corrections de copies et la surveillance d’examens, qui nous fait tomber à 3-4 euros net de l’heure », soutient une vacataire. C’est peu, d’autant qu’« en tant que doctorants, nous devons payer 609 euros de frais d’inscription à l’université, qui, en tant qu’employeur, nous versera 700 euros pour 21 heures de travaux dirigés. » L’exonération des frais d’inscription est l’une des revendications des étudiants vacataires.

« Nous n’écartons pas cette possibilité, avance Jean-François Goux, mais c’est une mesure qui ne peut se traiter que dans l’ensemble des écoles doctorales dont dépendent les doctorants vacataires. Il faut donc trouver une position unique pour le site de Lyon. »

SIX MOIS DE CRISE

Les dernières revendications des vacataires, une mensualisation de leur salaire et une limitation à trente du nombre d’étudiants par TD, ont été entendues mais pas encore résolues. « La mensualisation est juridiquement impossible, puisque la loi prévoit un paiement trimestriel des heures de vacation, souligne M. Goux. Quant au nombre d’étudiants par TD, la limite officielle se situe à 40 étudiants. C’est une revendication qu’il faut porter au ministère, si nous ouvrons des TD avec peu d’étudiants, cela poserait des problèmes budgétaires. »

Au ministère de l’éducation nationale, si l’on admet qu’une crise de cette longueur (6 mois) est plutôt rare, on insiste sur son caractère conjoncturel et donc temporaire. La présidence de Lyon 2 confirme. « Les contrats ont tous été envoyés, mais pas encore retournés », quant aux salaires, «  d’importants acomptes ont été versés en février et devraient couvrir une large partie des sommes dues ».

La crise est-elle en passe d’être résolue ? « Notre objectif est de dénoncer plus largement l’emploi abusif d’un statut précaire créé à l’origine pour des missions ponctuelles, comme des conférences, non pour un usage massif et systématisé", appuie un vacataire. Les étudiants précaires mobilisés entendent notamment participer à la journée d’action nationale du 5 mars contre la pénurie budgétaire dans les universités, et pour dénoncer le recours toujours plus large aux vacations dans les universités : estimés entre 80 000 et 100 000 il y a deux ans, les vacataires étaient 130 000 en 2014.