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Les sciences physiques sont indispensables à la formation des futurs citoyens - L’Express, Sacré Charlemagne, 17 avril 2015

samedi 18 avril 2015, par Mr Croche

Dans la rubrique Education/ Express yourself, contribution d’un enseignant en Sciences Physiques.
Notes de Mr Croche :
Remis-es en cause également par la réforme du collège, les langues anciennes, mais aussi les langues vivantes.
Ces attaques disciplinaires sont à mettre en perspective avec les nouvelles licences pour lesquelles la spécialisation disciplinaire intervient de plus en plus tard et les masters MEEF (au moins pour le 2d degré) dans lesquels le disciplinaire est lui aussi constamment à défendre.

A lire sur le site de l’Express

Critiquer une réforme de l’Education nationale est toujours compliqué. On peut tomber dans des amalgames faciles au risque de tout jeter aux orties. Or, les professeurs de sciences sont souvent des gens mesurés et pragmatiques. Sans doute trop. C’est sûrement pour cela que nous en sommes ici aujourd’hui : les sciences physiques sont la seule discipline du tronc commun à perdre des heures d’enseignements. Peut-être n’avons-nous pas su faire partager à l’opinion publique l’importance de notre discipline ?

Former un scientifique prend du temps

Comble de l’ironie, les profs que nous sommes auraient manqué de pédagogie ? Il faut dire que notre matière peut paraitre parfois un peu compliquée. La formation d’un scientifique prend du temps. Des années. Je ne suis pas loin de penser que certains de nos plus illustres représentants vous diraient "une vie même".

Pourquoi ? Parce qu’il s’agit peut-être de la discipline scolaire la plus évidente et naturelle, ce qui en fait finalement la plus compliquée. "Observer et analyser son expérience du monde afin de mieux le comprendre et le domestiquer" : voilà qui résume les sciences physiques. Nous sommes donc une science fondamentalement basée sur l’expérience. Mais la seule expérience ne suffit pas.

Dès les premiers mois de la vie, le nourrisson met en place ses propres modèles physiques, basés essentiellement sur ses sens. Ces concepts d’abord simples puis de plus en plus complexes, vont lui permettre d’apprendre à évoluer physiquement dans le monde qu’il entoure. Je me souviens de mon fils de six ans qui, lors d’une randonnée me disait : "C’est rigolo Papa, ce sont les jambes qui nous font monter et c’est la montagne qui nous fait descendre". Il faisait une nouvelle expérience de la gravité qu’il avait découvert bébé, en passant son temps à jeter des objets du haut de sa chaise.

Combien d’année avant que son expérience de la gravité lui permette d’appréhender les lois de Newton ou la relativité d’Einstein ? Des heures, des centaines d’heures, plus sûrement des milliers. Des années pour apprendre, comprendre et parfois, apprendre à désapprendre des idées fausses que notre expérience du monde nous à enseigner, piéger que nous avons été par nos simples sens.

Former les futurs citoyens à cette compréhension du monde

Faire des sciences nécessite donc deux choses : du temps et l’expérience du monde. Dans le cadre scolaire, où il faut faire entrer en un temps très court l’expérience, l’observation, l’analyse et confronter tout cela à la théorie pour déclencher une connaissance nouvelle chez l’élève, c’est une véritable gageure. C’est passionnant et, chaque jour, des milliers d’enseignants se battent pour mener à bien cette mission : former les futurs citoyens à cette compréhension du monde. Les enjeux des sciences physiques à l’école sont nombreux : comprendre les racines des enjeux écologiques et technologiques majeurs, commencer la formation des élèves qui plus tard auront besoin de ces sciences physiques dans leur métier (pompier, médecin, infirmière, vétérinaire, pharmacien, ingénieur, électricien, mécanicien, charpentier), mais aussi et surtout de déjà susciter des vocations pour alimenter la recherche et ajouter à la longue liste des prix Nobel de Physique et de Chimie français.

30 minutes de cours en moins par semaine

Des fameuses ZEP aux établissements plus tranquilles, j’ai la chance, je crois, d’avoir pu construire en douze ans une vision assez générale de l’enseignement des sciences physiques au collège. Et le constat n’est pas brillant. Hors la volonté exceptionnelle des enseignants, le bilan serait même catastrophique. Je vois les heures qui servaient à faire du travail expérimental en groupe disparaître dans la plupart des établissements. Je vois les aides laboratoires disparaître des collèges, la faute au département parait-il, ce qui fait une belle jambe à nos enfants. Je vois le nombre d’heures consacrées à l’enseignement des sciences amputé un peu plus chaque année par toutes les missions annexes, de la sécurité routière en passant par la prévention pour la santé buccodentaire.

J’ai vu les sciences physiques disparaître en sixième. Un fois de plus le projet de réforme du collège ampute les sciences physiques de trente minutes de cours en troisième. Vingt-cinq pour cent de temps en moins. Le Ministère fait miroiter un hypothétique retour d’une heure en classe de sixième qui n’est même pas prévue dans les nouveaux programmes. Et qui serait hypothétiquement négociée établissement par établissement. Nos enfants méritent sans doute mieux que de vulgaires conditionnels ? Et même dans les établissements où la physique fera un retour remarqué en sixième, cela ne résoudra rien. Car ce texte se transposera alors aux autres sciences.

Pourquoi les sciences sont-elles encore la cible d’une nouvelle réforme ?

La raison n’est pas budgétaire. Lors de la dernière réforme du lycée qui a elle aussi vu le nombre d’heures d’enseignement des sciences physiques diminuer de manière drastique des centaines de profs se sont retrouvés payés sur des postes de remplaçants à ne remplacer personne. Il y a des moyens financiers et humains donc. Et l’énergie de ses enseignants laissés sans classe. Si elle n’est pas budgétaire, peut-être la raison est-elle idéologique ? Difficile de répondre sans faire un facile procès d’intention. Toujours est-il que les sciences sont souvent taxées d’élitistes. A tort. Mais il est vrai que les maitriser relève d’un apprentissage long et difficile.

D’autant plus quand on ne baigne pas dans un milieu où on n’a pas la chance de vivre cette expérience du monde au quotidien.

D’autant plus, et la ministre nous en a assez parlé, quand on est une fille, et que tous les stéréotypes vous poussent à vous détourner des matières scientifiques.

Diminuer les heures de cours de sciences physiques : un grand pas en arrière, qui nous éloigne toujours plus de l’objectif d’égalité entre les pauvres et les riches, et entre les filles et les garçons.