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Lettre ouverte au Secrétaire d’État à l’enseignement supérieur et à la recherche - Qualité de la Science Française, 5 novembre 2015

lundi 9 novembre 2015, par Clèves, princesse(s)

Pour la modestie, ils ne craignent personne à QSF !

À la suite de la rencontre qu’une délégation de notre association a eue avec M. Thierry Mandon, Secrétaire d’État à l’Enseignement supérieur et à la Recherche, et plusieurs membres de son cabinet, le 14 octobre dernier, nous avons estimé utile d’adresser à M. Mandon, le 21 octobre, une lettre revenant sur les divers points abordés au cours de cette entrevue.

À lire ici

Monsieur Thierry MANDON

Secrétaire d’État à l’Enseignement Supérieur et à la Recherche

Paris, le 21 octobre 2015

Monsieur le Ministre,

Nous souhaitons par la présente vous remercier d’avoir reçu, ce mercredi 14 octobre, une délégation de l’association Qualité de la Science Française. Nous avons par ailleurs apprécié la franchise avec laquelle vous nous avez présenté votre vision de ce que les pouvoirs publics attendent des universités françaises dans les prochaines années.

Toutefois, nous souhaitons aussi revenir brièvement sur l’entretien que nous avons pu avoir avec vous et avec les membres de votre cabinet, le 14 octobre, car le temps malheureusement limité de notre rencontre ne nous a pas permis de préciser un certain nombre de points et surtout d’engager une discussion avec vous sur quelques-unes de vos remarques et de vos appréciations ainsi que sur le projet d’avenir que vous avez esquissé. C’est aussi pourquoi nous nous permettons de vous écrire, avec l’espoir de lever quelques malentendus et de dissiper, autant que possible, la sorte de malaise qui a pu en résulter.

Le regard que les membres de QSF portent sur l’état actuel de nos universités est, vous l’aurez compris, très inquiet. De cette inquiétude témoignent tous les documents et communiqués qui ont exprimé ces dernières années nos réflexions sur l’avenir de l’université française. Permettez-nous de le rappeler, le message que porte QSF ne représente pas seulement l’expression de quelques personnalités du monde de la recherche française, qui par ailleurs honorent la science hexagonale et illustrent le blason de nos universités à travers le monde. Au-delà des figures éminentes qui contribuent à alimenter les réflexions de notre association et à incarner les libertés académiques, QSF représente aujourd’hui une part de plus en plus importante de la communauté universitaire, en particulier chez les collègues du collège A. C’est ce dont témoignent les dernières élections du CNESER et plus généralement les résultats remarquables que les listes se revendiquant de nos valeurs et de notre sigle obtiennent aux élections du Conseil national des universités, qui représente pour notre communauté l’instance centrale de la vie académique.

La grande majorité des universitaires sont animés par la passion de leur métier. Outre ce dévouement à la cause universitaire, les collègues rejoignant QSF partagent la conviction que nos laboratoires et nos formations doivent être, au niveau supérieur, le lieu principal de l’élaboration et de la transmission des connaissances et de formation des jeunes générations. Pour redresser l’image souvent négative de l’université chez les Français, restituer à nos départements leur rôle d’incubateurs de l’esprit, permettre aux universitaires français de mener à bien leurs missions, et faire en sorte que tous les étudiants trouvent à l’université les meilleures conditions d’étude au sein de cursus cohérents, nous proposons des solutions qui peuvent être discutées, mais qui ne nous semblent surtout pas pouvoir être considérées comme « mortifères » [1].

Les difficultés que nos universités rencontrent face à un nouvel afflux d’étudiants avec les déséquilibres qui lui sont liés, la dévalorisation des diplômes universitaires, en particulier dans les disciplines de SHS, la dégradation des conditions de travail aussi bien pour les étudiants que pour les enseignants, l’état de la plupart de nos bibliothèques universitaires (y compris pour ce qui concerne leurs fonds numériques), les difficultés croissantes pour les universitaires d’assurer à part égale leur mission d’enseignants et de chercheurs, la multiplication des tâches administratives, la concurrence déloyale, enfin, que l’université subit de la part du système sélectif constituent une réalité que l’on ne peut nier ou traiter par des simples formules. Face à une telle situation, qui mène à une mutation de la fonction et de la vocation profonde des universités, QSF propose des solutions qui sont, depuis plus de trente ans, systématiquement ignorées par les divers pouvoirs en place.

Nous ne cessons de le rappeler, l’université française considérée dans son ensemble est prise dans un étau entre (a) un système sélectif qui attire les jeunes étudiants les plus motivés et les mieux formés, (b) des organismes de la recherche qui revendiquent leur centralité et leur prédominance dans l’espace de la recherche française et (c) la volonté politique de confier au système universitaire la mission de la diplomation de masse (composant en cela avec des syndicats étudiants très peu représentatifs mais au pouvoir de blocage démesuré). Dans ces conditions, si rien n’est fait pour donner à nos universités les moyens budgétaires et surtout réglementaires de rivaliser avec les autres acteurs de l’enseignement supérieur et de la recherche, la transformation de l’université française en troisième stade de l’enseignement secondaire, excepté précisément pour un certain nombre de diplômes fondés sur une sélection effective, sera bientôt achevée. L’université pourra alors continuer de rendre certains services sociaux, mais elle aura perdu dynamisme et rayonnement intellectuel et n’aura alors plus de tel que le nom.

Cette mue que nous dénonçons depuis plusieurs années est déjà particulièrement visible pour les disciplines des humanités, pour lesquelles on demande désormais aux enseignants-chercheurs de réapprendre à écrire à des étudiants qui ont eu le bac par une espèce de faveur administrative et qui ont choisi par défaut ou sans vraie connaissance de cause les filières dans lesquelles ils sont inscrits. Que diraient à juste titre nos collègues mathématiciens si on leur demandait d’introduire dans leurs formations de L1 une révision des équations de premier degré ?

Le résultat est qu’un très grand nombre d’universitaires ont aujourd’hui le sentiment de ne plus pouvoir accomplir leur mission ; ils ont le sentiment d’avoir consacré leur vie à capitaliser un savoir qu’ils ne peuvent plus transmettre, parce qu’ils sont accablés de tâches administratives et de contraintes bureaucratiques (limitant beaucoup les initiatives en matière pédagogique), mais aussi parce que le niveau des étudiants qu’ils ont devant eux les oblige sans cesse à reprendre les bases, ce qui est aux antipodes de l’exigence didactique et scientifique qui devrait prévaloir à l’université.

Une défense de nos statuts et de nos misions essentielles, c’est ce que QSF n’a cessé de demander au ministère (lato sensu) de l’enseignement supérieur, et c’est ce que notre délégation a tenu à souligner en premier lieu lors de notre rencontre. Il est essentiel, selon nous, de tenir compte de ce désarroi qui frappe un nombre croissant d’universitaires, par ailleurs très souvent bloqués dans leur carrière et ressentant presque tous durement le gel indéfiniment prolongé des traitements de la fonction publique, avec les difficultés économiques qui en résultent. Ce désarroi, les collègues qui se sont spécialisés dans les charges d’administration ou de planification ne sont plus guère en mesure de le percevoir et ne peuvent donc en rendre compte aux responsables comme il serait nécessaire.

Permettez-nous de rappeler brièvement nos préconisations :

Orientation et sélection.

Notre système universitaire souffre d’une contradiction qui consiste à déplorer l’échec à la fin de la première année du premier cycle et à interdire la sélection à l’entrée de l’université. Au nom de cette logique, et souvent sans autre filtre qu’un déshonorant tirage au sort informatisé, on laisse des masses considérables d’étudiants s’inscrire dans les filières (en général de création récente) où les exigences académiques sont les moins fortes [2], alors même que les débouchés socio-professionnels y sont les plus incertains – filières dont le poids institutionnel ne cesse néanmoins de se renforcer du fait même de cet afflux. Ce système nous semble marcher sur la tête. Le diplôme pour tous ne peut pas être la perspective d’avenir d’une génération que l’on aura en fait privée des conditions d’une réelle ascension sociale par l’étude. Cette politique revient à déplacer la sanction d’un déficit de formation, qui ne prend plus la forme de l’absence de diplôme mais celle d’une exclusion sociale, politique, économique, intellectuelle qui se révèle sur la longue durée.

Si le mot de sélection est politiquement tabou, laissons le mot sans abandonner la chose. Le rôle du pouvoir politique ne consiste-il pas à faire preuve de l’habileté nécessaire pour faire passer dans l’opinion publique des réformes indispensables en usant des mots appropriés et en passant les compromis acceptables ? Nous préconisons à ce propos trois mesures simples : (a) l’orientation obligatoire des étudiants à travers les prérequis disciplinaires ; (b) l’introduction, entre le baccalauréat et le début des études universitaires, d’une année d’orientation, qui serait facultative pour les étudiants disposant des prérequis disciplinaires [3] ou d’une mention au bac [4] ; (c) la faculté offerte aux étudiants de capitaliser à leur rythme les crédits nécessaires, mais sans aucune compensation ; on réduirait ainsi l’échec en adaptant la transmission du savoir aux possibilités de chacun. Sans une telle réforme, qui est le point de levier de tout le système, les universités resteront ce qu’elles sont aujourd’hui : l’endroit où l’on entre principalement par défaut.

Modèle universitaire et moyens.

Une université de la démocratisation des études supérieures qui souhaite accueillir un demi-million supplémentaire d’étudiants dans les prochaines années doit bénéficier de ressources budgétaires et humaines nettement plus importantes, qui ne pourront pas venir du budget de l’État. Le budget 2016 en est la preuve la plus évidente. Pour les 65 000 nouveaux étudiants, grâce aussi à votre action et à celle de Madame la Ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, l’État a abondé le budget universitaire de cent millions d’euros, c’est-à-dire d’un peu plus de 1 500 euros par étudiant ! [5] Avec l’arrivée prévue de plus de 120 000 nouveaux étudiants, et quel que soit le gouvernement en place, l’État ne pourra pas faire beaucoup mieux dans les prochaines années. Un système qui, s’inspirant d’un principe d’équité, tiendrait compte de la condition sociale des étudiants, est tout à fait envisageable. QSF propose l’introduction de droits d’inscription progressifs, liés aux revenus du foyer parental, avec l’exemption pour des étudiants boursiers. Si l’opposition prévisible de certains syndicats d’étudiants constitue à cet égard une difficulté politique notable, nous n’imaginons pas que cette difficulté soit réellement insoluble. Et nous ne comprenons pas comment, sur le plan de la gestion et des investissements, les nouveaux moyens engendrés pour les universités par cette augmentation raisonnable pourraient ne pas se traduire par une série d’améliorations significatives et sensibles.

Pédagogie et usage du numérique.

Dans un même TD de L1 ou L2, on trouve des étudiants qui maîtrisent déjà l’essentiel des outils et des règles qui leur permettront de faire de bonnes études, et d’autres à qui cette maîtrise fait presque entièrement défaut, y compris en matière de langue. Tous, et tous leurs camarades des niveaux supérieurs, ont besoin d’un encadrement intensif et perfectionné, bien sûr modulé selon leur projet et leur situation. C’est la différence entre le faible encadrement des formations de licence (dans certains cas aussi de master) et l’encadrement rigoureux (parfois rigide) des CPGE qui fait l’essentiel du désavantage des cursus universitaires par rapport aux filières « Grandes Écoles ». L’enjeu dans la période qui vient consiste à réduire cet écart en concevant pour les formations universitaires un nouveau cadre pédagogique dont les principes soient à la fois inventifs et incontestables.

Ceci exclut par principe un formatage des enseignements qui par exemple ferait système avec la mise en place de référentiels de compétences, et qui serait absolument contre-productif aussi bien que contraire aux libertés académiques. Quant à l’usage des TICE, il peut rendre les plus grands services dans nombre de domaines et pour nombre d’aspects de la formation : néanmoins, toute l’efficacité de l’enseignement universitaire reposera toujours au fond sur les échanges entre les étudiants et des enseignants-chercheurs compétents et passionnés. Dans ces conditions, les besoins en personnels enseignants du supérieur ne peuvent que croître, et cela toujours davantage si rien n’est fait pour que l’enseignement secondaire, aujourd’hui très affaibli, assure à nouveau ses fonctions de base. L’emploi des jeunes docteurs, dont le vivier est aujourd’hui considérable, pourrait ici trouver une issue à sa crise. [6]

En tout état de cause, si l’université ne bénéficie pas à nouveau du crédit et du prestige qui doivent être les siens, il nous semble, Monsieur le Ministre, qu’aucun « contrat avec la Nation », aussi ambitieux soit-il, aucune nouvelle pédagogie par le numérique, aussi visionnaire soit-elle, ne pourront garantir à nos jeunes la qualité de la formation à laquelle ils aspirent. Si cette réforme fondamentale n’était pas effectuée, non seulement les universités françaises seraient définitivement condamnées, mais la jeunesse de ce pays aurait été sciemment trompée car le parchemin obtenu artificiellement par un diplôme dévalorisé ne la sauvera ni du chômage ni de la marginalité sociale.

Pour ne pas être trop longs, nous ne faisons pour finir que mentionner, sans les développer, deux autres principes que QSF défend : la défense d’une vraie autonomie scientifique, le respect des libertés académiques et de la collégialité dans la gestion de nos universités et de nos COMUEs. [7]

Telles sont les convictions et les valeurs qui inspirent les positions de QSF. Il nous a semblé nécessaire de le préciser dans cette lettre que nous avons l’honneur, Monsieur le Ministre, de vous adresser, en espérant que le dialogue que nous avons à peine engagé pourra se poursuivre de manière plus factuelle dans les prochains mois.

Nous vous prions, Monsieur le ministre, de recevoir, avec l’assurance de dévouement, celle de notre parfaite considération,

Olivier Beaud, Professeur Paris II - Pdt de QSF

Claudio Galderisi, Professeur, Poitiers - Vice-pdt de QSF

Denis Kambouchner, Professeur, Paris 1 - Élu QSF au CNESER

ὅπερ ἔδει δεῖξαι (CQFD)


[1Terme employé par Monsieur Mandon lors de la réunion pour qualifier les positions de QSF sur la sélection. (note de QSF. Toutes les notes suivantes sont de SLU)

[2Des noms, des noms !

[3Évalués sur concours ?

[4Qui ne vaut plus rien ? faudrait savoir !

[5Le coût moyen par étudiant est de 15000$PPA, il est de 26000$PPA aux États unis (voir ici).

[6Vous, je ne sais pas, mais moi, princesse, je ne comprends rien à ce paragraphe : ils sont pour les TICE ou contre ? ils veulent plus de postes d’enseignants (enfin, des jeunes docteurs forcément inventifs, incontestables et pédagogues), mais c’est dans le secondaire que ça déconne, non ?

[7Au moment de l’élaboration de la la loi Fioraso, QSF n’a pas hurlé trop fort : « Concernant la restructuration du paysage institutionnel universitaire et plus particulièrement la transformation des PRES en "communautés d’universités", QSF regrette que le projet de loi ne simplifie pas assez l’actuel panorama des sigles et ne différencie pas les solutions concernant les universités pluridisciplinaires par rapport aux établissements monodisciplinaires. La question de l’architecture globale du système universitaire est complexe. » (communiqué du 3 février 2013). Ça ne mouillait pas trop !