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Manifestation contre la loi travail : six mois avec sursis pour le sociologue Nicolas Jounin - Christophe Gueugneau, Mediapart, 3 novembre 2016
vendredi 4 novembre 2016, par
Le sociologue était accusé par un commissaire d’avoir frappé volontairement un policier lors d’une manifestation interdite contre la loi El Khomri le 28 avril au matin. Il a toujours démenti les faits, accusant au contraire les policiers de lui avoir porté des coups.
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Six mois avec sursis pour des faits contestés avec méthode. Nicolas Jounin, jeune sociologue de 35 ans [1], a été condamné jeudi 3 novembre à six mois de prison avec sursis par le tribunal de Bobigny, qui l’a jugé coupable d’avoir frappé un policier au printemps dernier [2] lors d’une manifestation contre la loi El Khomri. Nicolas Jounin a toujours démenti les faits, et notamment lors de l’audience le 6 octobre où son avocat avait pointé plusieurs contradictions dans les témoignages des policiers.
Le sociologue était accusé d’avoir bousculé et fait tomber un policier, puis de lui avoir asséné un coup de pied sur le casque, le 28 avril au matin. Ce jour-là, des syndicalistes s’étaient donné rendez-vous à Gennevilliers pour distribuer des tracts et inciter les travailleurs, du port notamment, à rejoindre le mouvement contre la loi El Khomri. Après un face-à-face avec des policiers, ils décident de prendre le métro pour se rendre Carrefour Pleyel à Saint-Denis, et rejoindre ainsi une assemblée générale interprofessionnelle prévue à 10 heures à la Bourse du travail. Une manifestation, déclarée, est prévue l’après-midi même au départ de la place Denfert-Rochereau à Paris.
Les faits reprochés à Nicolas Jounin se seraient déroulés Carrefour Pleyel. Selon le récit policier, un groupe aurait chargé un cordon positionné pour les empêcher de rejoindre la Bourse du travail. C’est à cette occasion que Nicolas Jounin aurait foncé sur un policier chargé d’envoyer des grenades lacrymogènes. Les policiers accusent également les manifestants d’avoir jeté des œufs, des pommes de terre et même des pierres sur la police.
« Je ne reconnais pas les faits, avait déclaré le 6 octobre le sociologue au tribunal. Au contraire, je me trouvais juste devant le cordon de policiers, poussé par les gens qui étaient derrière moi. On m’a fait un croche-patte, je suis tombé, je me suis relevé, puis un deuxième, et là on me frappe à terre. Je suis cogné à la hanche et à la tête, puis je suis arrêté. » Sa « victime », le policier que Nicolas Jounin est censé avoir frappé, était présente elle aussi dans la salle du tribunal. Membre de la Brigade anticriminalité, il était ce jour-là équipé pour le maintien de l’ordre. Il n’a pas voulu se porter partie civile. De fait, il est incapable d’identifier Jounin comme étant son agresseur. C’est le commissaire chargé du dispositif sur place qui l’a identifié.
Juste avant les réquisitions du ministère public, l’avocat de Nicolas Jounin, Me Raphaël Kempf, avait cependant soulevé un dernier détail troublant du procès-verbal rédigé par le commissaire. Celui-ci indique qu’il a formellement identifié le sociologue, un « homme avec une légère calvitie ». « Or, mon client portait un bonnet ce jour-là ! j’ai mis dans le dossier des photos qui le prouvent ! », avait indiqué Me Kempf tandis que des rires fusaient dans la salle d’audience.
La procureure, elle, avait repris lors de son réquisitoire la calvitie signalée sur le PV comme une preuve irréfutable que le commissaire n’a pu se tromper. « Est-ce qu’un commissaire de police pourrait désigner quelqu’un par hasard ? Je ne le crois pas. Est-ce qu’il va mentir sur procès-verbal alors qu’il est passible de la cour d’assises ? », s’était-elle demandé avant de requérir huit mois de prison avec sursis.
Dans sa plaidoirie, Me Kempf avait quant à lui relevé plusieurs contradictions dans le témoignage du commissaire, dont cette histoire de calvitie. « Il s’agit selon moi d’une description opportune faite postérieurement », avait-il notamment indiqué, notant en outre que lors de son examen chez le médecin, le policier victime n’avait pas mentionné le coup porté au visage, alors qu’il l’a mentionné sur PV. « C’est un dossier totalement insuffisant pour condamner », avait conclu l’avocat.
Dénonçant aujourd’hui le verdict, Me Kempf a annoncé que son client « se réservait le droit de faire appel ».
[1] Enseignant-Chercheur à l’Université Paris8 (note de SLU)