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"Un peu d’espoir pour le savoir ? Contre l’approche néolibérale à l’Université" - Guillaume Beaussonie, blog "Jus ad libitum", 19 avril 2017

jeudi 20 avril 2017, par Mam’zelle SLU

Guillaume Beaussonie est professeur de droit privé et sciences criminelles à l’Université Toulouse 1-Capitole.

M. Macron a présenté vendredi dernier ses « propositions pour l’enseignement et la recherche ». L’enseignement en général et l’Université en particulier ont été largement absents de la campagne présidentielle, certains candidats se contentant de quelques pétitions générales ou incidentes en guise de programme. Il y aurait donc tout lieu de se féliciter de l’initiative de M. Macron s’il n’avait pas décidé d’adopter une certaine conception de l’Université particulièrement en vogue – partagée, d’ailleurs, par d’autres candidats comme par exemple M. Fillon – et que nous souhaiterions généralement contester : l’approche néolibérale de l’Université.

Cette conception, en passe de gagner insidieusement la bataille des idées, a une finalité – la croissance ; un modèle – l’entreprise ; une philosophie – la concurrence. Ce qui compte en définitive, ce n’est pas tant que l’Université soit le moteur intellectuel du pays, qu’elle pense la société et le monde pour le rendre intelligible, mais qu’elle soit à même d’apporter sa pierre au mythe de la croissance et à la religion de l’économie (et encore, d’une certaine économie). Ce qu’elle produit a, dans cette logique, vocation à être valorisé, rentabilisé, astreint à une logique de performance. La confusion entre science et technique atteint ici son paroxysme. Du point de vue pratique, cette vision fondamentale de l’Université annonce d’ores et déjà que la dévalorisation des sciences humaines et sociales et plus généralement des sciences impropres au virage technicien n’est pas proche de cesser : elles ne sont pas à l’origine de savoirs susceptibles de produire de la valeur, elles n’ont donc pas de valeur.

Pour parvenir à asseoir entièrement cette logique, qui menace déjà depuis quelques années, on rebat une solution miracle aux problèmes de l’Université : l’autonomie.

Il faudrait d’abord que les Universités soient libres de s’organiser comme elles le veulent, c’est-à-dire de construire des statuts spécifiques « selon leurs besoins ». Dit comme cela, qui serait contre ? Or ce projet, qui est déjà largement mise en œuvre – au moins depuis la loi LRU de 2007 – et que l’on nous propose aujourd’hui d’amplifier, n’est pas sans dangers et n’a jusqu’ici eu d’autre effet que de fragiliser les universités françaises.

Le cœur de cette politique, c’est, d’abord, la fusion des Universités. Elle a parfois du bon, mais elle a aussi ses défauts : elle fait disparaître les sciences humaines et sociales derrière les sciences « dures », aux contingents plus nombreux, et suscite un alignement des modèles de recherche entre deux mondes qui n’ont pas les mêmes modes de fonctionnement. Elle crée des usines à gaz bureaucratiques qui éloignent les instances de gouvernance des étudiants et des enseignants-chercheurs.

C’est ensuite la mise en concurrence directe des Universités, certaines étant appelées à devenir des établissements de seconde zone, tandis que d’autres, bénéficiant d’investissements massifs, seraient appelées à jouer un rôle moteur, notamment à l’international et à s’aligner sur le modèle des grandes écoles. Outre une conception très particulière du principe d’égalité devant le service public, ce genre de proposition paraît impropre à résoudre le problème principal auquel les Universités sont aujourd’hui confrontées : alors que les grandes écoles sélectionnent leurs étudiants, les Universités, quant à elles, sont démunies face à l’afflux massif des étudiants. Elles n’ont trouvé jusqu’à présent d’autre solution pour attirer les meilleurs étudiants que de créer des filières sélectives, au risque de dévaloriser leurs propres diplômes fondamentaux.

L’autonomie des Universités, ce serait aussi, nous dit-on, la liberté absolue de recruter leurs enseignants-chercheurs. Il convient de noter qu’alors même que le recrutement par concours demeure la règle, la liberté des Universités est sur ce point déjà très grande et qu’en ce domaine, certains candidats à l’élection présidentielle, inspirés par une passion de la dérégulation qui confine à la manie, se sont engagés sur des voies dangereuses. Est ici principalement visée une instance très importante pour l’accès à la vie universitaire : le Conseil National des Universités (CNU). Composé d’universitaires pour l’essentiel élus par leurs pairs, le CNU a, entre autres, le rôle de « qualifier » les futurs universitaires, c’est-à-dire de sélectionner parmi l’ensemble des jeunes docteurs candidats aux fonctions universitaires ceux qui lui paraissent avoir le dossier nécessaire pour ce faire : qualité de la thèse bien sûr, mais aussi des travaux, des enseignements… Cette instance constitue, pour certaines matières comme le droit, un véritable filtre d’accès. En l’absence de qualification le jeune docteur ne pourra candidater à un poste de maître de conférences dans une université. Le CNU étant scindé en 53 sections correspondant à autant de disciplines, la politique de qualification n’est pas uniforme d’une discipline à l’autre. Certaines sections sont généreuses, d’autres, comme les sections juridiques, ne le sont sans doute pas assez (environ 25% de qualifiés chaque année en droit privé et en droit public).

Or si le CNU a un mérite, c’est bien qu’il contribue à déjouer les calculs localistes des Universités. Il est fréquent qu’une Université, soucieuse de voir l’un de ses jeunes docteurs obtenir un emploi, crée, avec toute l’apparence d’impartialité nécessaire, un poste taillé pour lui, au mépris du principe d’égalité d’accès à la fonction publique. Cela s’appelle le localisme et c’est la plaie de bien des Universités. Or si le candidat en question n’est pas qualifié par le CNU, l’Université doit se résoudre à recruter quelqu’un d’autre.

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