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La nouvelle idéologie scolaire - François Dubet, "La Vie des idées", 17 octobre 2017

mardi 17 octobre 2017, par Mam’zelle SLU

Le nouveau ministre de l’Éducation nationale paraît incarner une politique conservatrice en matière scolaire. Pourtant, un examen approfondi de ses propositions signale un changement profond de méthode et d’orientation, fondé sur l’expertise. Ceci appelle un déplacement de la critique sur le terrain de la recherche.

Depuis le mois de mai, Jean-Michel Blanquer est un des ministres les plus en vue de l’ère Macron qui vient de s’ouvrir. Il multiplie les déclarations, les annonces et les mesures, mais cette activité n’est pas toujours facile à décoder. Elle peut être perçue comme largement conservatrice, comme un retour à la tradition et à la rigueur contre le « pédagogisme », le « laxisme  » et le « nivellement par le bas  » attribués à la gauche. Mais Jean-Michel Blanquer est aussi l’auteur de livres dans lesquels il se présente comme un réformateur hardi, désireux de construire une politique fondée sur les données de la science et des comparaisons internationales. Jean-Michel Blanquer peut-il être « en même temps » l’homme du retour aux années Sarkozy et le réformiste qui sortira l’école de ses querelles idéologiques afin de la transformer profondément ? Aujourd’hui, nul ne peut répondre à cette question. Cependant, il peut être instructif de saisir les deux faces de son projet de transformation de l’école.

Une politique conservatrice

Jean-Michel Blanquer fut un des hommes-clés de la politique scolaire de Nicolas Sarkozy et, depuis trois mois, nombre de ses déclarations flattent volontiers la droite et les corporations enseignantes les plus conservatrices : critique de « l’égalitarisme », rencontre amicale avec « Sens commun », apologie du mérite et de l’élitisme républicain, défense du latin, retour des classes bilingues et des sections européennes au collège, soulèvent l’enthousiasme des éditorialistes les plus conservateurs. La dénonciation des « pédagogues » qui auraient, depuis trente ans, détruit l’école, le retour d’un cours préparatoire à la fois exigeant et traditionnel, les appels au « rétablissement de l’autorité  » et du redoublement, la critique du Conseil supérieur des programmes, la défense de la chronologie et du roman national en histoire et en littérature situent la politique de Jean-Michel Blanquer dans une filiation conservatrice toujours convaincue que « c’était mieux avant ». Elle ne déplaît pas non plus à de nombreux enseignants, favorables à ce qu’ils perçoivent comme un retour à la sagesse et au bons sens.

Sans doute l’organisation des rythmes scolaires est-elle chaotique, mais elle répond à un problème réel quand l’école élémentaire française concentre le travail des élèves sur peu de jours de classes. On peut alors se demander si, en permettant le retour à la semaine de 4 jours, le ministre n’a pas choisi le confort des enseignants et celui des familles de classes moyennes aux dépens des élèves des classes populaires. Mais, « en même temps », la création de classes de CP de 12 élèves dans les zones difficiles et le dispositif « devoirs faits » au collège démontrent que ce ministre agit, qu’il agit vite, et qu’il ne se soucie pas seulement des écoles des beaux quartiers.

Jean-Michel Blanquer est plus sensible à la question de l’efficacité qu’à celle des inégalités scolaires. Il semble indifférent à la structure des inégalités scolaires elle-même et déclare sa foi dans « l’excellence » et le modèle élitiste français, ignorant que le recrutement des élites scolaires est de plus en plus endogène du point de vue social. Dans le meilleur des cas, grâce aux « Cordées de la réussite » initiées par l’ESSEC dont il a été le directeur, on permettra à quelques élèves méritants des lycées populaires de prétendre à l’élite. Mais la structure des inégalités, elle, ne bougera pas. Plus exactement, Jean-Michel Blanquer pense que l’augmentation de l’efficacité scolaire réduira mécaniquement les inégalités en diminuant le nombre des élèves en échec, d’où l’effort porté sur le CP. Mais les inégalités ne se jouent pas toutes entre 6 et 7 ans, elles se déploient et se creusent bien après et les classes bilingues du collège y contribueront certainement, comme la faible mixité sociale de nombreux établissements. N’est-il pas dangereux de mobiliser le thème de la « diversité des intelligences » quand on sait combien cette rhétorique a toujours conduit à naturaliser les inégalités sociales et culturelles et à hiérarchiser les enseignements bien plus qu’à les diversifier et à les individualiser ? En élargissant le choix des établissements par les parents, Jean-Michel Blanquer prend aussi le risque d’accentuer les inégalités entre les établissements, notamment entre les collèges. Pourtant, il n’ignore pas que l’école française se caractérise, à la fois, par de fortes inégalités entre les établissements et par l’impact particulièrement élevé du niveau culturel et social des parents sur la réussite des élèves.

Si l’on en croit les déclarations de Jean-Michel Blanquer, il suffirait d’établir l’égalité des chances aux premiers âges de la scolarité pour que les inégalités scolaires deviennent ensuite acceptables ; l’élitisme républicain du ministre ne s’attaque pas aux hiérarchies scolaires elles-mêmes. Dès lors que quelques élèves d’origine modeste parviennent à se glisser dans les classes de latinistes et dans les grandes écoles, peu importe que se creusent les écarts entre les élites et les plus faibles. Il suffirait qu’un nombre infime d’enfants de migrants fréquentent la rue Saint Guillaume (ce qui est une bonne chose), alors que dans certains lycées professionnels il n’y a que des enfants issus des immigrations venues du Sud, pour que fonctionne l’élitisme républicain au prix de grandes inégalités scolaires.

Alors qu’Emmanuel Macron avait porté la promesse d’une politique surmontant le clivage entre la droite et la gauche, force est de reconnaître que les paroles et les actes de Jean-Michel Blanquer le situent à droite sur la question scolaire. À l’automne 2017, les lecteurs du Figaro et de Valeurs actuelles ont été mieux entendus que les électeurs de gauche qui ont voté pour Emmanuel Macron.

Il est cependant difficile d’en rester là, car Jean-Michel Blanquer se présente aussi comme un réformateur, et l’on peut imaginer que ceci n’est pas étranger à sa participation au gouvernement d’Édouard Philippe.

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