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Paroles de lycéens : « Parcoursup me stresse plus que le bac » - Faïza Zerouala, Médiapart, 16 mars 2018

vendredi 16 mars 2018, par Laurence

Les élèves de terminale avaient jusqu’au 13 mars pour saisir leurs vœux d’admission post-bac. Il a fallu faire des choix définitifs et espérer que le site ne connaisse pas de dysfonctionnements importants. Mediapart a suivi le parcours de quatre d’entre eux. Ils racontent comment ils ont fait face à cette échéance cruciale.

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Le doigt a peut-être tremblé en appuyant sur la touche de validation. L’heure des choix est passée. Le 13 mars à 23 heures dernier carat, les 800 000 élèves de terminale ont dû valider des projections, s’assurer du bien-fondé de leurs vœux, entériner toutes ces stratégies jusque-là virtuelles, échafaudées ces derniers mois. La procédure a démarré le 22 janvier. 



Au lendemain de la clôture du recueil des vœux, le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche a indiqué, selon des données encore provisoires, que « 887 681 candidats inscrits ont formulé au moins un vœu pour cette session 2018, dont 666 002 en terminale, 122 620 étudiants en réorientation, et 99 059 candidats dans une autre situation (non scolarisés, candidats inscrits à l’étranger…), soit une hausse de 5,23 % par rapport à 2017  ».

Au total, 7 millions de vœux devront être examinés un par un dans les universités comme s’y est engagé l’exécutif, soit un travail titanesque au regard des peu nombreuses forces humaines disponibles pour s’y atteler. 



Début février, Mediapart avait donné la parole à quatre lycéens de terminale aux prises avec Parcoursup dans l’optique de comprendre leurs interrogations et angoisses éventuelles. La procédure venait à peine de démarrer. Ces jeunes gens se demandaient alors quelle tactique adopter pour réussir à remplir leur dossier. Ils doutaient de la pertinence de cette nouvelle plateforme pensée, selon le gouvernement, comme un outil plus fiable que feue APB vilipendée de toutes parts pour ses dysfonctionnements passés.

Lors de la dernière session, à l’issue de la troisième phase, 87 000 bacheliers n’avaient pas obtenu de place dans l’enseignement supérieur. Ils étaient encore 3 600 après la procédure complémentaire.


Le gouvernement s’est largement reposé sur ces naufragés et le recours – minoritaire – au tirage au sort pour justifier une réforme d’ampleur. Durant cette séquence de communication, Frédérique Vidal, la ministre en charge de l’enseignement supérieur, ancienne présidente de l’université de Nice par ailleurs, s’est gardée de confirmer qu’une forme de sélection était ainsi instaurée. La loi « Orientation et réussite des étudiants » a été adoptée sans difficultés et promulguée le 8 mars. Les recours formulés par des parlementaires et des organisations étudiantes et lycéennes ont été rejetés par le conseil d’État et le conseil constitutionnel. Les opposants à cette loi essaient encore de faire plier l’exécutif en manifestant. Le 15 mars, les lycéens ont appelé à défiler dans les rues. Signe que tous les problèmes ne sont pas encore écartés.

Cette semaine, une note interne de l’Inspection générale de l’administration de l’Éducation nationale et de la recherche (IGAENR), révélée par Le Monde, met en garde contre une loi qui « pose des difficultés philosophiques ou techniques ».


Preuve, par l’exemple, en raison d’une surchauffe (prévisible) des serveurs de Parcoursup, le ministère a octroyé cinq heures de délai supplémentaire aux impétrants pour achever de graver leurs vœux dans le marbre informatique. 

En définitive, pour Louise, Nawell, Jean-Marc et Ugo, les dés sont jetés. Leurs choix finaux sont conformes à leurs aspirations. Ils espèrent que le logiciel ne leur jouera pas de mauvais tours. 

De leur propre aveu, la procédure est anxiogène.

Si le site officiel Parcoursup affiche sur sa page une photo de jeunes souriants, prêts à conquérir l’avenir, la réalité se révèle un peu plus contrastée. 
Nawell Aissaoui est en terminale littéraire à Saint-Omer, dans le Nord. La jeune femme avait quelques hésitations sur la voie à emprunter après le baccalauréat. Elle a tranché ses dilemmes. Elle fera du théâtre en parallèle de son cursus en licence LLCE (langues, littératures et civilisations étrangères) d’anglais. Puis elle entend passer le Capes et devenir professeure. Ses rêves de journalisme sont, pour le moment, mis sur pause. Nawell a 12 de moyenne générale et quelques points de plus en langues, son point fort.

Son bilan de Parcoursup ? « Je stresse plus que pour le bac. Quand j’ai saisi mes vœux, j’ai eu peur de commettre une erreur car si jamais je le remplis mal, c’est fichu. » Pourtant, elle n’a formulé que deux vœux, sur les dix possibilités offertes par la procédure. Et pour cause, elle est déterminée à intégrer une fac d’anglais dans son académie, à Lille. Elle compte sur le fait que cette filière n’est pas saturée de demandes et elle a confiance en ses notes. Même si elle a eu quelques frayeurs. Nawell Aissaoui a expérimenté les pannes du site lorsqu’elle a renseigné ses souhaits d’orientation. « Je n’arrivais à rien inscrire, il y avait un message d’erreur, le pire c’est que je n’ai même pas attendu la dernière minute. Là encore, mon frère a fini par me prêter main-forte avec une grosse responsabilité pour lui, ne pas se tromper non plus. J’ai tout rempli deux semaines avant la clôture et j’ai tout confirmé deux jours avant la fin. » 



Louise Burgund, 17 ans, élève de terminale S à Paris dans un établissement privé, est bien moins rassurée. Elle est plutôt bonne élève et caresse l’espoir d’intégrer une fac de médecine, la très désirée Paces. Elle a conscience de la concurrence effrénée et du caractère hautement sélectif de cette discipline. De fait, elle a élaboré avec soin sa stratégie, et par réalisme, des solutions de repli. Un temps, elle avait vaguement envisagé de devenir ingénieure. Cette option a été écartée, « car on n’y est pas aussi utile qu’en médecine ».

Louise considère que son aventure Parcoursup s’est «  plutôt bien passée ». Dans son lycée, les élèves devaient avoir achevé leur processus d’orientation une semaine avant la date butoir afin d’éviter les bugs de dernière minute. Elle a demandé les sept universités parisiennes de médecine, en vœu groupé. Le taux de réussite y est bas, de l’ordre de 40 %. « Ce système est vague, on ne sait pas trop s’il faut mettre un seul vœu », dit-elle. Elle a également postulé à trois licences alter Paces qui permettent de suivre des études de santé, avec certains modules médicaux, par une voie alternative. Ici encore, il faut obtenir de très bonnes notes en licence.

Elle a entendu parler de l’alter Paces par un camarade de classe et s’est renseignée par la suite plus en détails. Il faut dire que Louise a utilisé tous les moyens à sa disposition afin de dissiper la brume. Outre ses recherches personnelles, les conseils de ses professeurs, de sa « responsable de niveau » très au fait de la réforme, de deux conseillers d’orientation, la jeune fille s’est rendue dans plusieurs universités pour participer aux journées portes ouvertes. Elle est loin d’être la seule à avoir eu cette idée. « Il y avait énormément d’attente à la Sorbonne. Dans la queue, des étudiants venaient nous parler de leur cursus, de leur expérience et nous livraient des conseils pour organiser son travail par exemple. D’autres essayaient de nous vendre les services de prépas privées. » Des vidéos ont été diffusées dans les amphithéâtres. « Nous sommes dans l’inconnu total. Avec la réforme tout peut changer et tout est flou. »

Ugo Thomas, président du Syndicat général des lycéens (SGL), est lycéen à Nantes en terminale ES (économique et sociale). Il a terminé de remplir son dossier plus d’une semaine avant la date limite. « Mais le matin même, j’ai changé un vœu même si tout a un rapport avec l’histoire. Cela m’inquiète car j’ai fait une seule demande dans mon académie et je me demande si j’aurai d’assez bonnes notes pour aller ailleurs. Parce que ce vœu-ci est celui dont je ne veux pas car il s’agit d’une licence d’histoire-géographie et je n’aime pas cette dernière matière. »

En effet, en raison de son engagement associatif en tant que président de l’association lycéenne SGL, Ugo a moins de temps à consacrer à ses devoirs même s’il conserve, dit-il, de bonnes appréciations par ses professeurs mais, «  hélas, cela ne compte pas autant que les notes. Du coup, je ne sais pas où je vais finir même s’il y a peu de chances que je me retrouve sans rien, même si j’aurais aimé avoir plus que dix vœux pour multiplier les demandes de formation ». Du reste, l’adolescent confie ne pas avoir été stressé plus que ça le temps de la procédure. Lui a la chance de connaître les arcanes de Parcoursup puisqu’il a participé jusqu’à l’automne aux réunions du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche lors de la réflexion autour de la future réforme. 


De la difficulté d’écrire un C.V. à 17 ans

Jean-Marc Remande est élève de filière professionnelle et ambitionne d’intégrer l’université malgré les tentatives de dissuasion. Il est actuellement en bac pro Accompagnement, soins et services à la personne dans un lycée de Falaise, près de Caen (Calvados). Jean-Marc Remande a validé ses vœux à la dernière minute, les deux derniers jours, car auparavant il était en stage. Et pour optimiser ses chances de correctement remplir son dossier, il avait besoin de l’aide de ses professeurs. « C’était la folie, le site était tellement saturé qu’il fallait attendre cinq ou dix minutes pour y accéder  », explique-t-il.

La procédure en tant que telle ne l’a pas dérangé mais le message à destination des bac pro leur indiquant qu’ils auront plus de chances de réussir en BTS l’a choqué : «  C’est une incitation à la sélection. Il y a un onglet apprentissage qui s’affiche en gros sur le site pour nous dire que c’est là-bas notre place. Comme si on ne pouvait pas aller à l’université. C’est de la dissuasion et on nous dit ainsi qu’on est trop bêtes pour y réussir. C’est violent. Ce n’est pas au gouvernement de choisir ce que je vais faire plus tard de toute façon. »

En règle générale, les titulaires d’un bac professionnel sont découragés d’aller à l’université, en raison de leur taux de réussite de l’ordre de 5 %. Si les BTS leur sont dévolus à l’origine, il apparaît qu’en réalité, ils ne sont pas les seuls à demander à les intégrer. Ce qui entraîne de fait des problèmes de place. Le jeune homme a demandé six licences d’histoire et deux DUT hygiène et sécurité qui lui permettront d’accéder à son rêve de devenir sapeur-pompier. Ses professeurs lui ont conseillé d’aller en BTS mais lui est passionné d’histoire et aimerait décrocher un master pour ensuite poursuivre des études et concrétiser son but professionnel. La brigade militaire qu’il souhaite intégrer demande d’être titulaire d’un master. 
Il a utilisé Internet pour se renseigner plus précisément sur le contenu des formations. Et en allant dans les universités pour tenter de les bloquer, il a pu discuter avec des étudiants.

Il ne décolère pas contre le gouvernement qui veut « imposer un tri social pour mettre les classes populaires de côté  ». Il a participé aux différentes actions de lutte contre la réforme du baccalauréat et celle de l’université. « Ce qui se passe actuellement est plus dangereux que le CPE. Il faut se mobiliser.  » 




La procédure n’est pas (encore) finie. Les lycéens disposent encore de quinze jours pour concevoir leurs « projets de formation motivée » : ceux-ci doivent joindre leur C.V. et lettres de motivation pour chacune des formations escomptées. 

Avec ce premier casse-tête : qu’inscrire dans son curriculum vitae lorsqu’on a 17 ans ? Sur Twitter, où les lycéens aux prises avec Parcoursup ont livré leurs états d’âme avec drôlerie, l’un d’entre eux se désolait de n’avoir pour compétences que « dormir et manger ».

Comment écrire une lettre de motivation originale et argumentée ? Les parents, frères et sœurs aînés, amis déjà à l’université vont être mis à contribution. Internet et le copier-coller plus ou moins réinterprété sont aussi des adjuvants envisagés. Dans le lycée de Nawell Aissaoui, les plus désarmés, ou dépourvus de scribes, ont eu recours aux services de sites – payants ou non – fournissant des lettres de motivation livrées clés en main. 



Ses professeurs ont pu aussi l’aider mais elle explique par exemple que l’un d’entre eux ne comprenait pas pour quelle raison les candidats devaient inscrire une préférence, motivée en 1 500 caractères. C’est une nouveauté de Parcoursup, et non des moindres. Dans l’ancien système, il fallait hiérarchiser les vœux par ordre de préférences et l’algorithme s’occupait de la répartition. Aujourd’hui, les candidats sont invités à inscrire les formations désirées, dans n’importe quel ordre. Ils recevront une réponse pour chacun de ces vœux. Et ce petit texte permettra d’éclairer la commission d’accès à l’enseignement supérieur, créée par la réforme, pour faire des propositions aux candidats ayant reçu des réponses négatives. 



Et encore, Louise Burgund a pu compter sur ses parents pour l’épauler dans la rédaction de ses lettres de motivation car elle considère qu’elle ne sait « pas bien rédiger ». Elle entend aussi mettre en valeur son activité bénévole. À Noël, elle a fait des maraudes dans une association. Louise a déjà un C.V. de prêt, celui qu’elle avait fait pour un stage en seconde. Là encore, il a fallu faire preuve d’inventivité pour l’étoffer. « J’ai rajouté les différents logiciels que j’ai appris, l’attestation de sécurité routière. J’ai aussi prévu de passer bientôt une formation de premiers secours. »

Si la trame sera plus ou moins identique, elle compte y accorder une attention particulière car « on ne sait jamais, on ne sait pas à quel point ces lettres seront lues mais dans le doute, il vaut mieux s’appliquer. Les filières de médecine sont prisées, on ne peut rien prévoir, on ne sait pas quelle stratégie adopter. Et encore je me sens chanceuse, je suis entourée, mes parents m’aident pour ces lettres et mon dossier n’est pas catastrophique  ». Elle y précisera aussi qu’elle prodigue de l’aide aux devoirs, histoire de montrer qu’elle est bonne élève et responsable. 



Autour de lui en revanche, Ugo Thomas a observé que pas mal de jeunes étaient stressés par la procédure, notamment pour des raisons de calendrier. « Beaucoup angoissaient car ils pensaient que le dossier complet devait être déposé pour le 13 mars. Tout le monde s’est par exemple demandé quoi mettre dans les C.V. Aujourd’hui encore, il y en a qui ne savent pas vraiment où ils veulent aller. Ils ont lancé dans la mare plein de morceaux de pain pour voir ce qui mord à la fin. »



Lui est avantagé pour son C.V. qui regorge d’activités associatives valorisantes même s’il lui faut passer le premier barrage des notes. « La plupart vont simplement inscrire leur stage de troisième. Les plus fortunés pourront rajouter le BAFA, des séjours linguistiques ou la pratique de l’équitation, là où les autres n’auront rien à mettre. »

 Ugo Thomas considère que demander des lettres de motivation à des jeunes gens de 17 ou 18 ans n’a pas de sens. « Cela va être le bal des hypocrites, rit-il, les candidats vont se retrouver à vanter des formations dont ils ne connaissaient pas l’existence il y a un mois.  »

Ugo a une astuce pour gagner du temps. Il a examiné avec attention les attendus de toutes les formations visées. « Lorsqu’ils écrivent qu’il faut avoir une curiosité intellectuelle, j’ai mis que je suis curieux, etc. J’ai fait un brouillon mais c’est encore trop long. Ma lettre fait 2 500 caractères, il y en a 1 000 de trop… »

Ensuite, les lettres seront relues par des amis pour des corrections éventuelles. Ugo Thomas mesure sa chance : « J’ai un bon réseau social, j’ai beaucoup d’amis dans le supérieur en licence. Mais pour ceux qui n’ont pas leurs parents ou des amis pour les aider, cela va être plus compliqué. Ils vont se retrouver seuls face à leur copie. »

 Évidemment, personne n’est sûr que toutes les lettres vont être lues dans les universités. « Les notes vont servir à départager les candidats d’abord. Puis s’il faut encore faire un tri, les motivations des candidats vont être consultées. Dans le doute, je vais les soigner car on ne sait jamais. Mais tout cela reste inégalitaire  », explique-t-il.


L’étape de rédaction des lettres de motivation à joindre au dossier n’effraie pas plus que cela Jean-Marc Remande. « Il faut juste dire qu’on est motivé, c’est tout. Je vais expliquer que je suis passionné d’histoire depuis toujours.  » Il s’implique par ailleurs dans une association qui transmet l’histoire des cheminots, l’ACF. Pour la case C.V., c’est encore plus simple. Il est pompier volontaire et a fait plusieurs stages. En revanche, Jean-Marc Remande pointe le caractère intrusif des demandes, notamment la nécessité de préciser les revenus annuels des parents. 
« On ne sait pas où on va se retrouver l’année prochaine.
 On est lâchés en pleine nature.  »

Les parents de Nawell Aissaoui lui ont laissé l’entière responsabilité et toute latitude pour choisir sa filière en fonction de ses envies professionnelles. Mais encore une fois, son frère aîné s’est révélé être son allié indispensable : « Je me suis fait aider par lui pour la rédaction car il fallait que les lettres soient très claires et précises car la fac que je vise est très demandée. » La jeune femme a mis en valeur ses séjours à l’étranger, en Grande-Bretagne et en Espagne. Ainsi que son intérêt pour l’histoire, la littérature et la philosophie. « On se focalise sur l’anglais mais on oublie que ces matières entrent aussi en ligne de compte. » Elle s’est aussi rendue à une journée portes ouvertes à l’université de Lille-3 afin de voir les bâtiments et « sentir l’ambiance  ».

Quant au C.V., elle persiste à trouver cela « inutile  ». Elle-même ne se souvenait même pas des dates de son stage de troisième et se dit qu’il n’y a pas grand-chose à y inscrire. « Là, pour une fois, les bac pro sont avantagés. » 
La jeune fille doit maintenant s’atteler à sa demande de logement étudiant et de bourse. Encore un peu plus de démarches administratives. De l’avis des jeunes, cette année est chargée. Désormais, ils doivent patienter jusqu’au 22 mai, date à partir de laquelle ils auront peu à peu des réponses sur leur avenir. Ils apprécieront à ce moment-là l’efficacité de leurs stratégies respectives.