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En AG, les étudiants de Nanterre maintiennent le blocage - Faïza Zerouala, Médiapart, 19 avril 2018

jeudi 19 avril 2018, par Laurence

En assemblée générale, les étudiants de Nanterre ont voté la poursuite du blocage jusqu’au 2 mai. En pointe dans la contestation contre la loi Orientation et réussite des étudiants, l’université fait partie des quatre établissements totalement bloqués en France. L’intervention policière de la semaine dernière a laissé des traces.

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Le problème des éléments de langage, c’est qu’ils finissent par imprimer. Emmanuel Macron n’aurait peut-être pas dû traiter à deux reprises les étudiants mobilisés d’agitateurs professionnels, puisque l’expression était sur toutes les lèvres, lors de l’assemblée générale du jeudi 19 avril à l’Université de Nanterre. «  Pour une poignée d’individus, on est nombreux », ironise Moïra. Depuis deux semaines, la vie sur le campus s’étire entre blocages, AG et manifestations.

Beau temps oblige, celle-ci s’est tenue en plein air sur la pelouse. À la sortie du RER, le bâtiment de l’Université Paris-X met en avant les commémorations de Mai-68. Depuis le début de l’année, les universités frémissent contre cette loi avec une accélération dans la mobilisation depuis quelques semaines. Quatre universités sur environ 70 sont toujours totalement bloquées. Et même Sciences Po, à Paris – école de l’élite républicaine par laquelle Emmanuel Macron est passé – est entré dans la danse.
Sur le campus, une banderole tranche d’un péremptoire « Balaudé, tu n’es pas sélectionné  » du nom de Jean-François Balaudé, le contesté président de l’université. Sans le vouloir, celui-ci a catalysé la mobilisation en autorisant les CRS à intervenir le 9 avril, alors que les jeunes étaient réunis en assemblée générale, au motif que des individus extérieurs se seraient mêlés aux autres. Sept étudiants ont été interpellés à la suite de cette irruption violente des forces de l’ordre. Beaucoup, dix jours après, racontent encore en être « traumatisés ». La colère n’est pas retombée. Les AG font le plein. Plus de 1 300 personnes sont présentes ce jour. Celle de mardi avait réuni 1 600 participants.

Sur le campus, quelques graffitis fleurissent, dont le très drôle « Ce tag est légitime, il a été voté en AG ». Cette question de la légitimité a largement infusé dans le débat, qui a duré plus de deux heures et demie sous le soleil tapant. Certains contestent le bien-fondé de cette forme de mobilisation. Quelques participants prévoyants ont ouvert des parapluies ainsi transformés en ombrelles.

Pour la majorité d’entre eux, les étudiants réunis ont en ligne de mire la loi ORE, Orientation et réussite des étudiants, promulguée le 8 mars. Censée remédier aux problèmes de places à l’université, la réforme introduit une forme de sélection. Devant l’assemblée, une étudiante réexplique à la tribune les dispositions de la réforme et les modifications futures de la licence. Selon elle, ce nouvel arrêté pourrait permettre de supprimer la compensation entre les matières et les rattrapages. Tous les étudiants qui prendront la parole au cours de la matinée parleront de la sélection introduite par la nouvelle loi, pour la défendre ou la combattre. Seuls la ministre et le gouvernement s’enferrent dans la dénégation.

Le fonctionnement de l’AG finit par être bien rodé. Une jeune fille mesure les temps de paroles, deux minutes, quel que soit le statut de l’intervenant. Elle brandit une feuille sur laquelle est inscrit « Une minute », puis « Trente secondes », afin de signifier à l’orateur qu’il est temps de conclure son propos, afin que ses dernières paroles ne s’envolent pas lorsque le micro lui sera retiré.

Ce matin-là, le micro a accusé quelques pannes, devenant une blague récurrente. À un moment, un jeune homme crie : « C’est Balaudé qui l’a coupé », alors que l’intervenant abordait la question de la répression policière.

Les examens sont pour le moment annulés sine die. « La ministre Vidal a voulu que les vacances et les partiels étouffent la mobilisation. Elle prend de l’ampleur ! Et pas seulement chez les étudiants, il y a les postiers, GDF, les cheminots, les avocats, Air France… », se félicite l’un des intervenants.

Les jeunes assument ce large éventail de revendications et déplorent que le gouvernement et les opposants au mouvement social utilisent cet argument pour « discréditer les luttes collectives ». Voilà pourquoi un jeune homme appelle à « politiser les pelouses et repolitiser la vie étudiante. La fac est bloquée mais nous sommes ouverts ».

Un autre réclame que les femmes de ménages précaires, « les invisibles  » de l’université, soient aussi défendues car « la sélection va toucher leurs enfants  ». Des applaudissements nourris s’élèvent dans la foule. Le sénateur communiste Pierre Laurent participe à l’AG. Après son intervention, il explique être venu pour protester contre l’intervention policière, arguant du fait que les campus universitaires ont toujours été protégés contre cela. Il déplore aussi le manque de moyens «  matériels et humains » dans les services publics, et dans l’éducation en particulier. Le secrétaire national du PCF fustige « la surdité totale  » de Frédérique Vidal.

Des étudiants belges et allemands apportent leur soutien au mouvement. Un éducateur de Clichy vient parler des quartiers populaires. David Pijoan, professeur dans un lycée de Colombes, membre actif du collectif Touche pas ma ZEP qui lutte pour que les lycées des quartiers populaires soient classés en réseau d’éducation prioritaire, a expliqué de son côté que ses collègues et lui ont décidé « collectivement  » de donner des « avis très favorables » à tous les élèves, quel que soit leur niveau, afin de ne pas les pénaliser dans la constitution de leur dossier pour Parcoursup. « Il faut avoir bac + 28 en droit administratif pour remplir ce dossier  », se moque l’enseignant.

Cette démarche de résistance ressemble à celle des enseignants des universités, qui ont décidé de s’affranchir des consignes pour ne pas classer les dossiers des bacheliers en les mettant premiers ex æquo.

Un professeur prend la parole à l’AG et exprime les revendications du corps enseignant. Outre la désormais classique demande d’abandon de Parcoursup, il appelle à ne pas classer les dossiers des étudiants et souhaite l’abrogation pure et simple de la loi ORE. Réunis en assemblée générale un peu plus tôt, les personnels réclament des « états généraux de l’université ». Dans un sublime lapsus, on entend plutôt « états généreux ». L’université se meurt du sous-investissement, constatent plusieurs orateurs.

Un étudiant réclame dix milliards sur cinq ans pour l’université et conseille le visionnage d’une émission de la journaliste Élise Lucet consacrée au CICE (crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi), lequel permettrait de doter convenablement l’université selon lui. Actuellement, le gouvernement promet un milliard « lissé » sur tout le quinquennat.

Les antiblocages donnent de la voix

Au fond de l’assemblée, les antiblocages se font remarquer. Ils applaudissent avec vigueur quand l’un des leurs se saisit du micro pour exposer leur réprobation face à ce mouvement. Ils ont décidé de participer aux AG pour donner de la voix et essayer d’infléchir le vote plutôt que de rester à l’écart. Une poignée d’enseignants les soutiennent.

Au début, les animateurs à la tribune ont expressément signifié qu’il ne fallait pas huer qui que ce soit, y compris si les propos tenus déplaisent. Mais lorsqu’un étudiant évoque «  la démocratie bafouée », le « débat volé » et l’ineptie à ses yeux de la convergence des luttes, quelques cris de protestation s’élèvent.

« C’est pas un bureau des plaintes ici », s’agace un étudiant après le passage de plusieurs contestataires du blocus. Ces derniers, souvent issus de la fac de droit, ont usé de tous les arguments possibles pour convaincre l’auditoire. Un autre étudiant, lassé de ces procédés, se désolidarise de ses camarades et lâche : « Nous ne souhaitons pas être assimilés à ces étudiants en droit égoïstes qui ne pensent pas à la justice. »

Une autre propose un vote électronique. Un jeune homme avec un brin de morgue, rétorque à l’assistance qu’elle n’a pas lu la loi ORE en détail. « Si ça parlait de sélection, de quoi avez-vous peur ? Nietzsche disait que l’égalité est la revendication des esclaves.  » Puis convoque l’esprit de Voltaire : « Ce n’est pas dans les jardins de Nanterre qu’on refait le monde, mais en cultivant son jardin. »

Charlotte, étudiante en licence de droit français et allemand, se dit contre la loi mais opposée au blocage. « Vous parlez d’avenir mais si on ne passe pas nos examens, on n’en aura pas ! » Gros succès de cette saillie chez les antiblocages, soudés au fond de la pelouse car « ils ont peur », persifle un pro-blocage. « Faites des manifs, mais laissez-nous travailler !  », conclut-elle. C’est exactement ce qui est prévu ensuite, même si l’AG s’étire en longueur. Nanterre s’est joint à la manifestation interprofessionnelle du jour.

De petits apartés animés entre pro et antiblocages éclatent çà et là. Une jeune fille et un jeune homme s’écharpent à l’écart. La tension est manifeste, et la première se plaint de se faire « agresser » par ceux qui sont opposés à la grève.

Georges, un étudiant en droit opposé au blocage, explique qu’il aimerait un débat de fond entre plusieurs étudiants aux positions opposées, afin de livrer toutes les clés de compréhension de ce qui se noue autour de cette loi. Il fustige l’absence de représentativité de «  ces comités de je ne sais pas quoi autoproclamés  ». Impossible selon Léna, une étudiante fortement mobilisée, car il existe trop de «  nuances » parmi les étudiants. « Il y a des pro-blocages contre la loi ORE, d’autres contre la loi mais opposés au blocage. D’autres sont pour la loi ORE mais soutiennent le blocage, car cela leur donne du temps pour mieux réviser », assure-t-elle.

Un autre exprime sa joie de voir ses camarades réfléchir ainsi pour « changer les choses  » collectivement. « Et avant ça, personne ne connaissait Balaudé, on a appris un truc », ajoute-t-il. L’intéressé, héros involontaire de la matinée, est présent pour entendre les piques dont il est l’objet. Entouré de plusieurs agents de sécurité, il s’est inscrit pour le tour de parole, comme n’importe quel participant.

Il commence par faire un clair mea culpa : « Je regrette infiniment les circonstances de l’intervention policière et j’en déplore les conséquences. Je comprends la colère et l’émoi  », a-t-il immédiatement avancé (lire notre article sur le sujet des interventions policières dans les universités). Il a aussi promis qu’il pèsera « de tout son poids  » pour que les charges contre les sept étudiants interpellés soient abandonnées. Il a aussi plaidé pour que se tiennent les examens, avant tout pour les étudiants en contrôle terminal, qui « n’auront pas de seconde chance  ». Lui aussi soutient la tenue d’états généraux de l’université. Désespérément, le président aura essayé de retisser le lien rompu avec les professeurs et les étudiants. Dans la foule, malgré la consigne de respecter les intervenants, plusieurs « Balaudé démission  » ont fusé.

D’autres lui répondront ne pas vouloir céder au «  chantage » à l’examen. Victor, du NPA et de l’Unef, figure de proue de la contestation à Nanterre, lui aussi arrêté le 9 avril, décide de répondre à « Jean-François, du deuxième étage, bâtiment B  ». Pour l’étudiant, la présidence a d’ores et déjà perdu la bataille. « La direction, elle est dans cette AG », clame-t-il. Il lui intime de se positionner «  pour la relaxe  » des jeunes, et ensuite de quitter son poste.

Plus loin, Jean-François Balaudé s’explique encore auprès de quelques journalistes et appelle inlassablement à «  ouvrir le dialogue  ». Lequel semble au point mort, comme les commissions d’examen des dossiers. « Elles sont constituées », assure-t-il, mais il n’est pas capable d’expliquer comment elles vont pouvoir fonctionner dans le temps imparti, puisque les universités disposent tout juste d’un mois pour boucler le processus. « Si on suspend Parcoursup, on n’aura aucun étudiant  », avertit le président, alors que l’université est aujourd’hui saturée. Balaudé met en avant la rallonge financière qu’il a pu obtenir du ministère : 300 000 euros. Une goutte d’eau au regard du budget annuel de 190 millions d’euros de l’université.

Arrive le vote. À l’issue du comptage, organisé en groupes mêlant pro et anti, les étudiants décident que leur prochaine AG se tiendra le 2 mai. La poursuite du blocage est adoptée à 1 087 voix pour, 342 contre et 24 abstentions.