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« Parcoursup constitue un retour en arrière de deux siècles » - Pierre Merle, Le Monde, 5 juin 2018

mercredi 6 juin 2018, par Elie

La sélection opérée par la plate-forme est fondamentalement porteuse d’injustices, explique le sociologue Pierre Merle dans une tribune au « Monde ».

A l’occasion de la publication des premiers résultats de la plate-forme Parcoursup, le 23 mai, à peine plus d’un candidat sur deux avait reçu une affectation, plus de 300 000 étaient en attente, et 29 000 avaient tous leurs souhaits refusés (des propositions leur seront ultérieurement présentées par la commission rectorale de leur académie).

Au 1er juin, 575 000 candidats ont au moins une proposition, mais 16 000 d’entre eux ont cependant quitté la plateforme, 199 000 sont encore en attente, 24 000 sont toujours sans proposition, plus de 5 000 ont sollicité l’aide de la commission rectorale ad hoc et presque 7 000 se sont désinscrits.

Parcoursup ne règle pas le problème de l’affectation de candidats dans des filières qui n’ont pas été conçues pour eux

La ministre Frédérique Vidal s’est réjouie de l’augmentation rapide de la proportion de candidats ayant obtenu au moins une proposition. Outre le nombre croissant d’abandons, Parcoursup soulève de nombreux problèmes. Parmi les candidats encore en attente, déçus et inquiets, les bacheliers des filières professionnelles et technologiques sont surreprésentés. Pourquoi ?

Anticipant un refus d’inscription dans les filières universitaires, ces étudiants ont adapté leur stratégie d’orientation et ont plus souvent choisi les filières professionnalisantes courtes, BTS et IUT, qui correspondent mieux à leurs parcours. Or ces filières sont également très demandées par les bacheliers généraux, et la sélection favorise davantage ces derniers, jugés plus aptes à réussir des études supérieures. Parcoursup ne règle donc pas un problème essentiel de l’enseignement supérieur : une affectation de candidats dans des filières qui n’ont pas été conçues pour eux.

L’augmentation de l’offre de ces filières courtes serait bienvenue. La ministre de l’enseignement supérieur y est favorable, mais les choix financiers du gouvernement ne permettront que des ajustements marginaux. Ce qui est dommage tant pour les jeunes que pour la nation.

Une autre limite de Parcoursup est de ne pas assurer une sélection juste des candidats. Les conseils de classe, qui évaluent chaque lycéen selon les critères définis par Parcoursup (autonomie, méthode de travail, esprit d’initiative, capacité à s’investir), ont des pratiques divergentes. Certains conseils ont essayé de répondre le mieux possible à ces critères. D’autres, considérant qu’il n’était pas possible de réaliser une évaluation objective sur des critères jugés subjectifs et/ou souhaitant donner le plus de chances possible à leurs élèves, ont décidé de mettre les appréciations " très satisfaisante " ou " satisfaisante " à la quasi-totalité d’entre eux. La tentation d’aider les élèves de l’établissement, voire le favoritisme, est inévitable. Une sélection juste ne peut pas émerger de telles pratiques.

La prise en compte des notes de chaque candidat est tout aussi problématique. Même si les évaluations des lycéens -seront, à l’avenir, organisées sous forme de partiels avec des sujets communs à tous les établissements, les pratiques de notation des professeurs demeureront différenciées selon le niveau scolaire des élèves et les lycées. Les comparaisons des notes dans le cadre de Parcoursup sont donc non pertinentes. Un 15/20 d’un élève de Louis-le-Grand n’est pas comparable à un 15/20 d’un élève scolarisé dans la majorité des lycées de banlieue.

Évaluation nationale impossible

Pour prendre en compte ces différences, certaines universités pondèrent les notes des candidats, notamment en accordant des bonus à certains lycées, compte tenu du classement des établissements. Cette démarche d’équité, séduisante, est pourtant inappropriée. Outre un classement des établissements discutable, ce classement est ordinal (il définit un ordre du premier au dernier), mais il n’est pas cardinal. Il ne définit pas des niveaux de compétences moyens des établissements. Ainsi, à une différence importante dans le classement des lycées peut correspondre une différence faible en termes de niveau moyen des élèves.

Pour sélectionner des candidats, inférer du classement des établissements des différences de compétences entre les élèves est statistiquement aberrant. C’est pourtant la démarche de Parcoursup lorsque les notes des candidats sont pondérées. Il en est de même lorsque les notes ne sont pas pondérées, alors même que les notes ne sont pas comparables d’un établissement à l’autre, voire d’une classe à l’autre. Au fondement de la justice scolaire, le principe de l’égalité de traitement est clairement bafoué.

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