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Les contrats en or d’un garde du corps de Macron à la fac de lettres de Montpellier - Antton Rouget et Matthieu Suc, Médiapart, 11 décembre 2018

mardi 11 décembre 2018, par Laurence

L’entreprise de sécurité APS Sud a facturé pour plus de 260 000 euros à l’université Montpellier 3. Un ancien garde du corps de Macron travaille dans cette entreprise, dont le devis a été transmis à la direction de l’université par une responsable de LREM. Le marché a été obtenu sans appel d’offres ni mise en concurrence, alors qu’une autre entreprise était déjà sous contrat avec l’université.

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Au printemps 2018, la direction générale des services, la direction des affaires financières et les agents comptables de l’université Paul-Valéry de Monvtpellier sont sur le pied de guerre. Ils doivent se conformer à une « demande de la présidence » : embaucher une société de sécurité alors qu’une autre est déjà sous contrat. La démarche crispe certains fonctionnaires. Mais ils doivent s’y conformer : « C’est hautement politique  », explique l’un d’eux.

Selon les informations de Mediapart, un ancien garde du corps d’Emmanuel Macron a obtenu, pour le compte de la société de sécurité pour laquelle il travaille, un contrat de plus de 260 000 euros, sans appel d’offres ni mise en concurrence, auprès de l’université de Montpellier. Le premier devis de la société a été transmis à l’université par l’intermédiaire d’une représentante locale de La République en marche (LREM).

L’entreprise APS Sud a commencé sa mission sur le campus de l’université Paul-Valéry le 13 avril, dans un contexte de forte tension sociale. Deux jours plus tôt, un groupe de manifestants opposés à la loi relative à l’orientation et à la réussite des étudiants (loi ORE) avait attaqué la salle des serveurs de l’université afin d’empêcher la tenue des examens en ligne.

D’où la volonté de la présidence de l’établissement de multiplier les postes d’agents de sécurité présents sur le campus en grève. Mais, plutôt que de prendre des renforts chez Prosegur, le prestataire habituel de l’université, qui a remporté le marché de sécurisation de l’établissement, l’université s’est tournée vers une autre société de sécurité, APS Sud, une petite structure basée à Narbonne, à une centaine de kilomètres de là.

« Un jour, ACI [une autre entreprise locale – ndlr] m’a appelé pour me dire qu’il y avait des besoins à la faculté de Montpellier  », explique à Mediapart Moustapha Bouzbiba, le patron d’APS. Pour se positionner sur le contrat, le fondateur de cette PME prend attache avec Kader Rahmouni, ancien garde du corps d’Emmanuel Marcon.

Les deux hommes se sont rencontrés pendant la campagne d’Emmanuel Macron. Bouzbiba a été bénévole – chargé de l’accueil – lors de plusieurs événements du candidat, à Paris ou à Lyon. « On a pris un minibus entre copains pour des meetings. Je l’avais déjà fait pour Sarkozy ou Hollande, je suis apolitique », précise-t-il.

Kader Rahmouni – qui n’a pas répondu à nos multiples sollicitations – « s’est beaucoup impliqué » dans la campagne, dit Moustapha Bouzbiba. « Il s’est investi plus que tout le monde, ajoute-t-il, et à travers cela, il s’est fait des connaissances. »

Intégré au dispositif de sécurité du candidat, Kader Rahmouni est par exemple dans l’ombre d’Emmanuel Macron, en compagnie d’Alexandre Benalla, lors du déplacement du candidat En Marche ! sur le site de l’usine Whirpool, en Picardie, dans l’entre-deux-tours. L’agent de sécurité est également présent en bonne place lors du dernier meeting de la campagne, à Albi.

On le voit aussi contenir, difficilement, la foule qui cherche à serrer la main du candidat Macron lors du meeting à la porte de Versailles, à Paris, le 10 décembre 2017. À ses côtés pour établir de leurs corps un cordon de sécurité (voir la vidéo ici), Alexandre Benalla et Vincent Crase, gendarme réserviste chargé de sécurité à En Marche !, les deux hommes à l’origine de l’affaire qui a fait trembler l’Élysée cet été.

« Kader a pensé qu’ils allaient lui filer un vrai poste après », croit savoir Bouzbiba. Mais une fois l’élection passée, Rahmouni n’a pourtant pas trouvé de point de chute chez En Marche !, à l’Élysée ou dans un ministère. Selon le patron d’APS Sud, le jeune homme s’est quand même constitué un réseau local. « En étant présent sur les meetings de Macron, Kader a pu taper dans l’œil des gens d’En Marche ! dans l’Hérault », explique Moustapha Bouzbiba.

Après la présidentielle, M. Rahmouni a travaillé pour la députée LREM de la 3e circonscription de l’Hérault Coralie Dubost. En mai 2018, lors de la visite à Montpellier de la ministre des sports de l’époque Laura Flessel, l’ancien garde du corps d’Emmanuel Macron est présent, équipé d’une oreillette. En quelle qualité ? Coralie Dubost ne nous a pas répondu.

Kader Rahmouni a un carnet d’adresses. Et c’est cela qui intéresse le patron d’APS. « Quand on veut un contrat, on envoie sa plaquette de présentation mais on cherche aussi des relais », justifie Bouzbiba. Il organise un rendez-vous avec Rahmouni à l’Odysseum, un centre commercial de Montpellier, dans le courant du mois d’avril, pour parler spécifiquement des besoins de l’université. « On a pris un café, et Kader m’a dit : “Moi, il y a quelqu’un que je connais et qui peut aider” », se souvient Bouzbiba. Qui était cette personne et quelle était sa fonction ? Le patron d’APS dit ne pas le savoir.

En revanche, selon nos informations, le premier devis d’APS Sud a été transmis à la direction de l’université par Charlyne Péculier, représentante locale de LREM, référente pour la région Occitanie des Jeunes avec Macron, qui se présente aussi comme une collaboratrice de la députée Dubost.

La jeune femme s’adresse le 13 avril, en fin de journée, quelques heures après le début de la mission d’APS Sud, au vice-président de l’université François Perea : « Vous trouverez en pièce jointe le devis fait par Kader Rahmouni pour la surveillance de l’université. Cordialement. » Bouzbiba s’étonne : il assure à Mediapart qu’il « ne connaî[t] pas  » Charlyne Péculier.

Pourquoi le devis est-il passé par une représentante du parti présidentiel ? Le président de l’université Patrick Gilli n’a pas répondu à cette question, se contentant d’expliquer qu’APS Sud a été « sélectionnée  » pour ses compétences et parce qu’elle était en capacité de répondre « aux besoins de renforts exceptionnels  ».

« Plusieurs altercations ont eu lieu avec des étudiants  »

Sur le terrain, Kader Rahmouni est le « chef de site » d’APS Sud. C’est lui qui coordonne, en lien avec la présidence de l’université, les équipes de sécurité, dont un maître-chien. Au bout d’une première journée de présence de l’équipe de Kader Rahmouni, un responsable de la sécurité de la fac alerte directement le président de l’université au sujet de cette société « que vous avez pris en renfort », s’inquiète de son manque de professionnalisme et de son attitude qui pourrait être assimilée par des grévistes à de la provocation.

Quatre jours plus tard, un étudiant, une enseignante et une syndicaliste convoquent la presse sur le parvis de l’amphi A. «  Ils sont venus pointer du doigt les violences policières dont ils ont fait l’objet samedi dernier lors de la manifestation interluttes. Mais aussi interpeller l’opinion sur la présence d’agents de sécurité qui seraient, selon eux, envoyés par le président de l’université, Patrick Gilli : “Ils sont avec des chiens et déjà plusieurs altercations ont eu lieu avec des étudiants et des personnels”   », rapporte Le Midi-Libre.

Facturée 17 300 euros, la première mission d’APS, du 13 au 17 avril, a été la première d’une longue série. Selon nos calculs, l’entreprise a touché plus de 260 000 euros depuis qu’elle a été recrutée par l’université Paul-Valéry : autour de 230 000 euros au printemps 2018, mais aussi 30 000 euros pour les quelques jours de mobilisation sociale depuis la rentrée. Un montant que l’université n’a voulu ni confirmer, ni commenter.

M. Bouzbiba défend le sérieux de son entreprise : « Moi, j’ai payé mes salariés. J’ai tout facturé. Tout est clair, mes mecs, ils pointaient. Si je n’avais pas travaillé sur ce site, j’aurais pu plier la boutique. Je suis chef d’une petite entreprise, la plupart des mecs qui bossent avec moi, ils ne bosseraient pas sinon. L’argent est rentré, et il est ressorti. J’ai fait vivre du monde. »

Au sein de l’administration, la situation contractuelle de la société de Kader Rahmouni n’est pas allée sans susciter des interrogations. Le 22 mai, le paiement d’une facture de 45 300,48 euros a provoqué quelques sueurs froides.

Selon les statuts de Paul-Valéry, le président n’a une délégation de signature que pour les prestations inférieures à 40 000 euros. Ce seuil passe à 500 000 euros pour les dépenses relevant des marchés publics. Mais il y a un hic : les prestations d’APS Sud n’ont fait l’objet d’aucun marché.

Après plusieurs jours de discussion, les services finissent par trouver une solution évitant de passer par l’approbation du conseil d’administration de la fac : le président n’a qu’à déclarer que l’université était en « situation d’urgence impérieuse » (en lien avec le saccage de la salle des serveurs) lorsqu’elle a fait appel à la société de sécurité, ce qui la dispense de tout appel d’offres.

Encore faut-il que cela ne contrevienne pas au marché signé avec Proségur. Le contrat avec l’entreprise prévoit que les prestations complémentaires au marché doivent lui revenir. Le 8 juin, soit près de deux mois après le début de l’intervention d’APS Sud dans l’université, la directrice générale des services, Nathalie Vincent, transmet un certificat administratif au président de l’université. Le texte stipule que le prestataire habituel, Proségur, l’un des leaders mondiaux du secteur, n’a pas pu fournir de services complémentaires en avril 2018.

Interrogé par Mediapart, Patrick Gilli répète cet argument : « Face à ce type de situation exceptionnelle, les dégradations et violences ayant atteint un niveau sans précédent, la société Proségur, détentrice du marché et présente depuis le début du conflit, n’a pu répondre aux multiples sollicitations dues aux blocages répétés compte tenu de la surface à maîtriser sur les campus route de Mende (10 hectares) et Saint-Charles » (retrouver la réponse complète sous l’onglet Prolonger).

Étonnant : Proségur sécurise des aéroports, convoie des fonds, supervise des systèmes de télésurveillance et emploie quelque 5 500 collaborateurs dans 27 villes en France, mais l’entreprise n’aurait pas pu mobiliser des agents supplémentaires pour l’université de Montpellier ?

Interrogé par Mediapart, un de ses dirigeants assure pourtant ne pas avoir été sollicité pour des prestations complémentaires au printemps 2018. « Nous n’avons pas reçu de demande pour cette mission-là. On a vu ça [l’arrivée d’une nouvelle entreprise – ndlr] directement par le biais des médias et des réseaux sociaux », indique-t-il. Relancée par Mediapart, la présidence de l’université n’a pas répondu à cette déclaration.

L’université Paul-Valéry ne nous a pas non plus précisé le cadre de l’intervention d’APS Sud depuis la rentrée de septembre 2018. L’entreprise de sécurité était par exemple mobilisée le 9 octobre lorsque l’université a installé, face aux appels à la grève, un dispositif pour « filtrer et empêcher les indésirables de pénétrer dans l’enceinte  ».

Une généralisation inquiétante selon le Snesup-FSU. Dans un communiqué de presse, le 11 mai dernier, le syndicat des enseignants du supérieur avait déploré le fait que les présidents d’université «  font de plus en plus appel à des sociétés privées de sécurité qui accomplissent sous leur autorité des tâches de maintien de l’ordre, dont certaines sont susceptibles de constituer des entorses à la loi : contrôles d’identité, filtrage des étudiants, déblocages de bâtiments, interdiction d’accès aux examens… ». Le Snesup rappelait alors que, selon les termes de l’article L613-2 du code de la sécurité intérieure, il « est interdit aux agents des sociétés privées de surveillance et de gardiennage de s’immiscer, à quelque moment et sous quelque forme que ce soit, dans le déroulement d’un conflit du travail ou d’événements s’y rapportant  ».