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Leur tourner le dos ; s’occuper de nous. 2) Électrochoc - Communiqué(s) de Rogueesr, 21 février, 1er mars 2019

samedi 2 mars 2019, par Laurence, Mariannick

Mise à jour du 2 mars.

Le communiqué de mise en veille de RogueESR a provoqué de nombreuses réactions. Il est temps d’éclaircir quelques points, et d’avancer.

  1. Notre tentative montre (ou confirme) que les moyens d’ordre symbolique, visant à l’interpellation des médias et des dirigeants, sont inefficaces pour obtenir des résultats.
  2. Dans notre communiqué, certaines idées ont été mal exprimées. Clarifions ici autant que possible : l’« éthique de la frugalité » ne faisait pas référence à ce que devraient faire les précaires, mais plutôt aux primes, à la course à l’excellence, à la jetsettisation d’une micro-fraction de l’ESR. Le « nous » faisait référence à l’ensemble de la communauté, en aucun cas aux seul.es titulaires, et à la nécessité d’un minimum d’attention aux un.es et aux autres dans ce milieu. Le « bon courage » final était une manière de dire que ce sont elles et eux, les précaires, qui sont sacrifié.es, et pour tout dire c’est sur la situation intolérable qui est faite aux précaires de l’ESR que nous avons commencé la rencontre avec la ministre et son staff. Il est regrettable que ces messages aient pu blesser certain.es : l’antagonisme principal se situe, pour nous, entre la communauté scientifique et les idéologues-technocrates, et certainement pas entre titulaires et précaires. La situation de ces dernier.es est précisément l’objet de la mobilisation : obtenir des postes pérennes. Notre communiqué a, en tout cas, produit un débat qui permettra, nous l’espérons, de lever certaines incompréhensions et certains manques de discernement de notre part comme de celle des voix critiques.
  3. La pétition initiée en soutien au co-CNRS et portée aux dirigeant.es du Supérieur n’avait vocation qu’à être un ingrédient parmi d’autres possibles d’un mouvement se développant par les initiatives et le travail de chacun.e, et en aucun cas la revendication d’un « leadership ». Il est encore temps et nécessaire que d’autres parmi nous ouvrent de nouvelles voies d’action inexplorées, créatrices et capables d’instaurer un rapport de forces susceptible d’entraîner l’obtention de postes permanents, au CNRS mais aussi, c’est critique, à l’Université. Si cela peut être utile, nous pourrons transmettre aux signataires de la pétition des propositions de mobilisations ultérieures.
  4. La reconnaissance d’un échec, et le retrait de Rogue ESR, visaient aussi à produire un électrochoc : c’est précisément parce que nous n’entendons pas revoir nos interlocuteur.ices d’en haut que nous pouvons dresser un tableau cru de la façon dont l’ESR est déconsidéré dans ce milieu. C’est aussi parce que nous n’avons pas envie de nous bercer d’illusions que nous parlons d’échec, plutôt, par exemple, que de nous attribuer une part du mérite du retrait des frais sur les doctorant.es étranger.es, parce qu’il était prévisible que cette mesure serait la concession formelle anticipée dès le début par les responsables. Par ailleurs, il nous importait de souligner qu’aucun mouvement ne peut se développer par procuration, sans initiatives complémentaires. Pour tout dire, l’absence de soutien et de relais nous a pesé. Nous pensons que cet électrochoc a eu lieu. Il dépend désormais de chacun.e qu’il y ait un rebondissement collectif, ou non.
  5. Le déficit aggravé de postes à l’Université, que chacun redoutait, est maintenant une réalité tangible. La nécessité de postes de personnels ITA et BIATOSS l’est tout autant. Il nous semble important, devant l’échec, de faire grossir la base revendicative.
  6. Si nous annonçons notre mise en sommeil comme structure, ce n’est pas pour jeter l’éponge, mais par conviction que la spécialisation de quelques-un.es dans le militantisme actif ne peut que nuire — ce que nous avons traduit par la volonté de faire aussi notre métier. Nous aiderons dans la mesure de nos forces toutes les initiatives reposant sur une stratégie et des tactiques susceptibles de parvenir au but fixé : empêcher le sacrifice d’une génération de jeunes chercheur.es.

Bon courage aux jeunes chercheur.es et aux doctorant.es.

Bon courage à nous tou.tes.
RogueESR


Suite à la pétition, signée par plus de 12 000 scientifiques, pour exiger la restitution des 300 postes au concours du CNRS en 2019, une délégation du collectif a été reçue à à l’Élysée, au siège du CNRS et au Ministère de l’ESRI.

50 postes rétablis au CNRS dès cette année, soit 5 millions d’euros par an : cette demande de RogueESR était si minime rapportée au budget d’une nation aussi riche que la France, si ridicule rapportée au 5,5 milliards annuels du Crédit Impôt « Recherche » (CIR), mais c’était déjà trop. Voilà ce qui ressort de nos multiples entretiens au sommet de l’Etat. Et ce n’est pas une « Loi de programmation pluriannuelle » – dont les contours sont encore tellement flous – qui changera l’affaire, bien au contraire [1]. Notre démarche aura au moins eu le mérite de montrer que la volonté politique d’en finir avec l’emploi scientifique pérenne est indiscutable : 300 postes au CNRS pour 2019, c’est niet, et aucun discours sur une prétendue volonté de « remettre la recherche au cœur de nos priorités » [2] ne pourra compenser cet état de faits. Et comme une confirmation sortait aujourd’hui même la liste des postes de maître de conférences ouverts au concours, avec un nombre misérable de postes.

Rappelons-le : près de 12 000 membres de la communauté ESR ont signé la pétition [3]
que nous avions lancée le 2 décembre 2018. 12 000 collègues partageant un objectif simple : dans l’urgence d’une crise de l’emploi scientifique, enjoindre le pouvoir à concéder ces postes, afin de se donner une petite bouffée d’oxygène. Ce souhait de rétablir les postes a donc été immédiatement déçu. « Ça pourrait être pire », a commenté Antoine Petit, PDG du CNRS, lors de notre entretien au siège de l’organisme. Le même nous a également indiqué « ne pas être sûr » que le combat que mène une partie de notre communauté contre le crédit impôt recherche (CIR) « soit le bon  », et ne pas croire à une mobilisation d’ampleur de la communauté pour détricoter le dispositif. Pourtant, nos interlocuteurs s’accordent à reconnaître à mots pas si couverts que ça que le CIR n’est pas vraiment du budget recherche. Cette niche fiscale – car ce n’est pas autre chose – compte néanmoins dans le chiffrage (OCDE, UE) de la part du PIB français allouée à la recherche… Dernière étape de notre pèlerinage, notre visite au Ministère nous a également apporté son lot de surprises : Frédérique Vidal nous a annoncé sans ironie que «  plus on se sentir[ait] misérables, moins cela marcher[ait]  ». Oui, sachez-le chères et chers collègues, cette situation catastrophique, vous en êtes responsables « toutes et tous  », comme nous l’a également martelé A. Petit. À croire que ces responsables n’ont aucune responsabilité…

Pour ces gens qui nous « pilotent », l’intérêt de déshabiller Pierre, est de pouvoir ensuite déshabiller Paul pour prétendre rhabiller le précédent, et ainsi de suite. Cela peut durer longtemps, puisque cela permet tout à la fois de fatiguer tout le monde, de consoler de la baisse du nombre de chercheurs en concédant un chouïa d’ITA en plus après dix ans de perte massive de postes, évidemment après avoir rajouté 300 financements doctoraux pour accroître l’armée de réserve, d’abonder un peu plus le budget de l’ANR quand la recherche se meurt de l’absence de crédits récurrents, de ponctionner les étudiants étrangers pour prétendre mieux les accueillir et préparer la suite, à savoir la généralisation de la dette étudiante. Et si des facs se mobilisent, cela finira de fragiliser les plus remuantes – bien fait. C’était écrit dans les Macron leaks, il fallait juste savoir où aller lire le programme. Même le PDG du CNRS ne sait plus convaincre un Premier ministre de l’importance de la recherche publique fondamentale, nous demandant ce que pourrait être un argument efficace... On serait au bord de mobiliser des vieilles citations de Lincoln, de celles qui servent à défendre l’alphabétisation, si on n’était déjà convaincus que finalement ces dirigeants préfèrent l’ignorance.

Nous avons échoué. Cela appelle une réflexion lucide. Les mobilisations en ligne montrent leur limite. Pour une pétition qui fait la différence, combien de milliers échouent dans l’indifférence et l’abattement ? Ne parlons même pas des tribunes. On s’use à force de signer ces lettres mortes.

Alors que reste-t-il à faire pour se préserver et s’auto-défendre ? D’abord, il nous faut tourner le dos à ces gens qui pensent que dialoguer, c’est les écouter soliloquer sur ce qu’ils imaginent être les mondes académiques et de la recherche. Habiter nos métiers, ceux qui permettent de dire le vrai sur le monde, et préserver l’intégrité de nos pratiques. Cultiver une éthique de la frugalité, l’éthique, aussi, d’une internationalisation alternative à celle qu’on nous propose, celle qui passe par autre chose que la mondialisation des guerres de palais académiques entre Pékin et Washington, par classements interposés. Préparer la suite sans doute aussi : continuer à tisser des liens, savoir comment mobiliser des ressources et pouvoir mettre en place des actions en cas d’urgence.

Pour le moment pourtant, nous interrompons les activités de RogueESR, parce qu’être les interlocuteurs de démolisseurs ne nous intéresse pas – et que d’autres seront capables de dire cette colère qui n’a pas vocation à s’émousser dans la tournée des ministères et des bureaucrates. Parce que, aussi, pour défendre un métier, il faut continuer à l’exercer en le faisant correspondre à ce qu’il doit rester : la recherche désintéressée, au sein d’une communauté dont il faut continuer à prendre soin. Nous saurons revenir, plus forts, si le moment se présente.

Bon courage aux jeunes chercheurs et aux thésards.

Bon courage à nous tous.


RogueESR est un collectif de membres de la communauté académique. Il rassemble celles et ceux qui font vivre ses institutions au quotidien, et qui souhaitent défendre un service public de l’enseignement supérieur et de la recherche, ouvert à toutes et tous.

Contact : contact@rogueesr.fr

Twitter : @rogueesr


[1Poke les syndicats et la CPU : Frédérique Vidal préférant parler aux « vrais gens » (sic), ceux que l’on grand-débatise sans doute, vous ne siégerez pas dans les « groupes de travail » nommés par le ministère. Ce que vient de confirmer une dépêche de l’AEF, dans laquelle sont citées toutes les personnalités cooptées pour assurer l’anéantissement de notre milieu une bonne fois pour toutes.

[2Déclaration de F. Vidal au Sénat : https://twitter.com/Senat/status/1092824276846034944