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Le Moment Slutiste

Par Thiers y Coulons

mardi 28 janvier 2020, par PCS (Puissante Cellule Site !)

La chef.[(e)] de SLU (eh oui, les enjeux, et je dirais même, les challenges, du troisième millénaire imposent que même les collectifs se placent, eux aussi, sous la coupe d’un leadership fort, féminin et incarné, aussi appelé leadership FFI), la chef.[(e)] de SLU, donc, m’avait interpellé :

Bon, écoute coco, notre PCS (puissance cellule site) n’arrête pas de mettre sur le site de SLU des infos toutes plus déprimantes les unes que les autres sur la LPPR. En dehors du cabinet du ministère, difficile de trouver quelqu’un qui a lu le moindre petit bout de ce fichu texte sur la LPPR. Les indiscrétions aux journalistes sur la #LPPR confirment les prédictions : enfumage sur les budgets ; enfumage sur la programmation ; dérégulation des statuts ; introduction de la tenure track=chaires ; précarisation et bureaucratisation accrues. La LPPR est annoncée pour la mi-février si un autre texte saute du calendrier parlementaire. Tous les laquais bureaucratiques envoient de fausses indiscrétions qui se veulent rassurantes, pour tenter de désamorcer le mouvement qui monte de partout dans plein d’AG pour arrêter cet écrasement. C’est la cata coco : que cela te plaise ou pas, il faut que tu retournes t’embedder dans ces voeux ministériels au Trocadéro où la ministre de la recherche innovative et disruptive va faire son annonce d’enfumage sur l’augmentation des salaires des jeunes chercheurs et, peut-être, distiller du "rassurez-vous, la modulation de service ce ne sera pas pour tout de suite dans la LPPR, on fera passer ça par expérimentation dans les universités fusionnées.
Par ailleurs, il y a un truc fumant qui se prépare sur l’HCERES. Vraiment,
énorme, trop drôle.Des universitaires vont déposer bientôt leur candidature à la présidence du @Hceres. #NousSommesCandidat, avec une bonne vieille stratégie de saturation de la bureaucratie par elle-même. Essaye aussi de t’embedder dans cette candidature à la présidence de l’HCERES. Le ministère va sûrement se barricader à leur approche si ils essaient de déposer leur enveloppe de candidature à l’ancienne. Je te veux "Inside" !! Capito ?

Bref il faut que tu nous refasses fissa une de tes petites saillies drolatiques à double détente HCERES et Trocadéro. Là franchement tu as du très gros grain à moudre.

Bon, je n’ai pas le choix, mais j’ose, néanmoins, une timide question :

— Est-ce que je pourrais, au moins, citer Saint-Simon ou Shakespeare ?
— Ah ça, je te l’interdis bien ! Tu arrêtes de faire le cuistre et, dans le même ordre d’idée, tu ne nous fais pas un de tes textes de 16 pages comme les dernières fois.

Bon, je ne vous expliquerai pas comment j’ai pu m’introduire dans ce complot pour faire parti des cent premiers signataires/candidats de la Tribune du Monde publiée le lundi 20 janvier annonçant notre projet pour l’HCERES et une candidature collective à la présidence de l’HCERES. Je vous dirais juste que même pour un spécialiste de l’embeddement comme moi, ce ne fut pas simple. Si je vous l’expliquais tout il faudrait que je vous tue après. Je me contenterai donc, sur ce point, de faire une ellipse.

Une fois l’information dévoilée dans le Monde et d’autres medias ainsi que sur le site de RogueESR et autres réseaux sociaux, le nombre de candidats à la présidence de l’HCERES est monté en flèche, 200, 300, 500, 1000, 2000, 3000, ...

Si les candidatures pouvaient être envoyées par la poste avec accusé de réception, il avait été convenu de faire un dépôt solennel de nos enveloppes au ministère, le mardi 21 janvier. Je me déplaçai donc ce mardi midi au ministère pour déposer officiellement avec les collègues, ma candidature à la présidence de l’HCERES, mais comme je suis de nature méfiante (je ne voulais pas que le ministère égare ma candidature), je l’avais déjà au préalable remise à la poste avec accusé de réception pour sécuriser l’opération. Ceinture et bretelle.

Je me dirige donc vers la rue Descartes avec mes deux enveloppes de candidature à la présidence de l’HCERES. Au croisement de la rue Descartes et de la rue Mouffetard une gentille CRS m’indique très aimablement le chemin : "Vos collègues sont plus bas", me dit-elle. Comment a-t-elle pu savoir que je venais pour déposer ma candidature à la présidence de l’HCERES ?
Nous nous retrouvons donc devant le ministère de l’enseignement supérieur disruptif et de la recherche de rupture, le mardi 20 Janvier à midi, affublés d’une toque ridicule pour symboliser nos métiers et habillés tout de noir pour symboliser la mort de nos métiers. Ma suggestion de nous habiller tous en tutu pour avoir plus de visibilité médiatique avait été sèchement rejetée. J’avais pourtant plaidé : "En ce moment, il n’y a que cela qui marche". Peine perdue, pourtant on l’avait déjà fait de se mettre en tutu au moment des manifs contre la loi LRU. On était des visionnaires ! On s’était même mis des perruques blondes pour faire les Pécresses blondes (on se permettait des trucs incroyables en 2009).

On est deux cents dans une file d’entente le long de la rue Descartes. Ambiance très sympa.
On échange les derniers potins. Je vois un collègue de l’INRIA. Un collègue du CNRS l’interpelle :
— Dis donc, votre PDG de l’INRIA vous auriez pu vous le garder au lieu de nous le refiler au CNRS. Il est affreux.
Le collègue de l’INRIA rétorque :
— Oui mais notre nouveau PDG d’INRIA est pire. Dernièrement en CA d’INRIA (on ne dit plus de l’INRIA mais d’INRIA, marrant non ?), il a fait voter, outre une diminution du nombre de postes de chargés de recherche, que la moitié de ces postes seraient des CDI de projets en chantiers, et pour faire bonne mesure, on s’engage à créer, au lieu des dix start-ups que l’on créait d’ordinaire par an à INRIA, cent start-ups. On sera évalué sur cela et sanctionnés si on atteint pas les objectifs.
Le collègue du CNRS se renfrogne :
— Nous le directeur de la politique de site au CNRS nous explique qu’on va être dissous dans les universités fusionnés, un peu comme dans le film Léon où le nettoyeur dissout le gars à l’acide dans une baignoire.
Le collègue de l’INRIA, pas en reste :
—  Mais nous aussi, on va nous dissoudre dans l’acide, heu, je veux dire nous fusionner dans PSL.
— A propos notre ex-PDG du CNRS il est toujours président de PSL avec une petite prime de cent cinquante mille euros ?.
— Oui, oui.
— Avant c’était bien l’actuel conseiller de Macron qui touchait la petite prime ?.
— Oui, oui. Ho, tu sais j’ai une anecdote marrante, en fait le conseiller de Macron avait fait passer des auditions à quatre oligarques de la macronie pour le poste de président de l’HCERES. C’est rigolo qu’il soit devenu après candidat unique à la présidence de l’HCERES. Il a du se dire finalement ces quatre-là c’est des buses, je vais y aller moi-même, par les temps qui courent, il faut que je pense à mes compléments retraites…
— Bon, enfin maintenant, il n’est plus candidat unique, on est 5000 à être aussi candidats à la présidence de l’HCERES avec lui. Ironique non ? Il en écarte quatre façon
pousse toi d’là que j’m’y mette, et il en récupère cinq mille nouveaux. C’est farce non ?.

Nous restons ainsi dans le froid, côtoyant les gentils CRS qui ont déployé leurs instruments de travail. A la différence des égoutiers, des avocats ou des enseignants, ils n’ont pas jeté leurs instruments de travail. Il reste encore des professions sérieuses dans ce pays. Un responsable sécurité du ministère est au téléphone en grande discussion avec le chef de cabinet de la ministre qui est en fait au Trocadéro en train d’organiser la cérémonie des vœux aux chercheurs (sans les chercheurs) du soir. Gros flottement. On ne peut pas laisser passer deux cents personnes à l’intérieur du ministère pour se faire tamponner (je veux dire, se faire tamponner leurs documents de candidature). Ils risquent de faire une action à l’intérieur qui se retrouvera sur youtube. On ne peut pas prendre un tel risque.

La situation étant assez statique je profite de cette attente pour aller discuter avec quelques BRAVs en civil et à oreillettes. On ne sait jamais, cela pourra toujours me servir si la chef.[(e)] me demande dans le futur de m’embedder dans les forces de l’ordre. On discute retraite : "Et vous ça se passe comment au niveau de la retraite ? Avec vos chefs managers, ça se passe comment ? Le préfet vous donne ses ordres en français ou en allemand ? Quand vous vous occupez de la sécurité du ministre de l’Intérieur vous restez à l’extérieur de la boite de nuit, ou vous pouvez aller aussi à l’intérieur ?".

Après une bonne heure d’attente, temps nécessaire au chef de cabinet pour revenir du Trocadéro, les BRAVs en civil à oreillette viennent vers moi pour me dire que le chef de cabinet va recevoir trois leaders du mouvement. Ils ajoutent : "c’est tout à fait exceptionnel, cela n’arrive jamais." Pourquoi sont-ils venus vers moi ? Peut-être parce que je leur avais parlé avant. Je leur réponds que nous sommes une structure horizontale, il n’y a pas de chef, tout le monde est au même niveau (même, si dans mon fort intérieur, je sais que j’ai un bien meilleur dossier de candidature pour la présidence de l’HCERES que les autres).

Après tirage au sort, trois collègues sont désignés pour aller au cabinet (je veux dire, plus précisément, pour voir le chef de cabinet). Nous leur donnons tous nos dossiers, et c’est donc chargés comme des arbres de Noël que nos trois malheureux collègues vont voir le chef de cabinet pour déposer nos dossiers de candidatures. Ils nous feront un compte rendu circonstancié de cette visite au ministère :
— Nous avons été reçus par le chef de cabinet de la ministre qui n’a pas de problème avec notre mobilisation, s’étonne juste que nous nous inquiétons de quelque chose que nous n’avons même pas vu (la loi). Mais on fait ce qu’on veut, ce n’est pas un sujet. Et non, il n’a pas de tampon pour chaque dossier. Ah non, cet après-midi, photocopier un accusé réception pour chacun, ça va pas être possible. Bon mais en fait, nous avons l’intention de faire quoi aux voeux de la ministre ? Il veut bien nous laisser son 06, mais pas qu’il circule partout, pour qu’on l’appelle s’il y a du grabuge. Sinon, il n’a aucun problème, lui, avec ce que nous faisons. Non mais vraiment, ce n’est pas un sujet. D’ailleurs il vient de l’université, il était dans un syndicat étudiant, à Nice, il a un master. Mais quand même ... ce n’est pas pour dire ... on en trouvera des ministres qui écoutent, comme Mme Vidal. Elle va faire des annonces, sur les doctorants. Et que l’on ne s’inquiète pas, la loi, on l’aura avant septembre. Il n’a d’ailleurs, lui, personnellement, il doit nous le dire, aucun problème avec notre démarche, et d’ailleurs est-ce qu’on a bien pris son 06 ? "Bon le quart d’heure est passé, Cédric tu les raccompagnes, au revoir.".

Nous sommes alors à plus de 5000 candidatures annoncées, plus de 1000 effectivement déposées. Pas sûr que la Directrice Mme Barthez et le Directeur M. Larrouturou nous accusent de réception. Il faudra sans doute leur envoyer une demande courtoise (par courriel) pour nous assurer de la bonne réception de notre candidature.

Nous sommes en début d’après-midi.

Le second acte se joue le soir, à 19 heures au Trocadéro. En effet la ministre a choisi le musée de l’Homme pour ses vœux à la presse et à la profession. Je vous rassure, les universitaires et les chercheurs ont bien évidemment une interdiction d’accès au bâtiment où se déroule cette cérémonie des vœux de leur profession.

J’arrive vers 19 heures au Trocadéro par le métro et certainement pas grâce à ses foutus conducteurs RATP incapables d’apprécier toute la connotation positive du mot universalité lorsqu’on leur parle réforme des retraites. Les CRS sont là, à l’extérieur, en nombre pour protéger les manifestants. D’ailleurs un des manifestants va, par maladresse, s’ouvrir l’arcade sourcilière, preuve s’il en est, que ces forces de l’ordre étaient nécessaires, mais sont-elles suffisantes ? Moi-même affublé de ma toque académique je n’en mène pas large. Ne faut-il pas craindre une escalade de la violence, les présidents de la CPU ou de la CURIF, du groupe Marc Bloch, ou de l’Institut Montaigne sortant du musée de l’Homme tels des black-blocks en furie pour nous jeter des macarons et d’autres onéreuses mignardises ? On me rassure, les délicieux macarons ont tous, sans exception, disparu, et les mignardises salées et sucrées ne sont plus qu’un souvenir, en particulier d’exquises nourritures délicieusement croustillantes sur des bâtonnets, dont certains me parleront avec des trémolos dans la voix.

A l’extérieur dans la froidure, les slogans et chants des manifestants
sont heureusement bon enfant.

Certains expriment une infinie tendresse pour les forces de l’ordre

"Les CRS de la 2C ils sont sympas mais moins que ceux de la 3A",

ou pour la ministre

"Vidons Vidal",
"Vidal c’est pas d’la balle",
"Vidal y-a rien qui urge, ta potion c’est une purge"

certains risquent l’allitération :

"Que la LPPR trépasse, avant que l’on nous nasse" (pas facile l’allitération en "n" pour un slogan).

Beaucoup de slogans sur un certain Thierry Coulhon qui serait l’un des 5001 candidats à la présidences de l’HCERES :

"Coulons Coulhon !
"Hé ! Thierry Coulhon, nous aussi on veut des macarons !"
bien plus sobre à mon goût que le trop moderne
"Nous aussi on veut de la coke et des putes !"

Il y eut également des chants nostalgiques (mais totalement hors sujet) :

Ne pleure pas Pécresse, tralalalala lala lala la la,
Ne pleure pas Pécresse, mais nous l’abrogerons, mais nous l’abrogerons,
Ta LRU de merdre, tralalalala lala lala la la,
Ta LRU de merdre, mets la toi au Fillon, mets la toi au Fillon," (merdre est ici une licence poétique, on se permettait des trucs incroyables en 2009),

ou nostalgique mais par trop germanopratin :

C’est le tango des bouchers de la recherche,
C’est le tango des tueurs de laboratoires,
Venez pourrir les projets d’ces faux derches,
Et boire leur sang avant qu’il soit tout noir,
Faut qu’ça saigne !
Faudrait qu’les étudiants raquent six mille balles tu vois l’arnaque,
Pour différencier les Facs,
Faut qu’ça saigne !
Pour qu’les banques et la finance puissent s’en coller plein la panse,
Mais pour les chercheurs c’est rance,
Faut qu’ça saigne !
Faut tout mettre en concurrence
et, au nom de l’excellence,
Choisir de quitter la France,
Faut qu’ça saigne !
Ils nous disaient passe to bac,
t’auras un boulot comac,
Et v’là qu’ils détruisent nos facs,
Faut qu’ça saigne bien fort !
C’est le tango des gros décisionnaires,
D’la CPU, de la CURIF et d’ailleurs, ...
C’est le tango qui vient du ministère,
C’est le tango de tous les fossoyeurs,
Faut qu’ça saigne !
Fais ta demande d’ANR,
Sinon de quoi t’auras l’air,
A rester le bec en l’air
Faut qu’ça saigne !
Démolis-en quelques)-uns,
En jouant les argousins,
Tant pis si c’est des copains
Faut qu’ça saigne !
Si c’est pas toi qui les crève
D’autres salauds prendront la r’lève,
C’en sera fini de tes rêves
Faut qu’ça saigne !
Demain tu perdras ton jour,
Demain tu perdras ton tour,
Pus d’recherche et pus d’amour,
Tiens, voilà du boudin, voilà du boudin….

sur l’air "Des joyeux bouchers" de Boris Vian.

Vous les djeuns qui aurez une retraite à poings, vous ne l’avez pas connu : c’était un écrivain, poète, parolier, chanteur, critique musical, musicien de jazz trompettiste, directeur artistique, scénariste, traducteur, conférencier, acteur, pataphysicien et ingénieur, mort à 39 ans. Disons simplement que c’est le gars à qui Macron ressemble comme deux gouttes d’eau, mais en mieux habillé.

A part d’être vaguement son sosie et de faire aussi de la flûte, la comparaison s’arrête là : Vernon Sullivan, il avait réussi Centrale, il n’avait pas raté trois fois un concours.

Je ne suis pas resté pour les mutilations de fin de manif des forces de l’ordre de notre beau pays des droits de l’homme, mutilations devenues maintenant traditionnelles. J’adore les traditions mais celles-ci sont trop récentes, et il fait trop froid sur cette esplanade.

Le lendemain (mercredi 22 donc), les syndiqués de France et de Navarre d’un syndicat de la FSU (je vous laisse deviner, l’acronyme du syndicat c’est un peu comme SNCF) ont reçu à 22h21 un communiqué donnant la position hypercombative de ce syndicat (encore plus acharné que les syndicats du train) sur les annonces de la ministre de la recherche innovatrice de rupture : "Nous prenons acte des excellentes mesures de la ministre, de l’annonce de l’augmentation des rémunérations à deux fois le SMIC, d’une première série de revalorisations des rémunérations pour les personnels, que ces annonces permettront d’augmenter les salaires des jeunes, ...nous sommes en attente de la concrétisation, ... nous serons attentifs, ... nous serons vigilants, …"

Ça c’est pour l’écrit. A l’oral, au lendemain de la cérémonie des vœux de la ministre au Trocadéro, le secrétaire de ce syndicat de la FSU avait été encore plus offensif ce matin-là durant la rencontre intersyndicale avec la ministre. Il avait déclaré, en réponse aux annonces de celle-ci, courageusement, sans jamais baisser les yeux face à elle, qu’il y avait là beaucoup d’avancées très positives, et comme il est un rude syndicaliste ce même secrétaire avait aussi dit très vite les phrases qui vont bien (pas du tout creuses, éculées et hyperconvenues) sur le thème "la précarité c’est pas choupinou". Finalement l’honneur syndical est plus que sauf. Entre l’écrit, l’oral et les TP préalables au ministère, ce syndicat de la FSU au nom proche de l’acronyme SNCF, aura su prendre, malgré les grèves, le train d’une opposition radicale à la réforme.

Vous me direz, avec de tels syndicats jusqu’au-boutistes, intransigeants, le dialogue social est impossible. Si seulement nous pouvions avoir des syndicats constructifs à l’allemande. Cela me rend triste. Ich weiss nicht was soll es bedeuten dass ich so traurig bin.

Preuve que le milieu universitaire est décidément devenu un milieu incapable de faire une analyse de texte sincère, structurée et équilibrée, je vis, sur différentes listes de diffusion, fuser des commentaires fort injustes sur ce bien beau communiqué syndical tel que :
« La FSU a l’air très très énervée, comme vous le constatez dans leur dernier communiqué. »
qui se voulait sans doute cruellement ironique,

« L’achat en direct d’un syndicat majoritaire à 37 euros par personne par mois, c’est encore plus beau que l’achat de l’Unef en 2009 avec le 10e mois de bourse. »
dont le caractère quasi-diffamatoire me révolte,

« Bon je veux pas bitcher mais votre secrétaire c’est plutôt Judas Iscariot que Rosa Luxembourg. »
qui me pose quelques difficultés de décodeur de langage djeuns,

« Tu me dis que tu as honte de ce communiqué. De mon côté ce n’est pas vraiment de la honte, mais une colère jaune et noire contre ce CP (communiqué de presse) chimiquement pur de toute pensée. Ça a bardé pas mal. »
commentaire somme toute très sobre, sans oublier les commentaires et tweets abscons du groupe Jean-Pierre Vernant

« Les bureaucraties syndicales partagent finalement le même monde
que les bureaucraties universitaires et ministérielles. Aussi, se satisfont-elle de sacrifier les statuts et une génération de jeunes chercheurs pour un faux semblant budgétaire démonté dès aujourd’hui »
franchement c’est trop injuste, ainsi que

« L’autre bureaucratie syndicale qui co-produit l’extension
de la précarisation des jeunes chercheurs se permet, elle,
de prétendre mobiliser contre ce qu’elle a négocié sans en référer à sa base. » Franchement, les Jean-Pierre Vernant y zécrivent des trucs ça fait trop mal à la tête.

Un autre Vernant m’écrit :
« Alternativement, on peut aussi penser l’avenir en termes d’un évolutionnisme plus hayekien, où l’arbre universitaire finira par s’adapter à la tronçonneuse des réformes successives. Friedrich August von Hayek n’avait-il pas déclaré en 1981, au journal chilien Mercurio : "Personnellement, je préfère un dictateur libéral à un régime démocratique sans libéralisme" ? Là encore la LPPR va dans le bon sens. »
Je me demande si c’est une antiphrase ou du troisième degré. Franchement les Jean-Pierre Vernant y zécrivent des trucs ça fait trop mal à la tête.

Il est vrai que les destructions Schumpétériennes [1] massives de l’ESR, de nos métiers et de l’avenir des jeunes chercheurs, on devrait avoir pris l’habitude.
On ne va quand même pas, pour si peu, citer du Montaigne :

renverser une aussi grande masse et changer les fondations d’un aussi grand bâtiment, c’est l’affaire de ceux qui pour décrasser une peinture l’effacent, qui veulent réparer des défauts particuliers et partiels par un bouleversement général et guérir les maladies par la mort

(Essais, III, 9, « De la vanité »).

Après tout pourquoi tous ces universitaires se prennent-ils ainsi la tête sur ces tenures-tracks ? Aujourd’hui, on obtient (rarement) un poste permanent à thèse + 2-4 ans, soit, après revalorisation, du 2ème (1,63 SMIC) ou 3ème échelon (1,8 SMIC). Le décalage de 5 ans, par des "chaires"=tenure track de l’obtention d’un poste fixe va juste nous amener à du thèse +7-9 ans. Pourquoi se prendre la tête pour un petit retard additionnel de 5 ans dans des carrières un peu plus précarisées ? Une retraite universelle prenant en compte l’ensemble de la carrière, et non les six derniers mois, va nous lisser tout cela. Franchement on a envie de dire, comme sur France Inter dans le moment Meurice, "Moins on se bat, mieux ça vaut".

Je m’en ouvre à un collègue qui me réplique du tac au tac :

Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent ; ce sont
Ceux dont un dessein ferme emplit l’âme et le front.
Ceux-là vivent, Seigneur ! les autres, je les plains.
Car le plus lourd fardeau, c’est d’exister sans vivre.
Inutiles, épars, ils traînent ici-bas
Le sombre accablement d’être en ne pensant pas.

Un type qui peut citer du Victor Hugo comme cela, hic et nunc, ne peut
appartenir à l’oligarchie managériale, c’est forcément un tâcheron, un enseignant-chercheur ou un chercheur de base, voire un BIATS, manifestement sans avenir et voué à la disparition dans le nouveau monde de la LPPR. Aussi je me dépêche d’oublier ce qu’il vient de me dire, cela faisait trop mal à la tête, et puis, dans le nouveau monde de la LPPR, il vaut mieux pour sa carrière rester à l’écart de ce lumpen prolétariat. Odi profanum vulgus et arceo [2](HORACE, liv. III, ode I, vers 1)

Acknowledgements : This work has been performed without any support
of the ANR, of the ERC, of the MAE, or any PES of the CNRS.


[1Rappellons que Schumpeter estime que la démocratie est vouée à disparaître pour des raisons sociales et politiques. Quelques esprits chagrins rappelleront que Joseph Schumpeter fut un catastrophique ministre des finances d’un empire austro-hongrois qui s’effondrait, et qu’il dirigea, pendant quatre ans, une banque privée, la banque Biedermann de Vienne, qu’il mènera à la faillite. Personne n’est parfait.

[2Traduction approximative : "En tant que manageur de la recherche, je hais le chercheur de base qui fait son travail de chercheur, et je l’écarte"