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« La déconsidération des universités par le milieu politique est structurelle » - Interview de Mathias Bernard par Olivier Monod, Libération, 29 décembre 2020

jeudi 31 décembre 2020, par Mariannick

Le président de l’université Clermont-Auvergne, Mathias Bernard, estime que la loi de programmation de la recherche, promulguée le 24 décembre, est une « occasion manquée », à l’image de toutes les réformes du secteur depuis dix ans.

À lire ici dans Libération.

Ça y est. La si polémique loi de programmation de la recherche a été promulguée le 24 décembre et publiée samedi au Journal officiel. Elle lisse sur dix ans une hausse de 5 milliards d’euros du budget annuel de la recherche et prévoit une augmentation des primes des personnels scientifiques. Mais plusieurs éléments sont critiqués par la communauté universitaire. L’une des mesures les plus contestées, la pénalisation des mobilisations étudiantes, a été retoquée par le Conseil constitutionnel le 21 décembre. Les « sages » ont aussi émis des réserves sur la proposition d’une nouvelle voie de recrutement dérogatoire pour les professeurs, les « chaires de professeurs juniors », qui permettrait aux présidents d’université de s’immiscer dans l’appréciation des mérites des futurs candidats.

Pour le reste, le texte accentue la compétition entre les chercheurs et entre les établissements en prolongeant la logique de financement par appels à projets, en vogue depuis plus de dix ans. Président de l’université Clermont-Auvergne, Mathias Bernard connaît bien le sujet. Pour Libération, il revient sur ce texte et sur les réformes successives du secteur depuis plus de dix ans.

Q. La loi de programmation de la recherche a été promulguée. Quel est votre sentiment sur ce texte ?

C’est une occasion manquée. Quand l’annonce d’une loi de programmation a été faite, en février 2019 par le Premier ministre, je me suis réjoui, comme beaucoup de collègues. Notre secteur a besoin de stabilité pour se projeter dans le temps long. J’espérais que cette loi permette de rééquilibrer la part des financements récurrents par rapport à ceux distribués par appels à projets. Ce n’est pas le cas. Les nouveaux moyens sont en majorité conditionnés. C’est problématique. Cette loi n’aborde ni la question des investissements en équipements scientifiques ni celle de l’emploi. Les seules mesures de ressources humaines visent à faciliter le recrutement de contractuels. C’est une déception.

Q. Dans quelle mesure la LPR s’inscrit-elle dans le train de réformes universitaires depuis dix, quinze ans ?

La LPR est clairement dans la ligne de ce qui se fait depuis le milieu des années 2000 avec la création de l’Agence nationale de la recherche [chargée d’animer la politique d’appels à projets, ndlr]. Ce qui est prôné, c’est la différenciation des universités. L’Etat nous demande de mettre en avant « la signature » de l’établissement. Cela passe par la réponse aux appels à projets nationaux, internationaux, territoriaux… Les guichets se sont multipliés.

En parallèle de cela, notre dotation de base stagne alors que le nombre d’étudiants augmente. Je ne dis pas qu’il y a quinze ans le système était idéal, mais le point d’équilibre est largement dépassé.

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Q. La stagnation des financements récurrents attribués aux universités n’est-elle pas la conséquence d’une défiance du milieu politique vis-à-vis du monde académique ?

Je dirais une défiance et une méconnaissance. Les deux vont de pair. Cela vient d’un système de formation des élites qui ne les amène jamais à l’université. Ils la connaissent mal et en ont une représentation fantasmée et négative. Le secteur a dû aborder beaucoup de lois, en 2007, 2013, 2018, et maintenant 2020, et pourtant, aucune n’a reconnu les universités pour ce qu’elles sont, à savoir les opérateurs principaux en matière d’enseignement supérieur et de recherche. Les arbitrages ne nous sont jamais favorables, quelle que soit la législature. Les moyens de l’Etat sont dispersés sur une multitude d’opérateurs. Malheureusement, le fait d’avoir une ministre, Frédérique Vidal, issue de nos rangs, n’a rien changé au problème de la déconsidération des universités par le milieu politique qui est un élément structurel.

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