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L’université peut-elle décréter son indépendance ? - Alison Tassin, "Médiapart", 21 février 2009

dimanche 22 février 2009, par Laurence

Quarante ans après la naissance de l’Université de Paris 8, un groupe d’enseignants-chercheurs s’est penché sur ce qui définit un tel lieu : une manière de montrer que « l’esprit de Vincennes » règne encore mais aussi de contester la loi sur l’autonomie.

Que signifie le terme « université » ? D’après le petit Robert 2008, il s’agit
d’un « établissement d’enseignement supérieur constitué par un ensemble
d’unités de formation et de recherche, d’instituts, de centres et de
laboratoires de recherche.
 » Et après ? Quels sont les principes qui
distinguent cet « établissement » d’une entreprise ou d’une administration ?
Aucun texte ne parle de cet aspect.
 
C’est sur ce constat que se sont basé des enseignants de l’université Paris
8 pour rédiger la « déclaration d’indépendance de l’université », un préambule
qu’adopterait chaque ensemble de facultés affirmant ainsi les traits qui les
caractérisent.

Treize articles ont donc été rédigés par le « Groupe XVII », auto-nommé ainsi
en référence à ceux qui le composent et qui sont membres de la section 17
c’est-à-dire les chercheurs en philosophie de Paris VIII.
 
« Nous avons voulu lister les points d’intransigeance qui, s’ils sont
dépassés, font basculer une université dans une autre catégorie
 », explique
Georges Navet, l’un des professeurs à l’origine du projet. « On voulait
également dépasser les slogans faibles et simplistes du genre "le savoir ne
se vend pas
" et essayer de penser autrement », complète Stéphane Douailler,
son collègue.
 
Ce travail fait écho à la tendance "manifester autrement" du mouvement
universitaire actuel qui oblige les grévistes à modifier leur mode de
revendication. C’est d’ailleurs dans la cadre de la journée Hors les murs
organisée au Centquatre à Paris que la déclaration d’indépendance des
universités a été présentée. Une séance de débats a déjà permis de mettre le
doigt sur les compléments à apporter au texte. Cette réunion est la première
étape d’une série de consultations destinées à l’enrichir.
 
Car cette déclaration ne se veut pas uniquement symbolique et
franco-française. « Notre rêve est que toutes les universités votent cette
déclaration
 », comme l’université américaine de Harvard avec laquelle Paris
VII est partenaire. Ces chercheurs voient même encore plus loin en songeant
à déposer ce texte une fois finalisé à l’Unesco : « Nous souhaitons vraiment
qu’elle ait une portée universelle
 ». Pour l’instant, la déclaration a été
traduite en allemand et néerlandais. Sa diffusion commence avec son envoi
dans des université du monde entier.
 
En France actuellement, les universités ne font qu’adopter des chartes
éthiques qui récapitulent les droits et les devoirs : « Cela ne suffit pas »,
estime Stéphane Douailler. Pour élargir les obligations morales des
universités, le Groupe XVII a passé en revue toutes les déclarations des
droits de l’Homme et proclamations d’indépendance. De cette relecture a
émergé une liste d’articles au contenu varié.

Sauvegarder l’indépendance de la recherche universitaire

 
« Nous avons identifié trois pouvoirs qui pourraient nuire à l’université :
politique, religieux ou économique. Lorsqu’un de ces pouvoirs impose des
buts, il n’y a plus d’université
 », résume Georges Navet. Cette déclaration
d’indépendance met par conséquent un point d’honneur à laisser les
chercheurs déterminer le contenu de leur travail d’universitaire.
 
Il leur importe d’ailleurs peu que les fonds finançant leurs recherches
proviennent de l’Etat ou du privé. Un discours qui ne rejettent donc pas
totalement la loi LRU : « Nous ne sommes pas opposés au financement privé mais
à condition que l’ingérence des entreprises soit limitée. Elles ne doivent
pas définir les sujets de recherche.
 » Ces enseignants estiment que l’unique
contrepartie qu’elles peuvent obtenir est la vente des résultats sans
logique de rentabilité directe.
 
Dans cette déclaration d’indépendance est notamment abordé le thème du
financement des études : « Nulle personne désireuse de poursuivre des études
ne doit être contrainte à y renoncer pour des raisons d’organisation
financière de l’université. A fortiori elle ne peut être obligée
d’hypothéquer tout ou partie de sa vie, ni d’accepter des atteintes à sa
dignité.
 » Une phrase qui résonne avec les revendications de précarisation de
la vie étudiante entendue dans les universités.
 
Un autre article aborde les contestations du mouvement des
enseignants-chercheurs : « La valeur d’une pensée ordonnée à la contrainte du
vrai repose sur les seules exigences qu’elle doit aux protocoles de sa mise
à l’épreuve : son évaluation dans l’université revient à ceux qui portent
cette exigence dans la recherche, l’enseignement et l’étude. Elle est
publique et contradictoire.
 » Cet élément remet bien évidemment en cause la
réforme de l’évaluation refusé par leur profession.
 
Cette déclaration reste pour l’instant restreinte à une vision très
occidentale. Elle nécessite la confrontation avec les systèmes
universitaires étrangers. Reste à savoir si ce texte, une fois le mouvement
terminé, perdurera pour ne pas rester qu’une action de revendication
éphémère.

Déclaration d’indépendance des universités

Préambule :

Il n’y a pas de contraintes supérieures en force à celles que l’esprit
humain, qui les a toutes inventées, exerce sur lui-même sous la forme de la
pensée. La pensée la plus puissante, c’est la plus exigeante. Vérité et
création, beauté et justice, raison et déraison, arts et sciences,
techniques et métiers, ne sont que quelques-uns des noms que les hommes ont
donnés à cette exigence. Toutes les disciplines appelées à en assurer
l’inquiétante existence en sont autant d’expressions. Tout pouvoir,
politique, religieux ou économique, qui refuserait de se soumettre à cette
exigence est voué à dépérir. Considérant que cette exigence et les
conditions de son exercice n’ont pas à disparaître ni à s’effacer avec les
pouvoirs qui s’en servent en prétendant les servir, nous, qui avons
participé d’une façon ou d’une autre à l’exercice de ces droits et devoirs
universels de la pensée, à ce travail qui s’il n’arrive pas toujours à se
faire en commun ne saurait s’accomplir que sous les formes de gestes faits
en public, avons entrepris d’énoncer les points d’intransigeance auxquels
cette exigence nous contraint.
 
Article premier : L’indépendance de la pensée consiste à pouvoir
expérimenter sous leurs déterminations propres les enchaînements de
connaissance producteurs d’œuvres et de savoirs. Ainsi l’exercice de cette
indépendance n’a de bornes que celles qui en assurent aux autres la
possibilité d’en éprouver, attester, évaluer la validité. Ces bornes ne
peuvent être déterminées que par une communauté d’égaux autour de
l’indépendance de la pensée.
 
Article II : Tout homme et toute femme possède en toutes circonstances un
droit imprescriptible à vérifier l’égalité de son intelligence avec celle de
tout autre.
 
Article III : Parmi les centres d’enseignement, de recherche et de création,
seuls ceux dont les dispositions ont pour but supérieur de rendre effectifs
ces principes s’appellent université.
 
Article IV : L’indépendance de la pensée est partagée entre tous ceux
qu’elle engage dans une recherche, un enseignement ou des études. Elle doit
être la même pour tous, quels que soient leur place dans l’université, leur
provenance nationale ou sociale, leur appartenance confessionnelle et
ethnique, leur âge et leur identité sexuelle.
 
Article V : L’université définit un espace qui interrompt la continuité avec
les espaces où l’ordre est assuré par les forces publiques. La présence des
forces de l’ordre n’y est légitime que lorsqu’elle concourt à l’exercice de
la pensée libre.
 
Article VI : Quiconque s’engage et contribue à la recherche, l’enseignement
ou l’étude doit pouvoir expérimenter une pensée critique sans faire l’objet
d’aucune censure, répression, ou inquisition.
 
Article VII : La libre circulation des pensées et des savoirs repose sur un
droit inconditionné d’accéder à tous les moyens et sources de la
connaissance. Nulle censure ne saurait restreindre les sources mobilisées
pour sa mise en œuvre.
 
Article VIII : La valeur d’une pensée ordonnée à la contrainte du vrai
repose sur les seules exigences qu’elle doit aux protocoles de sa mise à
l’épreuve : son évaluation dans l’université revient à ceux qui portent
cette exigence dans la recherche, l’enseignement et l’étude. Elle est
publique et contradictoire.

 
Article IX
 : La mission de l’université est une mission publique. Comme
telle, elle doit être garantie.
 
Article X : La politique scientifique est commandée par la seule production
des œuvres et des outils de la connaissance. Nulle contrainte de retour sur
investissement ne peut déterminer le cours de cette activité ni la hauteur
des financements qu’elle réclame. Il appartient à la puissance publique d’en
garantir l’autonomie.
 
Article XI : Nulle personne désireuse de poursuivre des études ne doit être
contrainte à y renoncer pour des raisons d’organisation financière de
l’université. A fortiori elle ne peut être obligée d’hypothéquer tout ou
partie de sa vie, ni d’accepter des atteintes à sa dignité.
 
Article XII : Toute société, tout Etat, qui contreviendrait à ces principes,
est réputé ne pas avoir d’université.
 
Article XIII : Toute université désireuse d’appliquer ces principes possède
un droit à se placer sous la protection élargie d’autres universités et
d’organismes internationaux. Toute université signataire de cette
déclaration s’engage à apporter son soutien à qui le lui demande, sur la
base des principes énoncés.
 
Groupe XVII