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Lettre ouverte à Madame Catherine Bréchignac, Présidente du CNRS, par le Comité de lancement du Collectif pour la sauvegarde de la liberté intellectuelle des chercheurs et enseignants-chercheurs de la fonction publique, 15 juin 2009. Seconde lettre ouverte, 20 juin 2009

lundi 15 juin 2009, par Elie

Lettre ouverte à Madame Catherine Bréchignac, Présidente du CNRS, avec copie à Mme Valérie Pécresse, Ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.

Madame la Présidente,

Membres du Collectif pour la sauvegarde de la liberté intellectuelle des chercheurs et enseignants-chercheurs de la fonction publique, à l’initiative d’un appel ayant à ce jour rassemblé 3.500 signataires, nous constatons, à la lecture du communiqué du CNRS daté du 10 juin relatif à la convocation de M. Vincent Geisser devant un conseil de discipline, que l’institution que vous présidez use de méthodes peu compatibles avec sa mission.

On y lit ceci : " Vincent Geisser a utilisé des termes diffamatoires d’une grande violence : ’Le FS est un idéologue qui traque les musulmans et leurs ’amis’ comme à une certaine époque, on traquait les Juifs et les Justes’ ". Ce communiqué, qui présente curieusement les faits reprochés à M. Geisser comme dûment établis et notre collègue comme déjà jugé, contribue lui-même à rendre public - sans autorisation de l’intéressé - le contenu d’un courriel de M. Geisser de nature strictement privée et n’ayant jamais été destiné par son auteur à faire l’objet d’une telle publication.

Ce même communiqué, par ailleurs, omet prudemment de mentionner l’autre et principal motif de cette convocation : " le manquement grave […] à l’obligation de réserve " à laquelle M. Geisser serait " tenu en tant que fonctionnaire " (termes de la lettre de convocation signée par Monsieur Arnold Migus, Directeur général, datée du 29 mai 2009).

Enfin, il omet tout aussi prudemment de signaler le contexte dans lequel s’inscrit cette convocation : le harcèlement de ce chercheur, par le Fonctionnaire de Défense, depuis plus de quatre ans, les ingérences intolérables de ce même Fonctionnaire de Défense dans la politique scientifique des laboratoires et dans les études conduites par les chercheurs, spécialement lorsqu’ils travaillent sur l’islam, ainsi que l’atteste, parmi d’autres, M. Olivier Roy, directeur de recherche.

En réduisant les motifs de " la procédure disciplinaire " engagée contre M. Geisser à une affaire de diffamation, alors qu’elle s’inscrit dans la continuité d’une surveillance de type idéologique, le CNRS a recours à des procédés qui ne devraient pas avoir cours dans un pays démocratique et dont nous connaissons les dérives possibles dans les moments troubles de l’histoire.

M. Geisser est bel et bien poursuivi en raison de ses travaux sur l’islam et l’invocation de " l’obligation de réserve " dans un tel contexte nous inquiète au plus haut point.

Depuis quand et au nom de quel principe un Fonctionnaire de Défense aurait-il le droit de juger les travaux d’un chercheur ou d’un universitaire ? De quelle compétence peut-il se prévaloir pour le faire ? Seuls leurs pairs ont compétence à émettre un avis légitime en la matière. Quant à Vincent Geisser, il est soutenu par ses collègues, par son laboratoire et plusieurs associations de sociologues et spécialistes des sciences sociales.

Cette entrave à la liberté de ceux dont le métier est de " produire " du savoir et de le transmettre est grave, de même que ce mépris affiché pour la communauté scientifique et les procédures normales d’évaluation qui ont cours en son sein.

Demain, d’autres motifs d’ordre privé pourront, comme dans ce cas, être invoqués pour brimer, sanctionner ou exclure tel chercheur dont l’orientation scientifique et les opinions personnelles déplaisent à tel haut fonctionnaire d’Etat. Et " l’obligation de réserve " aujourd’hui brandie signifie-elle qu’il peut nous incomber désormais de relayer les idées reçues et les fantasmes en vogue ?

Nous exigeons en conséquence que la nature et l’étendue des attributions du Fonctionnaire de Défense soient très rigoureusement définies et limitées et que toute intervention de ce fonctionnaire dans les recherches conduites par les laboratoires et par leurs membres soit purement et simplement interdite.

Nous exigeons par ailleurs l’annulation immédiate de la " procédure disciplinaire " engagée contre M. Geisser, seul signe fort capable de rétablir la confiance entre les chercheurs et leur tutelle.

Nous ne voyons guère d’autre moyen, comme le rappelait Mme Valérie Pécresse dans sa lettre adressée le 10 juin 2008, " de garantir la liberté de pensée et d’opinion des chercheurs, qui est fondatrice de leur travail et de leur légitimité scientifique ".

De même, nous demandons au CNRS de retirer son communiqué, attentatoire à l’honneur de notre collègue, et par-delà à celui de toute la profession.

Avec notre considération la meilleure,

Le Comité

Seconde lettre ouverte du Comité de lancement pour la sauvegarde de la liberté intellectuelle des chercheurs et enseignants-chercheurs de la fonction publique adressée à Mme Catherine Bréchignac, Présidente du CNRS, 20 juin 2009

Madame la Présidente,

Nous sommes au regret de constater que vous vous êtes retranchée dans le silence, refusant de vous exprimer sur l’affaire Joseph Illand/Vincent Geisser comme de réagir à notre demande de mener librement notre recherche, même lorsqu’elle porte sur l’islam, sans avoir à redouter l’ingérence d’un fonctionnaire de défense.

Nous savons que le service de ce même fonctionnaire a fait pression encore cette semaine sur un collègue en sciences dures, disposant d’un blog hébergé par un serveur dépendant du CNRS, pour que pas un mot n’y filtre sur l’injustice qui frappe V. Geisser, bloquant ce blog jusqu’à ce qu’en soit retiré le texte incriminé.

V. Geisser n’est pas la première ni la seule victime du fonctionnaire de défense du CNRS. Les témoignages affluent de ceux qui ont été ses cibles, qui démontrent que c’est l’islam qui pose problème au fonctionnaire de défense, non point les questions de sécurité.

Vous paraissez tenir pour rien les 4 200 signataires de notre appel, appartenant au monde de la recherche, de l’enseignement, des lettres et des arts. Les principales associations professionnelles en sciences sociales, des directeurs de laboratoires nous ont rejoints.

L’appel que nous avons lancé est sans rapport avec les mouvements ayant touché les universités au cours des derniers mois. Mais une chose est sûre : votre silence consommera la rupture du contrat de confiance entre le CNRS et ses chercheurs. Et cette confiance ne risque pas de se rétablir de sitôt si vous ne faites pas, sans délai, un geste fort et clair.

Annulez la procédure disciplinaire engagée.

Garantissez-nous que notre liberté d’enseigner, de faire de la recherche et de penser ne sera plus jamais entravée, dans les institutions qui nous emploient, par les menées indues d’un fonctionnaire de défense, dont nous ne connaissons même pas les attributions exactes. Que nos mails et nos blogs ne seront pas passés au filtre du CNRS aujourd’hui, et demain d’autres institutions, pour nous surveiller et pour nous empêcher de nous exprimer.

Rappelez à tous que seuls nos pairs ont compétence et légitimité à nous juger.

En un temps où la compétitivité et l’excellence sont plus que jamais les mots d’ordre, le CNRS traite ses chercheurs, son immense capital intellectuel, comme le font les sociétés non démocratiques. Beaucoup de nos collègues étrangers, légitimement indignés, ont commencé de signer notre appel et d’en faire circuler le texte, en français et en anglais.

Madame la Présidente, agissez avant qu’il ne soit trop tard : rétablissez la confiance au sein de votre propre institution et évitez que cette dernière ne soit définitivement déconsidérée au sein du monde universitaire, savant et intellectuel français et international.

Le Comité