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Débat sur les ESPE au Sénat - 11 juin 2014

dimanche 15 juin 2014, par Elisabeth Báthory

Ci-dessous le compte-rendu de l’intégralité du débat.

La vidéo intégrale est disponible sur le site du Sénat.

Débat sur les Ecoles Supérieures du Professorat et de l’Education

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat sur les écoles supérieures du professorat et de l’éducation, organisé à la demande de la commission de la culture (rapport d’information n° 579).

Dans le débat, la parole est à Mme la présidente de la commission.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la mission d’information consacrée au suivi de la mise en place des écoles supérieures du professorat et de l’éducation, les ESPE, constituée au sein de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication mi-novembre 2013, résultait d’une initiative de notre collègue Corinne Bouchoux. Elle a été présidée par Colette Mélot et rapportée par Jacques-Bernard Magner. Je les remercie, ainsi que tous les membres de la mission, de leur travail.

Nous avons fait le choix de débuter ces travaux dès la fin de 2013 afin de nous assurer de la bonne mise en œuvre des dispositions introduites par le Sénat dans la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République. Je vise, d’une part, la rénovation des contenus de formation pour faire toute leur place aux enseignements transversaux, directement liés à la pratique professionnelle, sur la résolution non violente des conflits, la laïcité, la promotion de l’égalité et la lutte contre les discriminations ou encore la prise en compte de la difficulté scolaire dans la démarche d’apprentissage et, d’autre part, la participation dans les équipes de formateurs d’une pluralité d’intervenants extérieurs issus du terrain, aussi bien des enseignants et des inspecteurs en exercice que des acteurs de l’éducation populaire, culturelle et artistique.

Monsieur le rapporteur, vous avez mené des auditions au Sénat et sur le terrain. Vous nous direz comment l’autonomie des universités est compatible avec le respect de la loi et de la commande ministérielle.

La préparation des dossiers d’accréditation a précédé le vote définitif de la loi de refondation de l’école. Nous imaginons donc bien que des ajustements des maquettes de formation ont dû être opérés. Sans doute votre mission a-t-elle parfois servi de catalyseur. (M. le rapporteur opine.)

Vous nous expliquerez comment s’organisent ces ESPE, comment elles assurent l’intervention de professeurs des écoles expérimentés et de nouveaux intervenants, dont les praticiens de l’éducation populaire, et comment se croisent les ressources humaines des ESPE avec celles de l’université.

Vous nous direz aussi comment les thèmes transversaux, tels que les méthodes de différenciation pédagogique, la prévention de la violence scolaire, la culture de l’égalité homme-femme, l’usage et la coproduction numérique, ont été pris en compte dans ces écoles. Ils ne sont pas des suppléments d’âme. Ils constituent bien plutôt le meilleur moyen de dépasser les oppositions traditionnelles qui caractérisaient la formation des enseignants : opposition entre l’académique et le professionnel, entre le premier et le second degré, entre les enseignants et les autres professionnels de l’éducation, notamment les conseillers principaux d’éducation, qui, à l’époque des IUFM, les instituts universitaires de formation des maîtres, pouvaient ne jamais entrer une seule fois en contact avec de futurs enseignants au cours de leur formation...

Si l’on veut que ces enseignements transversaux ne soient plus identifiés comme de simples axes périphériques, nous devons aussi nous assurer que leur maîtrise fait bien l’objet d’une évaluation concrète dans le cadre des concours de recrutement. Selon les disciplines, le degré de modernisation des concours varie fortement.

Le Sénat avait mis un point d’honneur à inscrire dans la loi le principe d’une école ouverte sur l’extérieur qui reconnaisse tous les enfants comme capables d’apprendre et de progresser. C’est précisément pour promouvoir une école collaborative et coopérative, et non plus compétitive, que nous entendions promouvoir la mise en place d’équipes pluricatégorielles au sein des ESPE, associant professionnels en exercice en établissement scolaire de même qu’intervenants des secteurs de l’éducation populaire et du monde associatif, le tout aux côtés de nos universitaires disciplinaires.

N’oublions pas qu’il n’y aura pas de refondation de l’école sans rénovation de la formation des enseignants. La meilleure façon d’éduquer nos enfants au travail coopératif est encore, pour les enseignants, de donner l’exemple en démontrant leur capacité à travailler en collaboration avec une pluralité d’acteurs issus de l’ensemble de la communauté éducative. Cette démarche collaborative s’avérera particulièrement fructueuse pour des enseignants devant nécessairement faire appel à des intervenants extérieurs s’agissant de domaines où ils ne sont pas experts. Je pense en particulier à l’éducation à l’environnement et au partage de la culture scientifique, technique et industrielle. À cet égard, l’apport des chercheurs, des universitaires, des professionnels de la médiation scientifique et des animateurs et éducateurs du monde associatif est incontournable.

Nonobstant la nécessaire évaluation de la place du concours, dont le positionnement actuel peut déformer le contenu de l’année qui le précède, la commission réaffirme son attachement à de nouvelles promotions de professeurs, formés et motivés, capables d’éveiller et de passionner les enfants, de les rendre curieux, imaginatifs, créatifs et tolérants et à même de faire leurs choix d’orientation. Car il ne va pas de soi de passer de la compétition à la coopération !

Je forme des vœux pour qu’avec ces jeunes femmes et jeunes hommes fraîchement formés à de nouvelles méthodes, dans un dialogue bienveillant avec les parents et constructif avec les acteurs du territoire, l’école de la République progresse et ne soit plus, comme nous l’avait dit PISA, l’école la plus inégalitaire d’Europe. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jacques-Bernard Magner, rapporteur de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, notre mission d’information a été constituée mi-novembre 2013, soit un peu moins de deux mois après la création effective des ESPE à la rentrée universitaire.

L’objectif de nos travaux était clair : suivre pas à pas la première année de mise en œuvre de la réforme et faire un bilan d’étape. Nous sommes encore au milieu du gué, et ce n’est qu’au cours de l’année scolaire prochaine que le nouveau parcours de formation des enseignants sera entièrement installé.

Créées en lieu et place des anciens instituts universitaires de formation des maîtres, en application de la loi du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, ces nouvelles structures doivent remplir un double objectif : d’une part, parachever l’« universitarisation » de la formation des enseignants après l’intégration des IUFM aux universités en 2008 et la « masterisation » en 2010 ; d’autre part, reprofessionnaliser fortement un parcours de formation qui avait pâti de la suppression de l’année de stage. À cette fin, la seconde année de master sera pleinement consacrée à la formation par alternance, en offrant aux lauréats du concours présenté en fin de master 1 une formation théorique et didactique conjuguée à un mi-temps en responsabilité devant des élèves.

La réforme a été mise en œuvre à marche accélérée : les discussions ont été entamées dès décembre 2012 au sein de chaque académie autour du projet d’ESPE, et ce malgré l’absence de cadre législatif et réglementaire définitif.

Dans un contexte initial incertain, les différentes parties prenantes ont exprimé des inquiétudes légitimes. Quand les présidents des universités intégratrices s’interrogeaient sur la capacité de leur établissement à mettre en œuvre une réforme ambitieuse dans un cadre budgétaire contraint, un certain nombre d’universitaires se montraient sceptiques sur l’universitarisation effective de la formation des enseignants et sur la place accordée à la recherche, compte tenu du poids de l’alternance en master 2 et du positionnement du concours en fin de master 1.

Dans le même temps, les étudiants demandaient en priorité à disposer en master 1 d’une préparation solide aux concours, ce qui explique leurs craintes quant à la diminution du nombre d’heures de formation ou au rétrécissement des budgets de fonctionnement des ESPE par rapport à ceux des anciens IUFM.

La mise en place des ESPE a fait l’objet d’un pilotage et d’un suivi interministériels. Cette coresponsabilité est incontournable : il n’était à l’évidence plus possible de raisonner comme si l’employeur qu’est l’éducation nationale demeurait coupé du suivi et du contrôle de la mise en place des ESPE et de la cohérence du contenu des formations de master assuré par le ministère de l’enseignement supérieur.

La création des ESPE coïncide avec une recomposition majeure du paysage universitaire initiée par la loi du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche. Les inquiétudes et les tensions doivent se comprendre sur cette toile de fond.

On peut dire que les dossiers d’accréditation ont été de qualité inégale : environ un tiers de projets aboutis, un tiers de projets s’inscrivant dans une situation intermédiaire et appelant des ajustements et un dernier tiers de projets problématiques, manquant de maturité, les ESPE se résumant bien souvent à des coquilles vides, sans réelle maîtrise du contenu ou de l’organisation des formations.

Trente ESPE ont été accréditées par arrêté ministériel le 30 août 2013. L’ensemble des écoles ainsi créées a été accrédité à compter du 1er septembre 2013 pour une durée équivalente au contrat quinquennal en cours d’exécution liant l’université intégratrice à l’État ou bien, si celui-ci arrivait à échéance dans l’année, pour une durée équivalente au prochain contrat en cours de préparation.

Parmi les trente ESPE accréditées, quatre ont été expressément habilitées à ne délivrer les quatre mentions du master MEEF – métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation – que pour une durée d’un an, jusqu’au 31 août 2014.

Les trois ESPE des académies de la Guadeloupe, de la Guyane et de la Martinique font, pour leur part, l’objet d’un accompagnement spécifique pendant la première année suivant leur création.

Le début de l’année 2013-2014 a été consacré à l’installation, dans chaque ESPE, des trois instances de gouvernance prévues par la loi : le conseil de l’école, le conseil d’orientation scientifique et pédagogique et le directeur. La définition des corps électoraux a été très délicate en raison de conflits d’interprétation des textes. Les modalités d’application pratique de la parité se sont révélées très complexes dans les secteurs où la répartition entre sexes est traditionnellement déséquilibrée.

Les conseils d’école, pour la plupart constitués à la fin de l’année dernière, ont ensuite examiné les candidatures au poste de directeur. Ils ont transmis aux ministres de l’enseignement supérieur et de l’éducation nationale leurs propositions de nomination.

Au printemps 2014 s’est achevée la mise en place structurelle des ESPE et de leurs organes de gouvernance, au terme d’un processus rapide et globalement fluide, malgré la complexité des opérations à mener.

L’ESPE nouvelle n’est pas simplement une construction juridique et administrative chargée de fédérer diverses formations. Elle doit devenir un lieu de dépassement des anciennes contradictions idéologiques entre les IUFM et les universités. Pour cela, il faut travailler à bâtir un esprit d’école que chacun partage au-delà des métiers, des cultures et des pratiques administratives.

Or l’intégration des ESPE dans le tissu universitaire est variable selon les académies. Des régimes très différents d’interaction prévalent d’une académie à l’autre selon l’importance de l’IUFM par le passé et selon la force des universités. D’un côté, la masterisation a définitivement placé les universités dans une situation de force ; de l’autre, des IUFM très actifs, bien dotés par le passé et porteurs d’une culture d’autonomie très forte, tentent de se perpétuer dans les nouvelles ESPE. Une certaine inertie historique prolonge les tensions anciennes.

À l’inverse, dans certaines universités, les UFR, les unités de formation et de recherche, travaillent déjà en bonne intelligence avec les ESPE, au service du projet commun. L’antériorité de la collaboration et du dialogue entre l’IUFM et les universitaires est un facteur important de facilitation de la réforme, comme c’est le cas dans l’académie de Clermont-Ferrand.

On le constate, le succès de la réforme dépend de la qualité de la coopération entre les ESPE et les autres composantes universitaires, afin de conjuguer les dimensions professionnelles et académiques et de développer simultanément les compétences pédagogiques, didactiques et disciplinaires. Sans apport véritable des travaux de recherche et sans participation suffisante aux modules transversaux à vocation professionnalisante, la contribution des UFR se limiterait trop souvent à une préparation académique aux concours.

L’émergence d’une culture d’école requerra surtout l’effacement de la dichotomie inscrite dans les parcours de formation des enseignants du premier et du second degré. C’est par l’établissement de véritables troncs communs de formation au sein des maquettes que l’on parviendra à développer une culture professionnelle partagée entre le primaire et le secondaire. L’enquête réalisée entre décembre 2013 et janvier 2014 par le bureau de liaison du réseau des ESPE révèle ainsi que deux tiers des écoles ont mis en place un tronc commun. Dans 44 % des cas, le tronc commun permet un mélange des étudiants des mentions « premier degré », « second degré » et « encadrement éducatif » du master MEEF. Elle indique également que 17 % en moyenne du temps de formation est consacré au tronc commun, avec une prédominance de travaux dirigés.

Les ESPE doivent en outre relever le défi de la présence effective, au sein des équipes pluricatégorielles, de formateurs professionnels venus du terrain. L’erreur à ne pas commettre, c’est de recruter des « formateurs de terrain hors sol », qui n’auraient plus de liens réels avec les élèves. On peut irriguer les formations de l’ESPE et leur apporter son expérience sans faire partie de son personnel permanent. La solution déjà pratiquée dans les IUFM, notamment grâce aux professeurs des écoles maîtres formateurs, les PEMF, ou à des dispositifs d’affectation partielle à l’année d’enseignants du second degré, doit être poursuivie et enrichie.

Le ministère de l’éducation a engagé une réflexion sur la constitution d’un vivier renouvelé de professeurs formateurs académiques, les PFA, pour le second degré, disposant d’un statut et de missions propres, calqués sur celui des PEMF.

Par ailleurs, de la même manière qu’enseigner est un métier qui s’apprend, former est aussi un métier qui s’apprend. Il semble nécessaire de faire accéder au niveau du master davantage de formateurs.

En matière de positionnement de l’ESPE par rapport à l’offre universitaire territoriale, on distingue principalement les cas de figure suivants : trois ESPE ont d’ores et déjà été constituées en composantes d’une COMUE, une communauté d’universités et d’établissements ; quatre ESPE ont été constituées en composantes d’une « grande université », résultant d’une fusion d’établissements ; neuf ESPE ont été constituées en composantes de l’université qui accueillait historiquement en son sein l’IUFM, mais qui est, d’ores et déjà, partie prenante d’une COMUE académique ; enfin, dix ESPE ont été constituées en composantes d’universités parties prenantes à des COMUE interacadémiques.

L’élévation de l’ESPE au rang de composante de la COMUE constitue la solution la plus pertinente à terme, dans le cas de COMUE rassemblant des universités situées sur un territoire homogène ou servant de tremplin à une future fusion d’établissements, une fois que le projet pédagogique et scientifique aura été suffisamment mûri et que les coopérations entre établissements auront été consolidées.

D’une façon générale, afin de permettre aux ESPE de disposer d’une vision consolidée de leurs besoins, pour la construction d’un budget de projet solide et cohérent, il convient, dans un premier temps, de clarifier les conditions d’inscription des étudiants aux parcours de formation des enseignants. À cet égard, une centralisation de l’inscription pédagogique de l’ensemble de ces étudiants au niveau de l’ESPE, complétée par une inscription administrative à l’UFR partenaire concernée, semble incontournable.

Dans la mise en place des ESPE, la question des moyens est cruciale. Aux termes de la loi de refondation de l’école, chaque ESPE dispose d’un budget propre intégré au budget de l’établissement public dont elle fait partie. Il est précisé que les ministres compétents ont la faculté de flécher, au profit de l’ESPE, et au sein de la dotation globale attribuée aux universités, les moyens humains et financiers qu’ils estiment nécessaires pour assurer une politique de formation des enseignants de qualité. Il apparaît que cette faculté de fléchage n’a pas été formellement exercée par les ministres, mais il n’est pas exclu qu’il soit nécessaire d’y recourir dans certains cas. La DGESIP, la direction générale pour l’enseignement supérieur et l’insertion professionnelle, a confirmé le principe de sanctuarisation des supports budgétaires des postes lors de la transformation de l’IUFM en ESPE. Ce principe a néanmoins été diversement respecté selon les établissements lors de la mise en œuvre du droit d’option des personnels.

Afin de surmonter ces difficultés et d’assurer un financement soutenable de l’ESPE, l’établissement d’un contrat d’objectifs et de moyens entre la composante, l’université intégratrice, les établissements partenaires et le rectorat est incontournable.

En ce qui concerne l’organisation des maquettes de formation, seule l’année de master 1 est mise en place, et les discussions sur l’année de master 2 continuent dans chaque ESPE.

Le positionnement du concours à la fin de la première année de master pose la question de la prise en charge en master 2 des candidats non admissibles au concours, ceux qu’on appelle les « reçus-collés ». Dans ces conditions, certains responsables d’ESPE étudient différentes options à proposer aux étudiants ayant validé leur master 1 et qui ne sont pas lauréats du concours. Il pourrait s’agir, par exemple, d’une « prépa concours » intensive, suivie en master 1 pour ceux qui souhaitent présenter de nouveau le concours. Il est également question d’un parcours « en Y » en master 2. Ce parcours comporterait une première « branche » pour les lauréats du concours en master 2, ce qui correspond à la vocation même du master MEEF, à travers la mise en œuvre du principe d’alternance intégrative. La seconde « branche » consisterait à offrir une réorientation sur un ou deux semestres à des effectifs réduits de candidats non admissibles vers des métiers autres que l’enseignement, mais toujours centrés sur la formation et l’éducation, comme la médiation scientifique, les métiers d’animateur, d’éducateur ou d’intervenant en activités périscolaires.

S’agissant du contenu des maquettes de formation, la loi pour la refondation de l’école établit un certain nombre de prescriptions concernant les nouveaux champs de formation, auxquels les futurs enseignants doivent être solidement préparés. Mme la présidente de la commission de la culture y faisait référence il y a un instant, il s’agit notamment de la résolution pacifique des conflits, de la sensibilisation à l’égalité entre les femmes et les hommes, à la lutte contre les discriminations et à la scolarisation des élèves en situation de handicap. Il s’agit également de la préparation des enseignants à l’entrée dans les apprentissages et à la prise en compte de la difficulté scolaire dans le contenu des enseignements et la démarche d’apprentissage.

Ces thèmes font partie du tronc commun de formation dispensé à l’ensemble des étudiants se destinant aux métiers du professorat et de l’éducation. À cet égard, le collectif des associations partenaires de l’école publique rappelle l’apport significatif de l’expérience et du regard particulier des associations culturelles, artistiques et d’éducation populaire dans ces différents domaines.

Sur proposition de la présidente de la mission d’information, Colette Mélot, il semble également tout à fait indispensable d’appeler au développement de l’éducation à l’Europe, à son histoire, à sa diversité culturelle et à la notion de citoyenneté européenne. Le renforcement de l’éducation à l’image, au cinéma, à internet et aux réseaux sociaux est également incontournable. La formation à la laïcité ainsi qu’à la morale laïque est également un élément majeur des contenus.

Quant à la formation aux outils et ressources numériques, elle constitue l’autre défi majeur des parcours mis en place par les ESPE. Les ESPE des académies de Clermont-Ferrand et de Créteil sont en pointe sur ce sujet. Rappelons également, et je sais Mme la secrétaire d’État particulièrement sensible à ce point, que les MOOC, les Massive Open Online Courses,…

Mme Dominique Gillot. Bravo !

Mme Maryvonne Blondin. Il y a du progrès !

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Vous vous êtes entraîné ? (Sourires.)

M. Jacques-Bernard Magner, rapporteur. … pour le dire en anglais, avec l’autorisation de Jacques Legendre, permettent d’initier les lycéens à la découverte de l’enseignement supérieur. Il convient donc de sensibiliser les professeurs de lycée à l’utilisation de cet outil pédagogique innovant. La plateforme France université numérique propose ainsi un MOOC intitulé « Enseigner et former avec le numérique », que plusieurs ESPE ont décidé d’exploiter en interne.

Il me semble également indispensable d’examiner la possibilité de rationaliser la préparation au certificat d’aptitude au professorat de lycée professionnel, le CAPLP, afin d’éviter un éparpillement des masters à très faibles effectifs. À cet effet, on peut imaginer l’émergence de grands pôles permettant de coordonner la formation au CAPLP par des coopérations interacadémiques.

Les conclusions et les préconisations du groupe de travail sur le pré-recrutement, que nous avons présentées en février 2013, semblent toujours d’actualité. Nous l’indiquions dans le rapport, la formation des enseignants demande du temps et de la continuité, si bien qu’il faut engager le processus d’acculturation en licence, en prenant soin d’articuler dès l’origine l’académique et le professionnel. Il faut mettre à profit les cinq années d’études supérieures jusqu’à l’obtention du master et non plus seulement les deux années suivant la licence. La première année de licence peut servir d’année de découverte et d’orientation. En licence 2 et en licence 3, il faut viser une sensibilisation par l’observation et commencer une pré-professionnalisation progressive grâce à de la pratique accompagnée. Les années de master complètent la professionnalisation par l’approfondissement des savoirs et des compétences et par l’élargissement des terrains de stages.

Des formes de pré-recrutement peuvent contribuer à diversifier le vivier des futurs enseignants en touchant les milieux populaires. C’est le cas des emplois d’avenir professeur. Sur les 10 000 emplois offerts entre janvier 2013 et mars 2014, 8 000 ont été pourvus. Derrière ce résultat global se cachent d’importantes disparités régionales. Des académies attractives ont dépassé le nombre de contrats qui leur étaient initialement assignés, alors que des académies très déficitaires ne sont pas parvenues à pourvoir tous les postes.

Il reste dans plusieurs endroits des progrès à faire pour améliorer la valorisation en crédits des stages effectués et pour ajuster les calendriers entre les cours et le travail en établissement. Les ESPE doivent également être mieux associées à la gestion du dispositif qui, établi en licence, relève plutôt actuellement des seules UFR.

Voilà, mes chers collègues, le bilan que je souhaitais vous présenter de la première année d’installation des ESPE. Ces écoles sont au cœur d’une réforme très ambitieuse et tellement nécessaire, mais celle-ci aura besoin de temps pour prendre pleinement son ampleur et produire tous ses effets. L’année 2014-2015 s’annonce cruciale pour résoudre les dernières tensions budgétaires, organiser les temps d’alternance, diversifier les équipes de formateurs et renforcer les troncs communs.

À l’issue de cette présentation, je souhaite remercier toutes celles et tous ceux qui ont pu participer à cette mission pendant les six derniers mois.

Je remercie Mme la présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, qui a bien voulu autoriser et nous confier cette mission. Je remercie également la présidente de la mission d’information, Mme Colette Mélot, qui nous a permis d’auditionner et de rencontrer toutes les parties prenantes à ce dossier d’actualité. Elle a présidé la mission avec beaucoup de rigueur et de compétence, permettant que l’expression de toutes et de tous puisse être entendue et prise en compte. Elle a été elle-même force de proposition et nous avons pu ensemble donner l’exemple de la coconstruction que nous prônons dans la refondation de l’école.

Je remercie bien sûr toutes les sénatrices et tous les sénateurs qui ont pu se joindre à nous malgré des emplois du temps chargés. Merci aussi à toutes celles et à tous ceux que nous avons auditionnés au Sénat ou dans nos déplacements ! En moins de six mois, nous avons entendu plus de 120 personnes, occupant diverses fonctions ou responsabilités : académicien, historien, universitaires, recteurs, inspecteurs, enseignants, chercheurs, personnels d’administration ou techniques, gestionnaires, responsables associatifs et de l’éducation populaire, parents d’élèves, étudiants des ESPE, jeunes en emplois d’avenir professeurs ou encore syndicalistes.

Mme Michèle André. N’en jetez plus ! (Sourires.)

M. Jacques-Bernard Magner, rapporteur. Je souhaite aussi remercier les fonctionnaires du Sénat, dévoués et compétents, qui ont accompli un travail remarquable en rendant compte avec talent et précision de toutes nos auditions. Enfin, je vous remercie tous, mes chers collègues, de m’avoir écouté. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je suis, vous le savez, particulièrement préoccupée par la question de la formation des enseignants. Elle constitue en effet un des leviers pour relancer le processus de démocratisation scolaire.

Une telle question renvoie à la qualité même des enseignements que les élèves reçoivent et à la capacité des enseignants à remplir les missions ambitieuses qui leur sont assignées : dispenser des savoirs et former des citoyens émancipés. J’ai d’ailleurs rédigé un rapport sur ce thème en 2012, intitulé Le métier d’enseignant au cœur d’une ambition émancipatrice. J’y dressais le bilan catastrophique de la masterisation : la déstabilisation qu’elle engendre, l’atomisation de la formation initiale et l’accentuation de la crise de recrutement, du fait notamment d’une perte d’attractivité du métier, dans un contexte de suppressions de postes massives.

Cumulant préparation du concours, validation du master, rédaction d’un mémoire et réalisation de stages sur deux ans, les étudiants devaient faire face à un emploi du temps bien trop chargé, qui ne leur permettait au final ni d’être bien préparés au métier ni d’augmenter leurs chances de réussite au concours. Il était donc indispensable de reconstruire une formation, d’autant que notre société est confrontée à des savoirs de plus en plus complexes, répondant à deux objectifs.

Premier objectif : considérer que le métier d’enseignant est un métier de concepteur, et non d’exécutant. Cela implique de concevoir une formation fondée sur l’idée qu’il faut « apprendre à apprendre » et savoir appréhender les mécanismes de l’échec scolaire pour les déconstruire en classe.

Deuxième objectif : faire face à la pénurie toujours plus criante de vocation et endiguer cette crise majeure de recrutement en reconstituant un vivier par une attractivité du métier renouvelée.

Tels étaient bien les enjeux portés par la loi de refondation de l’école, avec la création des écoles supérieures du professorat et de l’éducation. Où en sommes-nous aujourd’hui ?

Le rapport de notre collègue Jacques-Bernard Magner, dont je salue le travail, dresse un premier bilan de l’entrée en vigueur du dispositif des ESPE.

Ces écoles ont été mises en place dans des délais extrêmement brefs – le rapport le souligne –, dans un paysage universitaire en profonde mutation, lié à la loi du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche, qui bouleverse l’organisation des universités, et dans un contexte budgétaire très fortement dégradé, conséquence de l’autonomie des universités.

Le rapport dresse un premier bilan et pointe des difficultés d’ordre structurel.

Il nous semble que ces difficultés, si elles ont certes bien à voir avec la complexité de la structure à bâtir, interrogent aussi sur le contenu même de la réforme de la formation, au regard des défis identifiés. C’est sur ce point que nous devons demeurer extrêmement vigilants. Pourquoi ?

Premièrement, la crise du recrutement perdure. Les résultats du concours exceptionnel en témoignent : plus de 1 800 postes ne sont pas pourvus, dont 743 dans le premier degré. On peut donc légitimement s’inquiéter pour les résultats du concours rénové. Alors que les effectifs d’élèves sont, eux, en augmentation, la rentrée risque d’être difficile.

Selon le rapport de la Cour des comptes de 2013, il manquait 3 622 emplois sur les 8 781 équivalents temps plein prévus !

De plus, cela cache aussi un problème de niveau de recrutement, avec, semble-t-il, des seuils d’admission très hétérogènes d’une académie à l’autre.

Pour mettre fin à la crise de recrutement, que la masterisation a certes amplifiée, mais qui remonte – on s’en souvient – à une dizaine d’années, du fait de la dégradation continue des conditions de travail des enseignants, il nous faut entamer une réflexion réelle sur l’attractivité du métier. Cela passe évidemment par une revalorisation des salaires, mais cela doit aussi, de mon point de vue, nous conduire à nous réinterroger sur la mise en place de véritables pré-recrutements dès la licence. Or, je le rappelle, les emplois d’avenir professeur, ou EAP, n’en sont pas. D’ailleurs, ils ne font pas toujours le plein et connaissent un sort variable d’une académie à l’autre ; M. le rapporteur l’a souligné.

Deuxièmement, le principe de la masterisation partait du constat partagé qu’une bonne formation devait allier un haut niveau de formation, fondée à la fois sur la théorie et la pratique, et un retour réflexif en lien avec la recherche. Or les maquettes de master ont vu leurs horaires diminuer en moyenne de 30 %. De plus, à défaut de cadrage national, le volume des formations peut varier de 172 heures selon les académies, en fonction des moyens de chaque université. Car, comme cela a aussi été rappelé, la question des moyens dont disposent les universités subordonne celle des moyens des ESPE, ce qui conduit à des situations disparates !

Troisièmement, alors que l’alternance intégratrice était réclamée par tous les acteurs, elle n’est pas effective, pour l’instant, sur le terrain. En effet, plus de la moitié des fonctionnaires stagiaires de la rentrée 2014 auront la responsabilité d’une classe à temps plein pendant l’année, tout comme les mi-temps de master 2 du concours rénové. Or l’idée d’alternance intégratrice devrait impliquer des stages permettant d’assurer une pratique réflexive faite d’allers-retours, de prises de recul sur les pratiques avec des tuteurs, et non constituer des moyens d’enseignement. Car, nous le savons, « être sur le terrain », cela ne suffit pas pour être formé !

Quant aux tuteurs, comment pourront-ils mener à bien leur mission s’ils ne sont pas déchargés ?

Quatrièmement, et cela concerne le choix des masters, une note d’information de la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance du mois de mai dernier sur les concours d’enseignants du secondaire révèle que seulement 17 % des candidats au concours sont issus des masters MEEF. Comment dès lors envisager une amélioration de la formation des enseignants si la majorité des candidats au concours évitent cette filière ?

L’inscription dans ces masters semble aujourd’hui plus pénalisante pour les étudiants. En effet, le parcours de formation qui a été retenu est pensé pour les étudiants réussissant le concours du premier coup, ce qui est loin d’être la majorité des cas. Cela pose, comme avec la réforme Chatel, le problème des « reçus-collés », car des étudiants collés mais extrêmement motivés veulent évidemment retenter leur chance. Le concours en master 1 a même aggravé les choses : pour pouvoir bénéficier d’une année de préparation, certains étudiants envisagent de ne pas valider leur année de master 1, afin de pouvoir redoubler.

Le temps seul ne suffira donc pas à résorber les difficultés pointées. De mon point de vue, des interrogations demeurent encore sur quelques grandes orientations à garantir pour réussir la réforme de la formation des enseignants.

D’abord, un cadrage national fort s’impose pour contenir les disparités des politiques académiques et universitaires et améliorer leur coordination.

Ensuite, il convient de pérenniser véritablement des structures spécifiques de formation au sein des universités en assurant leur autonomie financière et en permettant un lien réel avec la recherche.

En outre, il faut ouvrir de véritables pré-recrutements dès la licence pour donner véritablement aux étudiants les moyens de réussir le concours. La question des bourses est également cruciale ; je ne peux que renouveler ici mes inquiétudes devant leur diminution.

Enfin, il est nécessaire de s’atteler au chantier de la formation continue pour offrir aux enseignants des évolutions professionnelles et les moyens d’assurer dans le temps la pérennité de leurs missions.

Mes chers collègues, si nous devons prendre acte du travail réel et sincère qui a été effectué dans un délai très court pour mettre en place ces ESPE – ce n’était pas simple –, nous ne devons pas craindre de réinterroger le contenu de la réforme pour la porter au niveau d’ambition d’une réelle refondation de l’école. Il s’agit de la formation de toute une génération d’enseignants ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. le rapporteur applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Laborde.

Mme Françoise Laborde. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, un an s’est écoulé depuis l’adoption de la loi du 8 juillet 2013, qui remettait enfin l’école de la République sur la voie de la réussite, après avoir été sacrifiée pendant une dizaine d’années.

La réforme de la formation des enseignants, par la mise en place des écoles supérieures du professorat et de l’éducation, élément phare de la loi, se justifiait non seulement par les résultats décevants des enquêtes réalisées par l’OCDE ou d’enquêtes nationales, mais aussi par l’exaspération des enseignants eux-mêmes, qui estimaient à juste titre n’avoir pas été correctement préparés à l’exercice de leur métier. Le rapport d’information de notre collègue Brigitte Gonthier-Maurin sur le métier d’enseignant démontrait combien il était difficile pour un débutant – mais pas seulement – de « gérer une classe ».

La formation des maîtres avait tout simplement été supprimée pour réaliser des économies, alors que les dépenses d’éducation – je rappelle qu’il s’agit de dépenses d’avenir ! – s’accroissent partout dans le monde, tous les États ayant saisi l’importance de l’acquisition d’un niveau élevé d’éducation et d’instruction. Ainsi, en 2010, le Gouvernement avait supprimé, au détriment de la réussite scolaire, l’année de formation professionnelle, alors que celle-ci conditionne la réussite de l’entrée des enseignants dans un métier qui ne va pas de soi. En outre, une telle politique était source d’inégalités sociales et territoriales, puisque les débutants exerçaient dans les écoles plus difficiles alors qu’ils n’étaient pas préparés.

Nous en sommes conscients, le rétablissement d’une formation plus complète ne peut pas se réaliser aussi rapidement qu’on le souhaite. Toutefois, le suivi de la mise en place des écoles supérieures du professorat et de l’éducation permet d’étudier les pistes d’amélioration possibles.

Une enquête de l’UNEF sur les conditions d’études parue la semaine dernière et fondée sur 6 500 réponses représentatives de l’ensemble des cursus et des universités met en lumière un record de mécontentement atteignant 79 % au sein des ESPE. L’insatisfaction dans l’ensemble des universités porte sur une orientation qui est d’abord subie, sur les modifications constantes de l’emploi du temps pour répondre au manque d’effectifs, sur le défaut d’encadrement, sur le manque de pédagogie de leurs enseignants formateurs et sur une préparation à l’emploi inefficace.

Certes, cette enquête relève de la précipitation, les ESPE n’ayant débuté qu’à la rentrée 2013. Quelques années devront s’écouler pour évaluer les résultats de la réforme, notamment pour savoir si elle répond aux objections des étudiants. Il convient d’autant plus de faire preuve d’indulgence que la loi du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche bouleverse actuellement l’organisation des universités, qui sont en processus de regroupement.

La professionnalisation tant attendue de la formation reste complexe à réintroduire. Les deux années de master MEEF sont particulièrement chargées pour les étudiants. La première année, outre les enseignements et la préparation du concours, ceux-ci doivent réaliser un stage court. La deuxième année, la réalisation d’un stage à tiers-temps occupe une place prépondérante au sein de leur emploi du temps, avec la préparation des cours et les évaluations des élèves.

Je salue les efforts des différentes ESPE, dont celle de Toulouse – j’ai eu la chance de la visiter avec les membres de la mission –, et du comité interministériel de pilotage, qui ont la lourde tâche de concilier dans un temps très court de deux ans la préparation du concours, l’acquisition des savoirs disciplinaires, l’initiation à la recherche, la fin de la séparation entre premier et second degré, tout en introduisant la professionnalisation de la formation avec le recours à des intervenants issus du terrain. Il faut en effet veiller à ce que les nouvelles écoles ne reproduisent pas les erreurs antérieures, qui ont servi de prétexte à la suppression des instituts universitaires de formation des maîtres. De surcroît, la prise en compte de tous ces objectifs est encore plus difficile dans le second degré, puisqu’il faut y ajouter la spécialisation des étudiants.

La mission d’information a effectué un gros travail d’auditions ; j’en profite pour féliciter sa présidente et son rapporteur. Elle a posé la question d’une continuité entre licence et master. Cette solution est intéressante, comme le prouve l’expérience de l’ESPE de l’université Blaise-Pascal de Clermont-Ferrand, où tous les étudiants de licence peuvent accéder à une unité d’enseignement portant sur les métiers de l’enseignement. Je partage les recommandations qui visent à garantir une meilleure orientation des étudiants.

À ce titre, les ESPE s’interrogent sur la place éventuelle en master 2 des étudiants n’ayant pas réussi le concours. La solution consistant à instaurer une préparation spécifique aux concours en master 2 ne me semble pas pertinente dans la mesure où il en existe une en première année de master. Une telle redondance constituerait une nouvelle charge pour les écoles. Il conviendrait plutôt d’autoriser les étudiants à redoubler, comme cela se fait dans les autres formations de l’enseignement supérieur lorsqu’ils n’ont pas été admis en master 2 alors qu’ils ont réussi leur première année.

Enfin, proposer de réorienter, comme semble y réfléchir le ministère de l’éducation nationale, les étudiants qui ont échoué à l’examen vers une branche à part au sein du master 2 consacrée aux autres métiers, très divers, de l’éducation, tels que médiateur scientifique, éducateur, intervenant en activités périscolaires ou animateur, constituerait une lourde charge pour les écoles, alors que d’autres formations peuvent mener vers ces métiers. Dans ce cadre, le contenu des enseignements ne serait pas évident à définir. Certains de ces métiers ne requièrent pas forcément un niveau de master, et je crains que le choix de ces parcours ne se fasse par défaut, ce qui serait dommageable. Toutefois, la création de passerelles avec d’autres formations est une piste intéressante.

Pour finir, je tiens à le souligner, la réduction du budget de fonctionnement des ESPE de 30 % par rapport aux IUFM me semble contraire à l’esprit de la loi. Certes, les écoles ont un budget propre et intégré, mais limité par les décisions des universités dont elles sont une composante. Le fléchage des moyens prévu par l’article L. 721-3 du code de l’éducation n’a pas été utilisé, sous le couvert de l’autonomie financière des universités.

Les écoles ne doivent pas être victimes de la situation budgétaire dégradée des universités, sur laquelle, je l’espère, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, vous nous apporterez quelques éclairages. Il convient en effet de garantir la soutenabilité budgétaire des établissements d’enseignement supérieur, sous peine de revoir à la baisse les ambitions tracées par la loi de refondation de l’école de la République, de même que celles portées par le Président de la République, qui visaient, faut-il le rappeler, à faire du service public de l’éducation une priorité du quinquennat. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste, du groupe socialiste, du groupe CRC et de l’UMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Mélot.

Mme Colette Mélot. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la mission d’information que j’ai présidée a étudié la mise en place des ESPE un peu moins de deux mois après leur création et sur une durée de plus de six mois. Nous avons donc examiné l’accréditation des dossiers, la mise en place des organes de gouvernance et l’intégration des ESPE aux universités.

Les déplacements effectués et les très nombreuses auditions menées ont permis de dresser un premier bilan de cette installation, bilan qu’il faudra bien sûr compléter plus tard par une étude qualitative de la formation des enseignants.

Je me félicite de l’esprit non partisan qui a présidé au déroulement de cette mission. M. le rapporteur, Jacques-Bernard Magner, a su entendre tous les acteurs concernés et a effectué, à partir des témoignages, une excellente analyse tenant compte des appréciations de ses collègues, avec un réel souci d’objectivité. Je le remercie, ainsi que tous les membres de la mission, de ce travail.

Je ne reviendrai pas sur ce qui a déjà été dit sur l’économie générale du dispositif. Nous avons pu constater la complexité administrative de sa mise en place et les efforts qui ont été accomplis sur le terrain. Il existe une véritable prise de conscience de l’importance de cette réforme chez l’ensemble des parties prenantes et une forte volonté des responsables de trouver des solutions.

La réussite du projet dépendra surtout de la qualité du dialogue entre les universités et les ESPE, qui devront absolument construire une « culture d’école » et se détacher des habitudes du passé, lorsque, selon l’académie considérée, soit l’IUFM soit l’université dominait.

Parmi les recommandations formulées par notre mission, je voudrais insister sur plusieurs points visant à moderniser les ESPE.

Tout d’abord, en tant que membre de la commission des affaires européennes, au sein de laquelle je m’investis sur les sujets liés à l’éducation, il m’a semblé essentiel que soit mentionnée dans le rapport la nécessité de former nos enseignants aux enjeux liés à l’Europe.

L’investissement dans l’éducation et la formation est un facteur important de l’avenir du continent européen. À l’heure où l’euroscepticisme va croissant, où l’Union européenne traverse une crise d’identité, l’accent mis sur l’éducation et la formation peut permettre de redonner du sens à l’Union européenne et lui fournir des clefs pour répondre au développement de la compétition internationale. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’éducation et la formation constituent l’un des piliers de la nouvelle stratégie Europe 2020. Cette stratégie, qui a succédé à celle de Lisbonne, a en effet vocation à faire de l’Union européenne « l’économie de la connaissance la plus compétitive du monde ». L’éducation joue évidemment un rôle central pour atteindre cet objectif.

La réforme de la formation des enseignants ne doit pas laisser de côté cette nouvelle donne. C’est pourquoi il faut prévoir, selon moi, une sensibilisation des futurs enseignants aux enjeux européens. Il s’agirait de leur faire connaître l’histoire de l’Union européenne, sa culture, sa littérature et le fonctionnement de ses institutions. À cet égard, je voudrais citer la recommandation 1833 de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, « promouvoir l’enseignement des littératures européennes », votée à l’unanimité le 17 avril 2008, qui me semble très pertinente. Notre collègue Jacques Legendre en avait été le rapporteur.

Je rappelle également que, en adoptant une résolution européenne que j’avais déposée en avril 2012, le Sénat a défendu l’idée de réunir sous un label unique, « Erasmus pour tous », l’ensemble des actions européennes conduites en matière d’éducation, de formation et de jeunesse. Il s’agissait de favoriser l’émergence d’un sentiment d’appartenance à un espace citoyen et culturel commun.

Le nouveau programme Erasmus + qui a été adopté est beaucoup plus ambitieux, grâce à un budget en hausse. Ouvert à tous les apprenants et à tous les formateurs, il consolidera un succès déjà existant. L’Union européenne rappelle ainsi à tous son attachement à l’éducation pour tous.

Ensuite, de même que nos jeunes doivent connaître l’Europe et les opportunités de carrière qu’elle offre, il convient qu’ils maîtrisent l’utilisation d’internet et des outils informatiques. Le rapport fait de la formation des futurs enseignants à ces outils une « nécessité pédagogique absolue », l’un des défis majeurs des parcours mis en place par les ESPE.

Il ne suffit plus aujourd’hui de compléter les cours des futurs enseignants par une option informatique : ce choix devrait impérativement figurer dans leur formation, qu’elle soit initiale ou continue, car il s’agit désormais de l’environnement quotidien des jeunes. Dans ces conditions, il nous semble essentiel que les ESPE préparent les étudiants à obtenir le certificat « informatique et internet » de l’enseignement supérieur de niveau 2 « enseignant ».

Certaines ESPE se sont particulièrement mobilisées en ce sens. Je citerai celle de Clermont-Ferrand, qui a mis en place un observatoire des pratiques pédagogiques à l’ère du numérique. Une doctrine sera ainsi définie pour l’ensemble de l’académie, ce qui permettra, dès la rentrée 2014, l’avènement d’une troisième génération de son « espace numérique de travail », servant non seulement de portail de ressources, mais également de gestionnaire des emplois du temps et de documentation.

Nous avons pu constater sur le terrain que les initiatives en faveur de la formation au numérique sont diverses et nombreuses. Or les moyens humains et financiers nécessaires sont coûteux et proviennent essentiellement des collectivités territoriales. Il serait donc utile que ces bonnes pratiques soient coordonnées, afin qu’elles se répandent sur l’ensemble du territoire. C’est pourquoi l’académie de Clermont-Ferrand s’engage également dans l’élaboration d’un schéma de cohérence du numérique éducatif pour l’équité des territoires.

Au niveau national, le réseau de création et d’accompagnement pédagogiques Canopé doit être restructuré, afin de simplifier et coordonner l’offre de ressources numériques de l’éducation nationale. Pourriez-vous nous parler, monsieur le ministre, de cette rénovation, qui permettra de mutualiser et centraliser des contenus gratuits ou payants ? Pouvez-vous également nous préciser les objectifs et le fonctionnement des futurs espaces d’innovation Canopé, qui seront déployés auprès des ESPE ? Par ailleurs, à quelle hauteur le Gouvernement compte-t-il financer les projets innovants prenant appui sur le numérique, à partir du programme des investissements d’avenir ?

L’évocation du numérique me conduit à souligner – ce sera le dernier point que je souhaite évoquer – l’importance de la transmission des cours par internet.

On appelle aujourd’hui MOOC les cours d’enseignement supérieur ouverts et massifs dispensés en ligne à destination du grand public. Des start-up américaines se sont lancées dès 2012 dans l’aventure de ces cours en ligne gratuits émanant de prestigieuses universités. En France, des initiatives ont été prises en 2013 dans des écoles d’ingénieur. Très vite, des projets de MOOC ont gagné les universités.

Cet outil pédagogique innovant peut s’adresser à des professionnels de l’enseignement et de l’éducation déjà en poste ou à des étudiants en formation initiale souhaitant exercer des fonctions éducatives. Il permet aussi des échanges entre les participants, ce qui peut susciter réflexion et aide. Il convient donc de sensibiliser les enseignants à ces nouvelles pratiques.

Du même ordre mais de philosophie différente, les formations à distance bénéficient également de l’essor numérique. Il s’agit ici non pas de cours en ligne ouverts à tous, comme les MOOC, mais d’une formation proposée aux étudiants venant s’ajouter à l’enseignement qu’ils peuvent recevoir sur place. Je pense notamment à l’utilisation de ressources articulées avec les enseignements. Ainsi, dans mon département, la Seine-et-Marne, sur les sites de Melun et Torcy, l’académie de Créteil a pris en compte les contraintes de déplacement des étudiants en proposant un enseignement à distance pour l’obtention de masters et la préparation au concours de recrutement des professeurs des écoles. Cela peut permettre une reconversion professionnelle, une formation pour des étudiants expatriés temporairement, une remise à niveau ou un enseignement renforcé.

De telles initiatives doivent être encouragées, car elles apportent des solutions aux conditions d’études souvent difficiles des étudiants et représentent un gain de temps et d’efficacité considérable. Ces modalités d’enseignement à distance pourraient d’ailleurs être exploitées pour la formation continue.

Notre rapport montre donc que le chantier de la formation des enseignants est en continuelle évolution, les acteurs locaux s’attachant à prendre des initiatives, qui devraient parfois être relayées au niveau national.

Notre rapport n’a pas vocation à répondre à ce qui suivra, en déterminant si le fonctionnement des ESPE portera ses fruits et si cette réforme sera capable d’apporter une plus-value à l’éducation de nos enfants. Nombreux sont les observateurs qui craignent la répétition du dispositif des IUFM, qui a montré ses limites. Il est évidemment trop tôt pour en juger.

Je suis convaincue que la formation des enseignants est un point essentiel, sans doute même primordial, pour lutter contre l’échec scolaire.

Au-delà de cette formation, nous l’avons souvent dit dans cet hémicycle, le Gouvernement doit mener une politique active en matière de revalorisation du métier d’enseignant. Notre rapport cite le cas spécifique de la Finlande, qui enregistre d’excellents résultats en matière d’éducation.

Je rappelais précédemment l’importance de la formation des enseignants au numérique. La Finlande fait figure de pionnière en ce domaine. Dans le même temps, elle a su faire accéder la profession d’enseignant à une reconnaissance qui lui permet d’être comparée à d’autres professions prestigieuses et rémunératrices, telle la profession de médecin ou d’avocat. Sans doute devrions-nous nous inspirer de cette expérience. Toutefois, la question du statut des enseignants ne relève pas du débat qui nous occupe ce soir.

Pour le moment, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, je souhaite simplement que notre contribution alimente la réflexion et permette d’achever dans de bonnes conditions la mise en place des ESPE, structures qui devront dispenser un enseignement professionnalisant et moderne. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et du groupe écologiste. – M. le rapporteur applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Férat.

Mme Françoise Férat. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la question de la formation des professeurs du premier et second degré, ainsi que celle de la préparation aux différents concours d’enseignement, est primordiale. Elle appelle donc à agir avec responsabilité.

En application de la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République du 8 juillet 2013, les écoles supérieures du professorat et de l’éducation ont été créées, en remplacement des instituts universitaires de formation des maîtres, venant ainsi réformer la formation de nos enseignants. L’esprit de cette réforme est louable, mais je regrette la rapidité avec laquelle elle a été mise en œuvre, suscitant de réelles inquiétudes et difficultés auprès de l’ensemble des acteurs concernés.

La réforme des rythmes scolaires a été mise en place trop rapidement et sans réelle concertation, avec les difficultés que nous connaissons aujourd’hui.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture. Ah non, c’était une bonne soirée jusque-là ! (Sourires.)

Mme Françoise Férat. Cela va s’arranger, madame la présidente de la commission !

De la même façon, la mise en place des ESPE s’est faite « à marche accélérée », pour reprendre les termes du rapport de la mission d’information sur les écoles supérieures du professorat et de l’éducation du 4 juin dernier.

Les ESPE ont le double objectif de parachever l’« universitarisation » de la formation des enseignants et de professionnaliser le parcours de cette formation.

Dans cette perspective, le rapport de la mission d’information apporte un éclairage intéressant sur les orientations à mener et le travail à approfondir. Cette dernière a fait plusieurs recommandations plus que pertinentes, qui seront, je l’espère, reprises à l’avenir. C’est le cœur même de ce chantier.

Je partage notamment ses conclusions quant à la nécessité d’un continuum entre les différentes étapes du cursus, qui doit être une priorité. Je salue la mise en place des conseils de perfectionnement au sein des ESPE, qui vont dans le sens de l’amélioration continue de la formation des enseignants et qui, je le crois, doivent être notre préoccupation à tous. Enfin, il faudra accentuer la cohérence pédagogique, établie à trois niveaux.

La licence, tout d’abord, est l’étape préalable à l’intégration d’une ESPE ; il s’agit d’insister sur l’intégration d’outils préprofessionnels ; cette licence ne doit pas être une étape désolidarisée au sein du cursus. Le master 1, lui, doit davantage être professionnalisant. Le constat auquel le rapport aboutit est sans appel : les ESPE sont encore, dans bien des cas, tiraillées entre les tenants d’une formation à vocation professionnelle et ceux qui sont favorables à une formation purement et simplement académique.

Cet hiatus pédagogique peut, à terme, desservir les étudiants qui attendent de la logique et de la complémentarité dans leur formation. Il nous paraît à ce titre utile que vous réaffirmiez, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, des orientations pédagogiques claires. La cohérence doit enfin se situer au niveau des modules de formation continue, car ceux-ci permettent aux professionnels de l’éducation d’adapter leurs outils de diffusion du savoir aux évolutions pédagogiques et sociales.

Il faut également encourager l’innovation pédagogique. La formation des ESPE ne doit plus être imperméable au monde professionnel, en perpétuelle évolution. Former de bons enseignants implique de les sensibiliser aux ressorts du monde professionnel.

Nous avions défendu cette position avec ma collègue Catherine Morin-Desailly lors des discussions sur la refondation de l’école. Les enseignants étant au cœur du processus d’orientation professionnelle, il nous paraît primordial d’intégrer cette dimension dans la structure pédagogique des ESPE. Cette initiative serait, je le crois, une des émanations du besoin d’innovation pédagogique que nous appelons de nos vœux.

Nous souhaitions également une intégration de personnalités extérieures issues du monde professionnel dans les organisations dirigeantes des ESPE, dont, en particulier, le conseil de l’école administrant ces établissements.

Une étude comparative simple entre les ESPE de Paris, Lyon, Toulouse et Aix-Marseille montre d’ailleurs une faible représentation de personnalités extérieures issues de la sphère professionnelle.

L’innovation pédagogique implique également une meilleure intégration du numérique dans les offres de formation. À ce titre, les initiatives telles que celle qui a été prise par l’ESPE de Clermont – dont il a été largement question ce soir –, à savoir la mise en place d’un observatoire des pratiques pédagogiques à l’ère du numérique, doivent être généralisées et encouragées. En outre, elles doivent en parallèle faire l’objet d’arbitrages stratégiques et financiers adéquats.

Le rapport de la mission d’information souligne également une amélioration de la professionnalisation. Nous pouvons nous en réjouir ; cependant, pour que cette tendance s’amplifie, il faudra être vigilant sur les profils des formateurs au sein de ces nouveaux établissements. Il est impératif que les étudiants puissent recevoir une formation dispensée par des formateurs de terrains.

Par ailleurs, j’estime nécessaire de réfléchir à la création d’un statut intermédiaire pour les étudiants qui ont validé leur première année de master et qui sont proches de la barre d’admissibilité aux concours, car cet enjeu me semble insuffisamment pris en compte.

Le rapport de la mission d’information soulève également la question de la gouvernance des écoles supérieures du professorat et de l’éducation. Celles-ci se trouvent au confluent d’institutions aux intérêts divers. Je partage la volonté d’une forte intégration des ESPE à l’université.

Le rapport pointe, de manière générale, de bons rapports entre les ESPE et les universités intégratrices ; nous ne pouvons que nous en féliciter. Il faut éviter, autant que faire se peut, une logique de développement opposée entre les partenaires et l’ESPE.

Nous sommes parfaitement conscients que les considérations locales doivent être prises en compte dans l’analyse des relations avec l’université. Ainsi, dans certaines académies, des situations historiques locales suscitent une dynamique conflictuelle entre les acteurs impliqués.

Il convient précisément dans ce genre de cas de garantir l’autonomie de décision de l’ESPE. Cette garantie n’est pas contraire à la logique d’intégration que nous souhaitons pour les ESPE ; bien au contraire, j’y vois une chance pour que les ESPE ne soient pas des coquilles vides, dans la mesure où elles se reposent entièrement sur les universités pour l’inscription administrative des étudiants, ainsi que pour la diplomation.

La question de l’autonomie de décision des ESPE appelle celle de l’autonomie financière – vous en avez également parlé, monsieur le rapporteur.

Dans la perspective d’un contexte budgétaire contraint pour les établissements publics d’enseignement supérieur et d’une baisse générale des dotations de l’État, le budget des ESPE risque de baisser mécaniquement en tant que composante du budget de l’établissement d’accueil. Plusieurs ESPE font état d’une diminution substantielle de leur budget de fonctionnement par rapport aux ressources des IUFM, diminution pouvant aller jusqu’à 30 %, en raison d’arbitrages financiers de l’université intégratrice.

Une réflexion à long terme sur le modèle budgétaire et financier de ces écoles est nécessaire, car, à l’heure actuelle, il crée une dépendance de fait aux établissements publics dans lesquels elles sont intégrées.

Par ailleurs, le rapport met en exergue la concurrence entre les ESPE et les UFR disciplinaires qui captent une grande partie des étudiants se destinant aux métiers de l’enseignement secondaire. À mi-parcours, il convient de renforcer les partenariats entre les UFR et les ESPE qui ne pourront entraîner que des externalités positives tant pour l’offre pédagogique que pour l’efficience des formations dispensées.

Le rapport de la mission de la commission de la culture est riche, étayé, et j’en partage les recommandations. J’espère qu’elles seront prises en compte, notamment par le comité de suivi de la réforme de la formation des enseignants, mis en place pour trois ans et qui devrait rendre son premier rapport très prochainement. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC, de l’UMP et du groupe écologiste. – M. le rapporteur applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Gillot.

Mme Dominique Gillot. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je veux dire moi aussi le plaisir que j’ai eu à participer à cette mission d’information : si celle-ci nous a permis d’évaluer un dispositif naissant, de valider l’une des concrétisations du chantier lancé par le Président de la République, amorcé par Vincent Peillon et poursuivi par Benoît Hamon et Geneviève Fioraso, au-delà, elle nous a donné l’occasion de travailler sur la refondation profonde et durable de l’école de la République, qui est un sujet passionnant.

Je suis reconnaissante à l’ensemble des collègues de la mission, particulièrement à sa présidente, Colette Mélot, et à son rapporteur, Jacques-Bernard Magner, pour la qualité des échanges et la recherche d’exhaustivité qui ont caractérisé ces travaux.

Définie dans deux grandes lois de la mandature – la loi sur l’enseignement supérieur et la recherche, qui engage une stratégie nationale pour les années à venir, et la loi sur la refondation de l’école, qui vise à replacer l’école dans l’ambition de notre République –, la création des ESPE est la cheville essentielle de la formation des maîtres du XXIe siècle.

Ces nouveaux établissements universitaires, au cœur des regroupements d’universités et d’établissements d’enseignement supérieur, sont le pilier de la reconsidération et de la reconquête du métier d’enseignant, au bénéfice des élèves, des enseignants et de la qualité de formation utile au redressement de notre nation.

Aujourd’hui, les enseignants sont recrutés à un niveau académique et disciplinaire équivalent à celui des ingénieurs ou des cadres supérieurs, mais depuis la suppression insensée des IUFM sous la présidence de M. Sarkozy (M. Jacques Legendre s’exclame.), il leur manque l’essentiel : une formation à leur métier.

Mme Françoise Cartron. Eh oui !

Mme Dominique Gillot. À la dégradation des rythmes scolaires – les petits Français n’avaient, depuis 2008, plus que quatre jours de classe par semaine et 144 jours par an, avec un volume annuel d’heures de cours beaucoup plus élevé que chez nos voisins –, a été ajoutée la suppression de la formation des maîtres.

Cette réforme hâtive avait pour but premier de permettre des économies – la suppression de l’année de stage a entraîné celle de milliers de postes. Elle a aussi révélé une méconnaissance de ce qu’est la pédagogie et un mépris pour les enseignants et leur travail, dont beaucoup expriment encore la souffrance et la colère.

Les bouleversements scolaires, sociaux, économiques, culturels ont changé les attentes et les exigences à l’égard de l’école et de ses missions.

Les professeurs des écoles, recrutés à bac+5 – alors que, je le rappelle, les instituteurs entraient à l’École normale après la troisième, puis après le baccalauréat – sont souvent démunis dans leur classe face à des élèves d’une grande diversité.

À l’heure de la mondialisation et de la globalisation, l’éducation, la formation et la qualification sont les moteurs du redressement. Pour que la France renoue avec la croissance et son rayonnement, elle doit élever le niveau de qualification de sa jeunesse, la préparer à l’économie du XXIe siècle, c’est-à-dire lui permettre de communiquer en plusieurs langues, maîtriser les outils numériques, travailler différemment, développer des compétences toujours nouvelles.

La mission de l’école étant de réduire les inégalités, de transmettre des valeurs, de faire grandir en chaque élève des qualités et des vertus utiles à la réussite collective, il était urgent de reconstruire une école de la confiance, de l’estime de soi et de la bienveillance. Pour cela, il fallait d’urgence repenser la formation des maîtres.

Chacun est conscient des difficultés que rencontrent le système éducatif et ses personnels. On ne fait plus classe aujourd’hui comme avant.

Faire classe aujourd’hui nécessite de mobiliser des compétences assurées, de différencier ses pédagogies, de construire des projets, de travailler en équipe, d’utiliser toutes les technologies accessibles, d’agir avec les acteurs extérieurs à l’école, d’ouvrir les esprits des enfants, de dialoguer avec les parents... Et cela s’apprend. C’est le rôle des ESPE.

Il a été démontré que l’incidence de la qualité de la formation du professeur sur la performance des élèves est le premier déterminant de la réussite scolaire. Nous avons donc besoin des meilleurs professeurs pour conduire tous les enfants vers la réussite et l’épanouissement.

Pour élargir le vivier de leur recrutement, il fallait redonner au métier toute sa considération et définir les conditions permettant de l’exercer de manière professionnelle, afin de lutter contre sa lente dévalorisation sociale.

L’école est une institution dont le facteur de changement est en son sein. Les enseignants qui sont à la manœuvre doivent être capables de satisfaire aux obligations de leur mission et de s’adapter à leurs élèves soumis aux influences de la société qu’ils incarnent.

Cette relation privilégiée entre le maître et ses élèves est affectée par le fonctionnement social, l’accélération des temps, l’envahissement des techniques qui touchent aussi l’école. C’est pourquoi la formation, appuyée sur la recherche et la pluridisciplinarité, est indispensable pour tous les enseignants.

Il y faut de la volonté commune, des personnels qualifiés issus des deux ministères – enseignement supérieur et recherche et éducation nationale – avec des cultures, des pratiques, des déroulements de carrière différents.

Il y faut du projet commun, une ambition partagée, de l’humilité, de la patience et des pratiques collaboratives.

Le rapport en témoigne : au-delà des frilosités disciplinaires et catégorielles, il y a beaucoup de bonne volonté et même de l’enthousiasme dans cette construction, qui a été évaluée durant toutes ces semaines.

Nous ne devons pas perdre de vue qu’il s’agit d’une structure nouvelle, au carrefour de deux cultures jusqu’ici distinctes : d’une part, l’enseignement supérieur, dont l’emprise sur la formation des maîtres a été renforcée par la masterisation, et, d’autre part, l’éducation nationale, qui accorde une place importante à la formation par les pairs, principe qui commence seulement à pénétrer le monde universitaire.

Les ESPE ne doivent pas être considérées comme de simples entités administratives, agrégats de formations. Elles doivent dépasser les clivages anciens observés entre IUFM et universités pour devenir de véritables entités.

C’est pour cela que je défends l’idée que l’ESPE doit s’imposer comme une composante forte des communautés d’universités et établissements – les COMUE –, en développant un esprit d’école, en assurant la mixité des équipes pédagogiques et en garantissant l’émergence d’une culture professionnelle partagée, donc d’une culture partagée de la formation à dispenser : théorique et pratique, académique et professionnelle.

La définition des qualifications pour les enseignants-chercheurs en IUFM avait donné lieu à une forte recherche en pédagogie. On ne peut maintenir, d’un côté, des universitaires dont la gratification et l’avancement professionnels ne seraient assis que sur leurs publications scientifiques, et, de l’autre, des enseignants – au demeurant chercheurs aussi – qui s’investiraient dans la pédagogie et ne seraient pas valorisés à ce titre.

Cette question traverse également l’ensemble de l’enseignement supérieur. Aujourd’hui, chacun recherche une manière de reconnaître et d’évaluer l’investissement de l’innovation pédagogique dans le supérieur.

Il faut veiller à ce que la masterisation, érigée en objectif principal, ne l’emporte pas sur la nécessaire acquisition progressive des pratiques pédagogiques. Rien ne serait plus contre-productif dans la création d’une école de formation, dont on attend qu’elle soit en phase avec les enjeux de notre société en mouvement, que de perpétuer des méthodes d’enseignement, d’évaluation et de diplomation figées par des référentiels de formations universitaires ou le substrat d’UFR subsistant.

Le travail contributif des recteurs, dont je rappelle qu’ils sont chanceliers des universités, sera en ce sens déterminant. Employeurs de ces futurs diplômés, ils sont aussi prescripteurs de leurs compétences attendues et garants de la bonne progressivité de leur formation.

L’émergence de la culture d’école, que j’appelle de mes vœux, tout comme vous, mes chers collègues, nécessite la mise en place d’un tronc commun à la formation des enseignants du premier et du second degré. C’est ainsi que l’on parviendra à développer une culture professionnelle partagée entre le primaire et le secondaire.

Cet objectif est indispensable au regard des résultats des enquêtes qui mettent régulièrement en évidence le nombre de « décrocheurs », lesquels, généralement, dès l’entrée en sixième, présentent des lacunes dans des domaines qui devraient relever de l’acquis fondamental. Et ce constat se répète en seconde, puis, dramatiquement, en premier cycle universitaire !

C’est la visée de cet objectif pédagogique renouvelé, mission des ESPE, qui sera propice à la réussite durable de tous les élèves et brisera la spirale des résultats PISA, qui interpellent notre système.

Il faut également être vigilant sur la constitution des équipes de formation. Il serait totalement inefficace de ne faire appel qu’à des formateurs « hors sol », déconnectés des réalités du quotidien et du terrain, réalités pourtant prépondérantes dans les choix pédagogiques à mettre en œuvre. Il faudrait d’ailleurs, me semble-t-il, ménager des phases dans les carrières pour éviter de trop longues coupures avec la réalité de la classe.

J’insiste sur ce point, car des disparités dans ce domaine sont connues : alors que l’ESPE de l’académie de Strasbourg affiche une proportion de professionnels issus du milieu scolaire dans les équipes pluricatégorielles de l’ordre de 40 %, l’ESPE de l’académie de Versailles s’était fixé l’objectif, présenté comme ambitieux, de 10 % !

Pour bien connaître l’une des trois ESPE accréditées pour une première année, je constate que, une fois le choc des cultures dépassé et les manœuvres de préservation des « magots » de postes déjouées, la rédaction patiente du règlement intérieur, pour éviter toute fâcherie ultérieure, a permis, après trois tentatives de délibération, une adoption à l’unanimité, qui augure bien, au fil du temps et de l’approche de la rentrée scolaire, du déplacement des centres d’intérêt vers ceux des maquettes, plans et calendriers de formation, avec identification de tuteurs et de lieux de stage à travers les cinq départements. C’est très encourageant.

À cet effet, je tiens à saluer l’énergie et la capacité de dialogue du président et de la directrice de l’ESPE, tout comme celles du président de l’université de Cergy-Pontoise. En effet, la diplomatie est de mise à chaque conseil d’école.

Il s’agit donc bien, avec les ESPE, de construire un continuum de formation de la maternelle au supérieur, visant l’intérêt de l’enfant devenant élève, puis collégien et lycéen, afin qu’il puisse aborder dans les meilleures conditions l’enseignement supérieur, nourri de valeurs, rompu aux technologies indispensables à la société d’aujourd’hui qui lui permettront de garder un esprit de curiosité et de questionnement. Car n’oublions pas qu’apprendre, c’est avant tout chercher et douter !

Avec le numérique et la recherche permanente à laquelle ils accèdent dès le plus jeune âge, les enfants d’aujourd’hui acquièrent en dehors de l’école une attitude de questionnement que les enseignants doivent être formés à accompagner, à stimuler et à organiser.

C’est aux enseignants que revient d’assurer cette indispensable médiation entre la somme d’informations hétéroclites disponibles et l’élève, pour lui permettre de construire de solides connaissances. Ils doivent, selon Marcel Gauchet, « remettre de l’ordre dans du désordre ».

L’école doit être l’institution de confiance où l’on peut obtenir des réponses à des questions de l’ordre du savoir, où l’on peut apprendre à résoudre des problèmes, où l’on peut apprendre à se poser des problèmes, où l’on peut accepter de se tromper.

L’exploitation et la maîtrise des technologies de l’information et de la communication vont donc susciter une hausse du niveau d’exigence scolaire. Parallèlement, la multitude des ressources offertes permet d’élargir le cercle des apprenants et d’apporter un soutien ponctuel ou durable aux enseignants dans leur pédagogie comme dans leur formation, initiale ou continue, en particulier dans les secteurs démunis, isolés, difficilement accessibles.

C’est à ce titre que je plaide pour le développement rapide d’un enseignement à distance et en ligne dans l’académie de Guyane, dont l’ESPE doit composer avec des contraintes matérielles, géographiques et démographiques lourdes. Ce renfort technologique bien pensé permettrait l’accès d’un plus grand nombre aux formations et accélérerait l’émergence du vivier d’enseignants indispensable dans ce département français.

D’une façon générale, la capacité d’innovation des ESPE suivra l’ampleur des efforts conduits en matière de développement de l’interdisciplinarité, de mutualisation et de renforcement du travail d’équipe. Vincent Peillon l’avait affirmé : « Il faut refonder l’école de la République et refonder la République par l’école. Les enseignants sont les premiers acteurs du redressement de notre pays. »

Nous sommes aujourd’hui à l’année zéro des ESPE. Beaucoup a été fait, et très rapidement. Il faut saluer la mobilisation des professeurs formateurs et encourager la variété des parcours.

Il faut aussi soutenir l’implication des recteurs, qui devraient siéger dans tous les conseils d’écoles, en personne, pour bien montrer l’intérêt porté par l’éducation nationale au processus mis en route et ne pas risquer l’universitarisation de la nouvelle formation.

C’est un processus progressif, perfectible en fonction des évaluations qui seront opérées tant par les usagers et étudiants que par les professeurs, les formateurs, et l’employeur. Je vous saurais donc gré, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, de répondre à quelques questions.

La loi est-elle toujours bien appliquée, c’est-à-dire tous les postes IUFM sont-ils bien transférés à l’ESPE ? Certains professeurs en UFR résistent et ne veulent pas rejoindre l’ESPE pour des raisons qui peuvent s’entendre, mais quid de leur support budgétaire ?

Par ailleurs, si on constate un regain d’inscription aux formations de l’éducation, pourra-t-on encadrer tous ces étudiants « usagers » avec les seuls moyens transférés des IUFM ? Y a-t-il des académies déficitaires et d’autres « excédentaires » ? Je pense à l’exemple de l’ESPE de Versailles et du partenariat interacadémique avec Paris-Créteil.

Pour ce qui est de la pratique, de la maîtrise et de l’apprentissage des nouvelles technologies, comment seront recrutés les professeurs ? Sur quelle base de formation ?

Enfin, quels dispositifs sont prévus pour favoriser et former à la pratique interdisciplinaire et à la démarche de projet ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et du RDSE.)

Mme Françoise Cartron. Bravo !

Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Bouchoux.

Mme Corinne Bouchoux. Madame la présidente, madame la présidente de la commission de la culture, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il est bientôt vingt-trois heures et à peu près toutes les réflexions sensées et intelligentes, voire brillantes, ont déjà été exprimées sur ce rapport ! (Sourires.) Même si la pédagogie est parfois l’art de la répétition, j’essayerai de ne pas reprendre des propos déjà énoncés par mes collègues, mais plutôt de poser un certain nombre de questions.

Monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, comme il n’y a pas d’urgence, vous répondrez à celles qui vous conviendront.

Premièrement, les écologistes sont bien évidemment extrêmement satisfaits de la mise en place des ESPE, à tel point que nous avions souhaité faire un bilan de leur mise en place, de leurs points forts et de leurs points faibles.

Néanmoins, les trente ESPE créées dans cinq registres particuliers, avec des structurations intenses menées au pas de charge, ne sont pas forcément d’une intelligibilité folle pour qui ne connaît pas le système éducatif français – je pense par exemple aux universitaires étrangers ! Les ESPE sont structurantes, mais elles sont inintelligibles pour le non-initié. Que comptez-vous faire pour rendre la chose plus pédagogique ou plus parlante pour le grand public ?

Deuxièmement, à l’approche de la rentrée, a-t-on fait le point sur les PFA, les professeurs formateurs académiques, dont les établissements auront besoin ? À ce propos, il me vient une question : si le rôle des ESPE est fondamental, a-t-on pour autant pris soin d’insister auprès de chacun sur le rôle fondamental des EPLE, les établissements publics locaux d’enseignement, qui accueilleront les enseignants en formation ? N’y a-t-il pas un risque de distorsion entre l’évolution positive des ESPE et la perception peut-être encore quelque peu désuète des établissements d’accueil, qui ont aussi une mission de formation, notamment au travers des chefs d’établissement ?

Troisièmement, après avoir lu le rapport avec attention, nous nous interrogeons sur le rôle des inspections. Les inspecteurs sont présents et importants partout ; néanmoins, ils ne sont fléchés nulle part. J’aurais voulu savoir si l’on comptait préciser leur rôle dans la mise en place des ESPE.

Quatrièmement – vous allez peut-être penser que ce sont des lubies, mais nous tenons à attirer votre attention sur ces points –, lors des discussions menées sur la loi de refondation de l’école, mais aussi sur la loi relative l’enseignement supérieur, nous avons souhaité insister sur des aspects qui nous semblaient innovants et non marginaux.

Je rappelle l’importance des opérations « La main à la pâte » et de gestion non violente des conflits. Récemment, j’ai vu passer un texte où le terme « non violent » avait disparu. Pourtant, la gestion non violente des conflits, ce n’est pas la même chose que la gestion des conflits !

Nous avons aussi attiré l’attention sur l’importance d’avoir des intervenants issus du monde associatif, des non-professionnels, particulièrement dans le contexte de la mise en place, avec les difficultés qui ont été signalées, des rythmes scolaires. Il nous semble nécessaire qu’il y ait un continuum entre le temps périscolaire dans les projets éducatifs territoriaux, les PEDT, et ce qui se passe dans les ESPE. Les différents acteurs doivent donc pouvoir se côtoyer.

Cinquième élément : quid de l’ESEN, l’École supérieure de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, cet établissement de formation un peu particulier qui fait coexister des formateurs sans formation dédiée ? Quelle est l’articulation entre l’ESEN, que nous avons visitée l’an dernier avec la commission de la culture, et les ESPE ? Il y a là, me semble-t-il, un angle mort, qui gagnerait peut-être à être réduit.

Sixièmement, j’aborderai la question des formations. Notre pays est encore extrêmement marqué par une formation disciplinaire – le dernier orateur l’évoquera certainement – et par la liberté pédagogique des enseignants, ce qui est heureux.

Il faudrait, tant dans l’enseignement supérieur que dans les ESPE, cesser de diffuser l’enseignement en silos de disciplines différentes, et amorcer une réflexion problématisée sur notre monde qui est de plus en plus complexe – je vous renvoie aux thématiques développées par Edgar Morin. Mme Gillot l’a bien dit, il faut développer une pédagogie par problèmes, comme elle se pratique notamment à l’université de Louvain : elle gagnerait utilement à être diffusée dans les ESPE françaises. Monsieur le ministre, que comptez-vous faire en ce sens ?

Septièmement – et ce n’est pas le moindre des points que je souhaite aborder –, nous devons évoquer ici, entre personnes de bonne compagnie, un sujet abordé de façon allusive par Mme Gonthier-Maurin, celui de l’éducation à l’égalité entre les garçons et les filles et des stéréotypes de genre. Lors de la discussion du texte, le mot « genre » était supprimé dès qu’il apparaissait. Pour notre part, nous avons essayé d’être vigilants et de le réintroduire, car ce terme a un sens et une portée.

Comment pouvons-nous être certains que, dans les ESPE, un enseignement à l’égalité entre les garçons et les filles est bien dispensé ? Nous aimerions attirer votre attention sur le fait qu’un certain nombre d’associations professionnelles tout à fait sérieuses, universitaires, sont capables de mener des audits pour vérifier que ce qui figure dans les maquettes est bien mis en pratique et s’assurer que, sur cette question extrêmement importante, voire sensible, pour l’opinion, il y a un minimum d’harmonie.

Monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, voilà les sept questions que nous souhaitions vous poser. Nous le rappelons, les ESPE sont non seulement structurelles, mais également structurantes. À cet égard, elles sont extrêmement importantes pour l’avenir de l’enseignement en France. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Cartron.

Mme Françoise Cartron. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, comme l’a souligné Corinne Bouchoux, comment dire des choses intelligentes et ne pas être redondante après les interventions de tous mes éminents collègues ? J’essayerai donc de resituer le débat dans sa globalité et de faire des focus sur quelques points plus particuliers.

On l’a dit, le 13 novembre dernier, notre commission constituait une mission d’information sur les écoles supérieures du professorat et de l’éducation, deux mois seulement après la mise en place de ces dernières – preuve d’efficacité et de réactivité s’il en est. Il y a une semaine, le rapport conclusif des travaux de la mission a été adopté à l’unanimité. Saluons le travail collectif réalisé par les membres de la mission, plus particulièrement par son rapporteur et par sa présidente.

Il s’agit bien évidemment d’un document d’étape, technique, utile, qui rappelle, d’une part, la complexité des enjeux liés au rétablissement de la formation des maîtres, après l’échec avéré de la masterisation, et, d’autre part, la nécessité d’un suivi sur le long terme, pour une montée en puissance progressive de ces trente structures nouvelles.

Il y a tout juste un an, nous adoptions, ici même, deux lois fondamentales de ce début du quinquennat : la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, un texte que j’ai eu l’honneur de rapporter devant vous et qui comportait un volet important consacré à la restauration de la formation professionnelle et pédagogique des enseignants, chantier essentiel ouvert dès la rentrée 2013, et la loi relative à l’enseignement supérieur et à la recherche, dont Dominique Gillot était la rapporteur et qui a fait évoluer les composantes universitaires dans lesquelles ces ESPE sont justement intégrées.

L’ESPE est donc une structure nouvelle, dont le succès repose assurément sur la convergence effective de deux cultures jusqu’ici bien distinctes : celle de l’enseignement supérieur, qui a vu son rôle renforcé à la suite de l’intégration des IUFM aux universités et de la réforme dite « de la mastérisation », et celle de l’éducation nationale, qui accorde traditionnellement une place importante aux pairs dans la formation, principe encore trop éloigné des universités, malgré le développement des masters professionnels.

Oui, au final, il s’agit bien de notre capacité à changer collectivement le paradigme de notre système de formation. C’est d’ailleurs très justement rappelé dans le rapport : « L’ESPE […] doit devenir un lieu de dépassement des anciennes contradictions idéologiques entre les IUFM et les universités. Pour cela, il faut travailler à bâtir un esprit d’école que chacun partage au-delà des métiers, des cultures et des pratiques administratives. » Au reste, je considère que ce qui vaut pour la formation des enseignants vaut, bien entendu, pour d’autres réformes en cours !

Comme l’avait justement dit ici même votre prédécesseur, monsieur le ministre, lors de l’examen, en première lecture, de la loi pour la refondation de l’école de la République : « Ce qui a coûté très cher au système d’éducation français […], c’est la division permanente entre les uns et les autres : le mépris du professeur du secondaire pour le professeur du primaire, du professeur de l’université pour le professeur du secondaire, sans oublier l’incompréhension à l’égard des éducateurs, comme nous avons pu l’observer à l’occasion de la réforme des rythmes scolaires. Les écoles supérieures du professorat et de l’éducation rassembleront tous ceux qui ont vocation à enseigner et qui […] doivent aussi apprendre à se connaître. »

Oui, apprendre à se connaître et à travailler ensemble prend du temps et passe par des structures de formation repensées. Quels sont les leviers de ces changements profonds ? En lieu et place d’un système hiérarchique, cloisonné et d’une préparation purement académique aux concours, la coopération entre les ESPE et les autres composantes universitaires doit être renforcée.

Afin de conjuguer les dimensions professionnelles et académiques tout en développant les compétences pédagogiques, didactiques et disciplinaires, il faut également sortir de la dichotomie inscrite dans les parcours de formation des enseignants du premier et du second degré, intégrer effectivement au sein des équipes pluricatégorielles des formateurs professionnels venus du terrain, relever le défi majeur que constitue la formation à de nouveaux outils pédagogiques innovants et aux ressources numériques, enfin, élargir les champs de formation auxquels les futurs enseignants doivent être solidement préparés.

Je pense, sur ce point, à la sensibilisation à l’égalité entre les femmes et les hommes, à la lutte contre les discriminations et à la scolarisation des élèves en situation de handicap. Dans ces différents domaines, qui entrent dans le tronc commun de tous les étudiants, l’apport et le regard particulier des associations culturelles, artistiques et d’éducation populaire sont aussi nécessaires.

Un amendement en ce sens avait d’ailleurs été adopté par notre commission lors de l’examen, en première lecture, du projet de loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République.

M. Jacques-Bernard Magner, rapporteur. C’est vrai !

Mme Françoise Cartron. À ce propos, et ceci est ma première interrogation, où en est-on de l’application de la parité dans les instances de gouvernance des ESPE ?

Les écoles supérieures du professorat et de l’éducation forment les enseignants et les enseignantes, éducateurs et éducatrices de demain. Toutefois, quel paradoxe ! Alors que les femmes représentent 82 % des enseignants à l’école primaire et 58 % dans l’enseignement secondaire, la présence masculine s’affiche dans les mêmes proportions aux postes de commande, dans le corps des inspecteurs d’académie comme à la direction des services.

Certes, la loi de juillet 2013 a imposé la parité dans les modes de scrutin aux élections des universités et communautés,…

M. Jacques Legendre. Eh oui !

M. Jacques-Bernard Magner, rapporteur. Cela n’a pas été facile !

Mme Françoise Cartron. … des règles également appliquées pour les instances des ESPE, puisque chaque liste de candidats est composée alternativement d’un candidat de chaque sexe. Toutefois, je constate que, aujourd’hui, la direction de l’ESPE de Bordeaux est à 100 % masculine ! Cette situation n’est pas acceptable.

Dans ces conditions, comment inciter plus fortement à la mixité ? Si la création de modules de formation contre les stéréotypes est une avancée nécessaire, conformément aux préconisations de la convention interministérielle pour l’égalité entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes dans le système éducatif 2013-2018, il n’est plus possible de ne pas mettre en application ce que l’on enseigne !

En outre, vous constatez, monsieur le rapporteur, que l’antériorité de la collaboration et du dialogue entre l’IUFM et les universitaires est un facteur important de facilitation de la réforme.

M. Jacques-Bernard Magner, rapporteur. C’est vrai !

Mme Françoise Cartron. D’ailleurs, les réformes mises en place depuis deux ans, qu’il s’agisse des nouveaux rythmes scolaires ou du rétablissement de la formation des maîtres, ont toutes ce point commun de vouloir faire travailler ensemble les acteurs qu’elles concernent, surtout lorsque ces derniers n’en avaient pas ou plus l’habitude.

M. Jacques-Bernard Magner, rapporteur. Tout à fait !

Mme Françoise Cartron. C’est pourquoi ces réformes sont difficiles et s’appliquent de façon inégale selon les territoires.

En effet, vous avez relevé, pour chaque point évoqué précédemment, des disparités régionales fortes, tant dans l’intégration des écoles dans l’université et leur collaboration avec les autres composantes universitaires que dans la formation et la diversité des intervenants. Pourtant, quelle formidable impulsion pour tirer tout le monde vers le haut !

M. Jacques-Bernard Magner, rapporteur. C’est vrai !

Mme Françoise Cartron. Les expériences réussies doivent être connues et partagées avec les structures qui connaissent des difficultés alimentant leurs doutes et leurs craintes. Ce rapport y contribue.

Cependant, ayons toujours en tête que, non, tout ne sera pas parfait à la rentrée, que les prochains mois seront cruciaux pour régler les tensions budgétaires et avancer sur chaque pan de la réforme et qu’il faudra une montée en puissance sur plusieurs années. Si la mise en place des ESPE nécessite du temps et de la continuité, la formation des enseignants elle-même nécessite du temps et de la continuité, afin de pérenniser et de diversifier les viviers de recrutement.

L’auteur du rapport propose ainsi d’engager le processus d’acculturation en licence, en prenant soin d’articuler dès l’origine l’académique et le professionnel. Est également préconisée une montée en puissance du dispositif des emplois d’avenir professeur, les EAP, pilier important de la réforme de la formation initiale des enseignants, notamment par une meilleure association des ESPE à la gestion de ces EAP, laquelle relève actuellement plutôt des seules UFR. Pour l’heure, sur les 10 000 emplois offerts entre janvier 2013 et mars 2014, quelque 8 000 ont été pourvus. L’objectif est de recruter 18 000 étudiants boursiers via ce dispositif, entre 2013 et 2016.

Derrière ce résultat global se cachent, là encore, d’importantes disparités régionales. Des académies attractives, comme celle de Bordeaux, ont dépassé le nombre de contrats qui leur étaient initialement assignés, quand d’autres ne sont pas parvenues à pourvoir tous les postes. Le dispositif des EAP mérite d’être redynamisé, nos politiques devant favoriser la mixité sociale non seulement au sein des classes, mais également au sein du corps professoral.

Au bout d’un an de ce qui s’apparente à une reconstruction totale et ambitieuse de la formation des enseignants, le chantier n’est bien entendu pas achevé et mérite d’être progressivement ajusté. Soyons patients, constructifs et force de propositions !

En effet, il est évident que le succès de la refondation entreprise il y a deux ans sera conditionné, à terme, par la capacité de notre pays à offrir une formation initiale et continue performante, ainsi que des perspectives de carrière stimulantes aux jeunes qui se destinent aux métiers de l’enseignement et de l’éducation.

Cela dit, je souhaite revenir sur un autre point, qui me paraît fondamental. Nous l’avons vu, la formation des personnels de l’éducation doit nécessairement s’appuyer sur un continuum entre la formation initiale, la formation en alternance et la formation continue, afin de garantir l’acquisition, tout au long de la carrière, des savoirs théoriques et pratiques et des compétences professionnelles en matière de pédagogie.

Or la formation des personnels de direction et d’inspection demeure l’angle mort de la réforme. Pourtant, comme l’ont montré les difficultés d’application des lois d’orientation de 1989 et de 2005, les échelons administratifs locaux sont essentiels pour prolonger l’impulsion initiale.

C’est pourquoi, depuis deux ans, dans mes rapports successifs, j’ai appelé à une profonde réforme de l’École supérieure de l’éducation nationale, l’ESEN, qui ne donne pas satisfaction – les étudiants eux-mêmes le disent avec force – et dont l’articulation avec les services académiques de formation se révèle déficiente.

La rigidité et la faiblesse de l’accompagnement qui ont été relevées par endroits peuvent s’expliquer par l’alourdissement général des tâches administratives dévolues aux cadres de l’éducation nationale. Ces derniers sont contraints de privilégier le contrôle d’application des textes à l’accompagnement du changement et à la rénovation pédagogique. Il me semble donc aujourd’hui nécessaire de réformer l’ESEN, chargée d’une partie de la formation des chefs d’établissements et des inspecteurs. Monsieur le ministre, quelle est votre position sur ce point ?

En conclusion, vous étiez, il y a quelques semaines, à Melun, sur le site de l’école supérieure du professorat et de l’éducation de l’académie de Créteil. Avez-vous pu recueillir le « ressenti » des premiers concernés, à savoir les étudiants qui bénéficient des nouveaux masters MEEF ?

Le cas échéant, il me paraît important de le relayer, car, aujourd’hui, au-delà des aspects purement techniques que nous avons évoqués, nous devons rendre aux jeunes l’envie de s’engager dans ce beau métier d’enseignant, en les accompagnant, en les rassurant, mais aussi en reconnaissant la place essentielle qui sera la leur dans notre société. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Legendre.

M. Jacques Legendre. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, notre collègue Françoise Cartron ayant déclaré que tous les orateurs éminents se sont déjà exprimés, on comprendra que je doive être et rapide, et modeste ! (Rires.)

Mme Françoise Cartron. Monsieur Legendre, je ne me serais pas permis une telle impolitesse à votre égard !

M. Jacques Legendre. La mission d’information, dont j’étais membre, a suivi sur le terrain la mise en place des écoles supérieures du professorat et de l’éducation, sans préjugé, mais également sans complaisance. Je pense que cela mérite d’être noté, car le respect mutuel qui a accompagné nos auditions et nos réflexions a permis de dresser un bilan objectif de cette installation.

Je tiens à saluer à mon tour le remarquable travail de notre rapporteur, Jacques-Bernard Magner, et de notre présidente, Colette Mélot : ils ont su installer une ambiance consensuelle et prendre en considération les avis des uns et des autres. Une telle attitude permet la publication de bons rapports ! (Mme Françoise Cartron s’exclame.)

Cependant, ne nous trompons pas d’objet : l’adoption à l’unanimité de ce rapport par la commission des affaires culturelles n’est pas un satisfecit donné à la réforme de la formation des enseignants ; c’est l’approbation d’un rapport de travail particulièrement utile. Bien évidemment, nous souhaitons la réussite de cette réforme de la formation, dans l’intérêt des enseignants et des élèves, mais nous n’avons pas encore les moyens d’émettre un jugement éclairé à son sujet.

La mise en place des ESPE a dû être menée rapidement, ce qui explique en partie les dysfonctionnements que nous avons notés : dossiers d’accréditation insuffisants, définition complexe des corps électoraux… Je note, à cet égard, que l’exigence de parité, appliquée strictement, puisqu’il faut respecter la loi, a abouti, en l’espèce, à une baisse de la représentation des femmes au sein des instances de gouvernance – conseil de l’école et conseil d’orientation scientifique et pédagogique.

Ce constat doit nous amener à réfléchir sur l’inclusion systématique d’exigences en matière de parité lors de la discussion de textes de loi. J’ai cru comprendre, ma chère collègue Françoise Cartron, que vous vous interrogiez également sur ce point.

Mme Françoise Cartron. Je ne m’interroge pas, je la souhaite !

M. Jacques Legendre. Malgré ces difficultés administratives et la complexité de la constitution des organes de gouvernance, la mise en place structurelle des ESPE s’est globalement bien passée et la continuité du service public a été assurée.

Le principal problème rencontré par les ESPE réside maintenant dans la nouvelle configuration mise en place, puisqu’il faut intégrer ces structures dans le paysage universitaire, lui-même en pleine recomposition. Ces rigidités sont liées à la place occupée précédemment par les IUFM et les universités, ainsi qu’à leurs forces respectives.

Le rapport de la mission commune d’information dresse un tableau varié : la prédominance de l’une ou l’autre instance demeure dans certaines académies, alors que certains IUFM travaillaient en bonne intelligence avec les universités. À Clermont-Ferrand, exemple souvent cité, l’antériorité de bonnes relations de travail facilite l’application de la réforme.

L’enjeu est important : l’inclusion des ESPE dans les universités ne doit pas se résumer à une simple préparation académique des étudiants aux concours. Une participation aux modules transversaux à vocation professionnalisante et aux travaux de recherche des UFR, serait une valeur ajoutée souhaitée par la réforme, qui manifestement n’est pas encore réalisée partout. Le rapport relève que le conservatisme dominant en l’espèce puise en partie son origine dans la différence de parcours de formation des étudiants, selon que ceux-ci se destinent au premier ou au second degré.

Aussi la mission recommande-t-elle la généralisation de troncs communs de formation des étudiants se destinant au professorat, que celui-ci vise le primaire ou le secondaire. Cette symbiose, réalisée actuellement dans les deux tiers des écoles, devrait être étendue et généralisée, participant ainsi à l’apparition d’une « culture d’école ».

J’en viens au contenu de la formation dispensée et je formulerai quelques remarques sur les prescriptions établies par la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République.

De nouveaux champs de formation sont prévus par la loi. Ils correspondent, d’une part, à l’évolution de notre société – ce qui explique, par exemple, une préparation à la gestion des conflits ou à la lutte contre les discriminations –, et, d’autre part, aux contenus pédagogiques.

Le rapport rappelle que ces prescriptions ne sont pas limitatives. Il faudra en effet veiller à ce que les maquettes respectent le « cadre national des formations liées aux métiers du professorat du premier et du second degré et de l’éducation », qui comprend la connaissance des processus d’apprentissage des élèves, les méthodes de différenciation pédagogique et de soutien aux élèves en difficulté, la connaissance du socle commun – celui-ci donne quelques soucis actuellement au Conseil supérieur des programmes... – et les méthodes d’évaluation des élèves.

La présidente de la mission commune d’information, Colette Mélot, a veillé à ce que la dimension européenne de l’enseignement soit précisée dans le rapport. En effet, l’Union européenne représente un enjeu central, car elle est une possibilité de soutien mutuel dans un monde en perpétuelle tension économique. Au-delà d’une coopération économique, la conscience d’une véritable citoyenneté européenne doit être inculquée aux enseignants, qui forment eux-mêmes les citoyens français et européens de demain.

La maîtrise totale de l’outil informatique me semble elle aussi incontournable. Les enseignants seront de plus en plus confrontés à des générations d’élèves imprégnés de culture numérique. Si certaines ESPE ont intégré cet enjeu et ont déjà mis en place de bonnes pratiques en ce sens, ces dernières sont cependant loin d’être généralisées. Il s’agit d’un investissement coûteux, mais indispensable, dans lequel l’État doit avoir sa part, puisqu’il s’agit d’un domaine de formation essentiel des agents de l’éducation nationale.

Concernant les méthodes de travail, la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République a accordé une large place au travail en équipe, au regard d’intervenants extérieurs, ainsi qu’à l’interdisciplinarité. Bien que des échanges soient souhaitables, je pense, comme je l’ai affirmé en commission, qu’il faudra veiller à ce que cette démarche se fasse dans le respect absolu du principe de liberté pédagogique de l’enseignant. (Mme Corinne Bouchoux acquiesce.) Ma chère collègue, vous attendiez que je le rappelle ! (Sourires.)

Je tiens également à souligner, car j’y attache beaucoup d’importance, qu’il n’y a pas une seule bonne méthode dans le domaine de la pédagogie. Les ESPE ne doivent pas formater a priori les enseignants dans un seul moule. Le succès de l’enseignement dépend aussi de notre capacité à disposer de plusieurs pédagogies. Il faut rappeler qu’il n’y a pas qu’une seule pédagogie.

Enfin, toujours en matière de formation dispensée aux futurs enseignants, afin de ne pas retomber dans les travers des IUFM, il faudra assurer des retours périodiques des formateurs sur le terrain, pour éviter qu’ils ne se trouvent déconnectés de leur métier au fil du temps. Leur témoignage direct sur le métier qu’ils enseignent me semble aussi important que la professionnalisation qui est favorisée par cette réforme. C’est en effet du contact avec le terrain que nos étudiants pourront acquérir de bonnes pratiques. On vante les bienfaits de l’alternance dans beaucoup de secteurs ; il doit en être de même dans l’éducation nationale.

Au lendemain de l’enquête PISA qui a classé la France à un rang très inférieur à ce que l’on doit attendre d’elle, l’avenir de notre système d’enseignement ne peut s’envisager sans la mise en place de nouvelles stratégies de lutte contre l’échec scolaire. Je suis convaincu que l’une d’elles passe par l’excellence de la formation des enseignants, mais également par la revalorisation de leur statut. Cette revalorisation n’est malheureusement pas à l’ordre du jour, le Gouvernement privilégiant l’augmentation du nombre de postes. Il faudra se pencher sur ce problème.

L’exemple de la Finlande, déjà cité, est particulièrement révélateur à cet égard. Il confirme que c’est non seulement dans la quantité des postes créés, mais aussi dans la qualité de l’enseignement dispensé à nos enfants par des professionnels ayant une véritable reconnaissance sociale que se construit la valeur du système éducatif d’un pays.

Mme Françoise Cartron. C’est vrai !

M. Jacques Legendre. Toutefois, si le contenu éducatif proposé par les enseignants n’est pas adapté aux besoins de nos élèves, cela ne suffira pas.

Tout se joue par l’acquis des fondamentaux au primaire, et par la suite au collège, pour éviter l’échec scolaire qui ruine l’avenir d’une partie de nos jeunes. Si nous devons rester attachés à l’idée d’un collège unique, c’est par une diversification des voies et des pédagogies que nous garantirons un avenir meilleur à ces jeunes.

Le débat d’aujourd’hui devra donc se prolonger par une réflexion approfondie sur d’autres thèmes et nous devrons garder à l’esprit qu’il est urgent d’entreprendre la modernisation de notre système éducatif. Sur ce sujet, nous sommes tous mobilisés. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, de l’UDI-UC et du RDSE. – Mme Corinne Bouchoux applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Benoît Hamon, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Madame la présidente, madame la présidente de la commission de la culture, madame la présidente de la mission commune d’information, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, selon une répartition sexuée assez classique, dans cet exercice à deux voix auquel nous allons nous livrer, ma collègue et moi, Geneviève Fioraso se chargera des questions les plus difficiles et moi des questions les plus simples. (Sourires.)

Mme Françoise Cartron. Très bien !

M. Benoît Hamon, ministre. Je savais que cela vous plairait, madame Cartron ! Cela confirme vos convictions profondes à mon sujet, ce qui m’inquiète, d’ailleurs... (Nouveaux sourires.)

Mme Françoise Cartron. Je savais que vous étiez un homme de progrès, monsieur le ministre, et cela se vérifie ! (Rires.)

M. Benoît Hamon, ministre. Je formulerai quelques commentaires sur les recommandations que contient ce rapport de qualité et répondrai aux différentes remarques qui ont été émises, ce qui nous permettra de faire le point sur la montée en puissance des ESPE.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous vous demandez si ces écoles contribuent à rendre plus attractif le métier d’enseignant. À l’évidence, nous ne pouvons donner une réponse définitive à cette question. En revanche, un certain nombre d’indicateurs nous montrent que, aujourd’hui, le métier d’enseignant semble plus attractif et que la formation initiale des enseignants n’y est pas pour rien. J’essaierai de l’illustrer dans quelques instants.

Vous avez tous reconnu avec beaucoup d’honnêteté – même ceux d’entre vous qui sont membres de l’opposition –, l’ambition éducative dont fait incontestablement montre le Gouvernement. Bien sûr, selon que l’on est de droite ou de gauche, on ne partage pas nécessairement les priorités qui sont fixées.

Vous avez les uns et les autres évoqué les classements internationaux, les évaluations du ministère de l’éducation nationale lui-même, établies par la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance, la DEPP. Le Gouvernement se fixe comme objectif principal la lutte contre les inégalités sociales qui se développent dans l’école, les déterminismes sociaux, mais également les déterminismes parfois scolaires, qui conduisent l’institution elle-même à orienter certains jeunes sans tenir compte de leurs capacités et, ainsi, à produire des inégalités.

Face à cette situation, nous avons décidé de réagir, en consacrant davantage de moyens et d’effectifs à l’éducation nationale. En effet, il faut plus d’adultes. Cela ne résume évidemment pas une ambition éducative, mais cela dit beaucoup de notre volonté que davantage d’adultes soient face aux élèves, pour que ces derniers, quelle que soit leur origine sociale, quel que soit le territoire dans lequel ils sont inscrits à l’école, au collège ou au lycée, aient affaire à des équipes enseignantes formées, suffisamment nombreuses. Il s’agit en effet d’apporter des réponses à chacun de nos enfants, pas simplement à tous les enfants.

Le Gouvernement consent un effort significatif en termes d’effectifs. Je souligne ainsi qu’un tiers des effectifs porte sur la formation des enseignants, ce qui montre la dimension qualitative de cet effort quantitatif. Il ne s’agit donc pas simplement d’augmenter le nombre de professeurs, pour compenser leur baisse dans les dix dernières années.

Les propositions et les chantiers qui traduisent les choix du Gouvernement sont parfaitement cohérents les uns avec les autres. Parmi ceux-ci se trouvent la priorité au primaire et la priorité à l’éducation prioritaire, avec la refonte de la carte de l’éducation prioritaire, qui sera officielle l’année prochaine et qui concentrera qualitativement et quantitativement les moyens là où on en a le plus besoin.

Je pense aussi à la scolarisation avant trois ans, décisive dans les quartiers les plus défavorisés, ou à la volonté d’avoir plus de maîtres que de classes. Demain, avec la refonte de l’éducation prioritaire, nous aurons aussi davantage de moyens, davantage de formation, davantage de temps dégagé pour les équipes éducatives pour des projets collectifs, davantage d’indemnités, enfin, car il faut une incitation à la stabilité des équipes et celle-ci est également liée à la rémunération des enseignants.

Au-delà de cette priorité accordée au primaire, la question de la refonte des programmes est cruciale ; vous l’avez évoquée à l’instant, monsieur Legendre. À la rentrée de 2014 interviendra un premier recentrage des programmes de l’école élémentaire. Le Conseil supérieur des programmes, le CSP, demeure en dépit du départ de son président, et les propositions qu’il formulera sur le socle commun ne manqueront pas d’être débattues et discutées par les enseignants que nous consulterons dès l’automne prochain.

Nous rendrons ensuite des arbitrages, que nous vous soumettrons, pour déterminer ce que la nation attend de l’école, du collège, des compétences et des connaissances qui doivent être maîtrisées à l’issue de la scolarité obligatoire, de la manière dont il faut les évaluer. En effet, on ne peut se contenter de dire ce que l’on attend de l’école et du collège : il faut aussi définir la manière dont on évalue ces connaissances, ces compétences, cette culture commune. Par ailleurs, le lycée sera également l’objet de discussions.

J’en viens maintenant à ce qui nous réunit ce soir, à savoir la formation initiale des enseignants. Alors qu’elle avait été à bien des égards largement remise en cause, nous avons souhaité la reconstituer en la construisant autour d’un équilibre : le maintien du concours, une formation universitaire, mais aussi l’alternance, qui seule permet l’apprentissage des gestes professionnels indispensables au métier d’enseignant.

Ce sont ces principes qui ont été à l’origine de la création des ESPE. Indiscutablement, comme plusieurs d’entre vous l’ont évoqué, la mise en place de ces écoles dès la rentrée 2013, alors que le projet de loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République était discuté au Parlement, a supposé de commencer à travailler sur la création de ces structures. Cela a même entraîné des décisions du Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche, le CNESER, huit jours seulement après la promulgation de la loi.

Sans travailler à marche forcée, nous avons donc voulu aller vite, parce que nous considérions que la mise en place de cette formation initiale des enseignants était absolument indispensable pour donner toute sa cohérence à l’ambition éducative du Gouvernement. Sans cela, l’équilibre de la réforme n’aurait pas été atteint. Il fallait rétablir la formation initiale des enseignants et faire en sorte que ce métier s’apprenne, notamment grâce à l’alternance.

Incontestablement, la première année fut parfois difficile : il fallut travailler presque en direct et apprendre des premiers freins, des premiers obstacles, des premiers verrous qui apparaissaient sur le terrain. Nous avons essayé de tenir compte de l’ensemble de ces difficultés pour proposer au fur et à mesure des évolutions et essayer de travailler au mieux des intérêts des enseignants, mais surtout des élèves, afin que ceux-ci disposent des enseignants les mieux formés qui soient.

C’est le travail du comité de suivi du recteur Filâtre, qui a d’ores et déjà rendu un avis sur la réforme et sur le mémoire professionnel qui est exigé des étudiants. Nous avons sollicité plusieurs rapports de l’IGAENR, l’Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche, sur la mise en place de la culture commune, rendus en juin dernier, sur la gouvernance et les équipes pluricatégorielles.

Les personnels des UFR, des ex-IUFM et les nouveaux professeurs qui interviennent forment des équipes pluricatégorielles qui apprennent à travailler ensemble et ont besoin de se construire une culture commune ; celle-ci est absolument déterminante. On parle de la culture commune des futurs enseignants, mais il convient de construire une culture commune entre ces différentes catégories d’intervenants au sein des ESPE.

Nous avons sollicité un rapport sur le rattachement des ESPE aux communautés d’universités et établissements, ou COMUE, qui sera rendu au mois de juillet prochain. Les directions générales sont également sollicitées pour apporter régulièrement leur expertise sur la mise en œuvre de cette réforme et des ESPE. Votre rapport nous donne par ailleurs de nombreuses pistes, mesdames, messieurs les sénateurs, mais j’aurai l’occasion d’y revenir.

Je voudrais m’attarder sur le recrutement et l’attractivité du métier. Nous avons constaté une augmentation de 30 % des effectifs inscrits à la rentrée en master MEEF, c’est-à-dire Métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation, soit 25 000 inscrits, ce qui est déjà en soi une très bonne nouvelle.

Que dire de la prochaine rentrée ? Nos estimations, qui ne sont donc pas par définition des chiffres définitifs, laissent à penser que nous aurons une augmentation de 15 % à 20 % du nombre des inscrits, ce qui est là encore tout à fait significatif, confirmant l’attractivité plus grande du métier d’enseignant. Nous sommes intimement convaincus, Geneviève Fioraso et moi-même, que l’existence même des ESPE rend beaucoup plus attractif le métier d’enseignant, outre la manière dont le Gouvernement a décidé de traiter l’école et de faire confiance aux enseignants pour qu’ils ne se sentent plus stigmatisés comme ils avaient parfois pu l’être auparavant.

Pour ce qui est des chiffres, quelque 37 000 candidats se sont présentés aux concours en 2013 et 57 000 candidats aux concours rénovés de 2014. Le nombre d’admissibles a augmenté, avec un niveau en forte hausse. En dépit de cela, la barre d’admissibilité a été relevée. Les concours ne sont donc pas « donnés », bien au contraire.

Des signes positifs sont émis du côté des concours, même si certaines disciplines, en particulier les mathématiques, rencontrent toujours des difficultés de recrutement, que nous essayons de résoudre. Nous devons nous efforcer de rendre les concours d’accès au métier de professeur de mathématiques plus attrayants qu’ils ne le sont aujourd’hui. Il est vrai qu’ils souffrent de la concurrence de débouchés professionnels pouvant paraître plus attractifs, notamment en termes de rémunération, en particulier dans le secteur informatique.

De surcroît, nous pourrons recruter sur la base de listes complémentaires pour augmenter notre potentiel humain en cas de nécessité, à partir des informations que je viens de vous donner.

Avant de céder la parole à Geneviève Fioraso, j’en viens aux recommandations que vous avez formulées, monsieur le rapporteur. Vous avez évoqué, je l’ai dit, le fait de travailler à l’émergence d’une culture commune à tous les enseignants, au-delà des différences d’identité professionnelle, du degré dans lequel on enseigne, que l’on soit professeur des écoles ou professeur du second degré, que l’on travaille dans l’enseignement professionnel ou dans les voies technologiques ou générales.

Cette culture commune est évidemment au cœur de la réforme. Elle repose sur l’élaboration d’un référentiel des métiers unique pour tous les enseignants. C’est le sens des documents fournis par les directions générales à toutes les ESPE, ainsi qu’aux recteurs et présidents d’université. Ce référentiel rappelle que le travail de l’enseignant s’inscrit dans le respect des valeurs de la République, celui-ci étant fonctionnaire, au sens de serviteur de l’État, dont il doit connaître parfaitement les règles.

Pour ce qui concerne l’essentiel, c’est-à-dire faire face à une classe, que l’on soit dans une école primaire, dans l’enseignement professionnel, dans une voie technologique ou générale, il faut prendre en compte la diversité des élèves, celle des rythmes des personnes que l’on a en face de soi, mais aussi la nécessité de construire des pédagogies différenciées et d’utiliser différents instruments et outils en fonction de la variété des situations.

Il s’agit évidemment de maîtriser les mécanismes et les processus d’apprentissage. Il est des gestes professionnels qu’il est indispensable d’apprendre, que l’on soit professeur du premier degré ou du second degré.

Il s’agit également de coopérer dans le cadre d’un établissement avec les différents partenaires de l’école et l’ensemble de la communauté éducative. À bien des égards, nous savons que les projets éducatifs reposent sur la collaboration et la coopération entre les enseignants. Nous avons besoin d’un dialogue respectueux, constructif, au sein de la communauté éducative, mais aussi, chacun étant à sa place, avec les parents d’élèves et, au-delà, avec les différents partenaires de l’école ; je pense notamment, dans l’enseignement professionnel, aux acteurs économiques.

À cet égard, je me réjouis que, lors de la prochaine conférence sociale, le ministère de l’éducation nationale animera une table ronde sur le lien entre l’éducation nationale et le monde professionnel, notamment pour l’insertion professionnelle des jeunes issus de la filière professionnelle. Le président de l’Union professionnelle artisanale, l’UPA, s’en est également félicité.

J’en profite pour ouvrir une parenthèse : on reproche parfois à certains responsables politiques de mal connaître l’entreprise et d’en faire la caricature.

Pour ma part, j’ai été longtemps salarié, puis directeur de société dans le secteur privé, et une telle remarque me fait sourire, mais j’observe que circulent également dans le monde patronal des caricatures de l’éducation nationale. J’espère que cette conférence sociale sera l’occasion de les faire disparaître. Imputer à l’éducation nationale, outre les inégalités, le haut niveau du chômage en France, me paraît constituer une charge bien lourde, qui relève pour beaucoup de la caricature.

La création, qui figure parmi vos recommandations, d’équipes pluricatégorielles de formateurs donnant toute leur place aux professionnels de terrain est évidemment l’une des conditions de la réussite des ESPE. C’est un point de vigilance pour la prochaine rentrée, afin que la culture commune dont la constitution a commencé de se faire cette année perdure entre les différents publics, qu’il s’agisse des personnels des ex-IUFM, des UFR, des rectorats ou des personnels de terrain.

Parfois, des « amalgames » peinent à prendre ; nous avons besoin d’imbriquer les cultures les unes avec les autres. Avec le temps, je pense que nous parviendrons à créer une alchimie qui soit profitable à tous. En tout cas, nous y sommes particulièrement vigilants, au diapason des recommandations qui sont les vôtres.

Vous évoquez la constitution de pôles de coopérations interacadémiques pour mutualiser les formations préparant aux concours de professeurs de lycée professionnel. Dans certaines matières qui offrent très peu de postes à pourvoir, il est indispensable de mutualiser les formations. Je pense par exemple à une formation dans le domaine de l’énergie solaire suivie la première année en Savoie, mais que les stagiaires, dispersés ensuite, poursuivent néanmoins grâce à des plateformes d’enseignement à distance proposées par les ESPE.

Il est indispensable de développer une telle mutualisation dans les domaines offrant peu de postes à pouvoir. C’est le cas de filières professionnelles et technologiques ; c’est également le cas d’un certain nombre de langues rares, pour lesquelles les enseignants ne sont pas suffisamment nombreux pour dispenser une formation dans toutes les ESPE. C’est un point de vigilance que nous partageons.

Mme Mélot nous a alertés sur la nécessité de prévoir une sensibilisation des futurs enseignants aux enjeux européens. C’est évidemment essentiel, pour les élèves comme pour les enseignants. Le CSP nous a, là encore, proposé des programmes pour le futur parcours d’éducation civique. La question de la relation aux institutions européennes est tout à fait centrale, de même que les occasions qui sont offertes aujourd’hui par l’Europe, notamment en termes d’échanges et de mobilité, dans le secondaire comme dans le supérieur.

Cette préconisation est importante si l’on veut que les jeunes citoyens européens que nous formons se fondent naturellement dans l’espace politique européen. Ces apprentissages passent par des formateurs et des professeurs partageant la même culture qu’eux de ce point de vue. Je ne puis que partager le souci qui est le vôtre, madame la sénatrice.

Je souhaite aborder deux derniers points, mesdames, messieurs les sénateurs, avant de laisser ma collègue Geneviève Fioraso prendre le relais et répondre à vos nombreuses interrogations.

Mme Gonthier-Maurin évoquait tout à l’heure la diminution des horaires. À mon avis, ce calcul compare une formation sans alternance avec une nouvelle formation incluant cette alternance. Or le passage en établissement constitue une période de formation déterminante en termes de retour d’expérience.

J’en viens à la mise en place des tutorats mixtes, tant avec les professeurs des écoles maîtres formateurs qu’avec les professeurs formateurs académiques, ou PFA, madame Bouchoux, sur laquelle vous m’avez interrogé. Le décret relatif aux PFA est en cours de finalisation, mais les recteurs ont d’ores et déjà commencé à procéder au repérage et au recrutement, ce qui est évidemment déterminant pour qu’un corps de professeurs formateurs académiques puisse utilement remplir sa mission aux côtés des professeurs stagiaires.

Avant la rentrée, une semaine d’accueil des stagiaires par les académies et les corps d’inspecteurs a été prévue. Un accueil sur mesure est également programmé dans les EPLE, les établissements publics locaux d’enseignement, par les directeurs et chefs d’établissements, avec les tuteurs désignés.

Par ailleurs, outre le rectorat que les professeurs stagiaires peuvent joindre directement, une cellule de la direction générale des ressources humaines du ministère de l’éducation nationale recueille les appels des professeurs stagiaires, afin de rassurer ces derniers, notamment s’agissant de l’académie et de l’établissement dans lesquels ils seront affectés, et de les accompagner au mieux dans cette première année en alternance.

La question de l’articulation entre l’ESEN et les ESPE m’a été posée. Des formations des équipes de direction des ESPE, directeurs et directeurs adjoints, sont organisées tous les mois à raison de deux jours par mois. Ce travail est réalisé en étroite collaboration – quasi hebdomadaire – avec les directions générales pour ce qui relève de l’ESEN, de façon à assurer une formation optimale des ESPE. Par ailleurs, l’École supérieure de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche a entamé un travail de sensibilisation des futurs directeurs d’EPLE à la réforme.

Aujourd’hui, la montée en puissance des ESPE se poursuit. À bien des égards, elle repose sur la réussite de la formation initiale et continue des enseignants et sur la capacité de l’école de la République à remplir sa mission, bien mieux qu’elle ne le fait aujourd’hui, avec les moyens qui sont les siens.

Permettez-moi pour finir d’évoquer quelques chiffres qui m’ont alerté sur l’ampleur des défis qui sont posés à l’école.

Entre 15 % et 20 % des jeunes ne maîtrisent pas les compétences attendues en français ou en mathématiques à leur entrée en sixième. Une étude de la DEPP, la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance, a montré que, au sortir du CE2, les élèves ont des difficultés en calcul et dans la compréhension des textes. En revanche, les résultats de l’école maternelle française sont très bons. Ils montrent, à la sortie de la maternelle et à l’entrée au CP, une amélioration significative du niveau des enfants. Il y a donc du bon et du moins bon.

Un autre chiffre m’a beaucoup frappé : le taux d’élèves qui, dans les zones d’éducation prioritaires, à la sortie de la troisième, soit quasiment à la fin de la scolarité obligatoire, maîtrisent les attendus. Ce taux est passé de 54 % à 42 %, ce qui montre que, aujourd’hui, les inégalités se creusent à l’école, et pas seulement d’ailleurs en raison de l’école. Un certain nombre de déterminismes scolaires ou institutionnels viennent s’ajouter aux déterminismes sociaux.

Telle est la tâche qui est devant nous. Pour y faire face, nous avons absolument besoin d’enseignants maîtrisant les gestes professionnels indispensables, afin que les jeunes Français puissent acquérir le socle commun de connaissances et de compétences.

Je pense que les ESPE, dans leur montée en puissance, joueront un rôle décisif. À cet égard, le rapport de la mission d’information visant à améliorer le fonctionnement des ESPE, leur contrôle et leur efficacité sera très utile. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, chargée de l’enseignement supérieur et de la recherche. Il me revient à mon tour de remercier la présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, Mme Marie-Christine Blandin, sa vice-présidente, Mme Colette Mélot, le rapporteur, M. Jacques-Bernard Magner, et tous ceux d’entre vous qui ont participé activement – je l’ai bien compris –, à Clermont-Ferrand, mais aussi ailleurs – je l’ai également compris –, aux travaux de la mission d’information sur les écoles supérieures du professorat et de l’éducation.

Ces travaux permettent d’avoir une vision globale et seront précieux pour le ministère de l’éducation nationale comme pour celui de l’enseignement supérieur et de la recherche.

En effet, en réalité, les destins de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur sont totalement liés dans cette affaire, et ce pas uniquement parce que la formation des enseignants se fera désormais au sein de l’université.

Si nous voulons que les étudiants réussissent davantage en premier cycle et si nous souhaitons plus d’étudiants issus des milieux modestes qu’aujourd’hui, il faut en amont assurer la réussite des parcours scolaires du plus grand nombre, en particulier des enfants issus de milieux sociaux et culturels plus modestes, moins favorisés, issus de quartiers ou de territoires éloignés des centres de ressources. Il est donc essentiel de refonder la formation des enseignants.

On sait que la réussite des parcours scolaires, donc des parcours de qualification, ainsi que de l’insertion professionnelle dépend tout d’abord de la qualité de la formation des enseignants. Vous l’avez dit, mesdames, messieurs les sénateurs, et, du reste, toutes les études le montrent. On peut donc considérer ce point comme un acquis.

Vous avez également dit que la mise en place des ESPE s’était faite rapidement, avec « précipitation » ont affirmé certains d’entre vous. Si cela s’est fait aussi rapidement, c’est parce qu’il y avait une urgence, et ce pas uniquement à cause des résultats de l’enquête PISA. Il était nécessaire de mettre en œuvre les ESPE du fait de la raréfaction, pour ne pas dire de la suppression de la formation in situ. Or être enseignant, assurer la transmission de connaissances et la réussite des parcours de formation, ce n’est pas inné. Cela s’apprend, et c’est une compétence différente de l’acquisition de savoirs disciplinaires, voire interdisciplinaires, comme l’a indiqué Corinne Bouchoux à juste titre.

Même si tout n’était pas complètement ficelé et prêt, il était urgent, après le vote de la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République et de la loi relative à l’enseignement supérieur et à la recherche, de mettre en œuvre les ESPE au sein des universités dès la rentrée 2013. Tel était le choix du Président de la République et du Gouvernement. Pour ma part, je pense que c’était un bon choix.

L’enjeu principal est de réussir l’intégration de cette formation professionnalisante in situ, entre la formation académique, disciplinaire et interdisciplinaire. Il s’agira d’une formation « tutorée », d’abord, puis de plus en plus autonome à mesure que l’étudiant sera proche de la sortie du M2 et du moment où il sera seul face à sa classe, que ce soit en maternelle, en primaire, dans le premier ou le second degré, ou même à l’université.

Être enseignant à l’université, cela s’apprend aussi. Benoît Hamon et moi avons tous les deux en commun une expérience dans le privé et une expérience d’enseignant dans l’enseignement supérieur.

À ce titre, je peux vous assurer que, lorsqu’on se retrouve face à un amphithéâtre la première fois, sans formation préalable, on n’est vraiment pas fier ! C’est d’autant plus difficile que, aujourd’hui, les étudiants, ces digital natives, comme on dit en bon français, vérifient en temps réel si ce que vous dites est bien vrai. N’ayant plus les inhibitions que pouvait avoir notre génération, ils vous interrompent en plein milieu d’un cours pour vous signaler que l’indicateur que vous leur donnez n’est pas le bon.

Les enseignants ont donc intérêt à être formés pour faire face à ces situations, qui sont non pas des conflits, mais des moments d’interactivité, auxquels il faut être préparé pour en tirer partir et pour ne pas perdre la face.

Cette formation sera irriguée par la recherche, pas uniquement par la recherche en sciences de l’éducation et en didactique, mais aussi par la recherche en psychologie, en histoire de la science, bref par une recherche extrêmement diversifiée. Cette irrigation sera une richesse pour l’enseignant, qui pourra ensuite la transmettre à ses élèves. De ce point de vue, la formation aux problématiques du genre me paraît importante, surtout pour les enseignants.

J’ai passé le test qui nous a été soumis par l’équipe de Najat Vallaud-Belkacem – Benoît Hamon n’a pas dû y échapper – visant à vérifier si nous confortions nous aussi, militants convaincus de la parité, les stéréotypes. Or, quand on passe ce test, on s’aperçoit qu’on les conforte, sans le vouloir.

Un certain nombre d’enseignants l’ayant passé se sont ainsi rendu compte, par exemple, qu’ils sollicitaient davantage les filles que les garçons pour essuyer le tableau et pour rendre de petits services. Ils demandent davantage aux garçons d’accomplir des travaux qui nécessitent, semble-t-il, moins de timidité, davantage d’ardeur physique, et ce sans même le mesurer et tout en étant des militants convaincus de la parité. Ce sont donc surtout les enseignants qu’il faut former. Les études de genre, poursuivies par des études de recherche, seront extrêmement utiles.

Ces formations se font à l’université, avec une acculturation réciproque entre les enseignants. Toutefois, tous les enseignants de l’université, je veux aussi le dire, ne sont pas « hors sol ». Qui dit « académique » ne veut pas forcément dire « hors sol ».

J’ai présidé hier soir un concours de jeunes doctorants qui devaient présenter leur thèse en 180 secondes, soit trois minutes. Je vous assure que l’on osait à peine prendre la parole après eux tant ils étaient bons communicants. Ils étaient extrêmement bons en termes de synthèse, très pédagogues, très clairs et créatifs, y compris dans la gestuelle.

Toutes les personnalités présentes, qu’il s’agisse du président de la conférence des présidents d’université, de M. Alain Mérieux – le concours s’est tenu à Lyon –, des représentants des milieux économiques ou de ceux du ministère de tutelle, étaient franchement moins brillantes qu’eux. Ces étudiants étaient extrêmement concrets. Certains d’entre eux effectuaient de la recherche fondamentale, mais ils imaginaient déjà quelles applications ils pourraient en tirer. Ils avaient un lien avec le réel qui aurait séduit tous les chefs d’entreprise s’ils avaient été là. Je le dis au passage à l’intention de ceux d’entre eux qui hésitent encore à recruter des docteurs, car c’est là un enjeu important.

Néanmoins, il est vrai que l’histoire des IUFM a marqué plus ou moins profondément et plus ou moins positivement certaines académies et que, par conséquent, vous l’avez remarqué, la conversion aux ESPE et l’acculturation entre les universitaires et les praticiens se font plus naturellement dans certaines académies que dans d’autres.

Les praticiens doivent être présents dans la formation, car ils sont sur le sol, dans la réalité du métier, de même que les acteurs de l’éducation populaire, de la culture, cela a été dit, et du monde économique et de la recherche. Il est essentiel qu’ils soient présents, car ils connaissent les métiers de l’intérieur et peuvent les présenter. Tous ces acteurs doivent travailler ensemble, côte à côte, l’élément fédérateur étant finalement le recteur.

L’État est bien là. Des inquiétudes se sont exprimées sur le fait qu’il y aurait des disparités trop grandes entre les territoires, car on laisserait certains prendre des initiatives trop importantes. Je crois justement à la rencontre de ces écosystèmes, de ces initiatives territoriales et d’un État stratège avec un référentiel le moins théorique et le plus vivant possible. Les ESPE sont aussi des organismes vivants adaptés à leur territoire, appelés à évoluer. Je tenais à insister sur ce point.

Nous sommes allés vite parce qu’il y avait urgence, mais les ESPE sont des organismes vivants. Notre pédagogie devrait d’ailleurs s’en inspirer. Dans nos méthodes pédagogiques – je le répète, j’ai aussi été enseignante –, nous sommes souvent dans le tout ou rien. Il ne faudrait démarrer que lorsque tout est bouclé. Eh bien non ! La pédagogie est forcément évolutive. On s’améliore peu à peu, on apprend de ses erreurs. C’est ainsi que l’on progresse. Je pense que c’est une forme de pédagogie nouvelle, que nous devrions intégrer, valable aussi bien à l’université que dans les écoles, les collèges et les entreprises, de même que dans les instances politiques ou de gouvernance en général.

J’évoquerai maintenant la gouvernance et le lien avec les regroupements qui se font dans les universités.

En matière de gouvernance, je ne puis que regretter que l’on ne compte que huit femmes parmi les trente directeurs. Certes, c’est tout de même mieux que pour les présidents d’université. En effet, l’arrivée massive des PU-PH, les professeurs des universités et les praticiens hospitaliers, dans la dernière promotion des présidents d’université a fait que l’on compte aujourd’hui moins d’une dizaine de femmes parmi les plus de soixante-dix présidents.

Huit femmes sur trente directeurs, c’est donc tout de même un meilleur score que celui des présidents d’université et des écoles d’ingénieurs, je le dis au passage. J’espère cependant qu’il s’améliorera. Les études sur le genre devraient le permettre. J’ajoute que les conseils des ESPE sont constitués à parité de femmes et d’hommes.

Les ESPE correspondent-ils exactement aux COMUE, les Communautés d’universités et d’établissements ? Pas forcément. Il y a une trentaine d’ESPE, il y aura vingt-cinq COMUE et cinq associations, l’État n’ayant pas voulu imposer une forme unique pour tout le monde.

Ce sont donc les acteurs de terrain qui ont décidé de leur territoire. Parfois, le regroupement est interacadémique. Parfois, il prend la forme d’une communauté – l’université et l’établissement. Parfois, enfin, il est interrégional, ce qui préfigure d’ailleurs les trois regroupements régionaux, voire peut-être un autre à venir, dans un avenir plus ou moins proche, à savoir celui de la Bretagne et des Pays de la Loire.

Il est vrai qu’il pourra y avoir – pour les COMUE, pas pour les ESPE ni pour les régions – plusieurs ESPE correspondant à une COMUE. Pour autant, un réseau doit se former et des passerelles doivent exister, tout comme d’ailleurs entre l’ESEN et les COMUE.

Des passerelles numériques doivent également exister. À ce sujet, je remercie le rapporteur d’avoir remarqué le MOOC, c’est-à-dire les cours en ligne ouverts et massifs, conçu par l’ENS-Cachan et l’ENS-Lyon, qui compte déjà 10 400 inscrits. Ce cours numérique, qui a démarré au début de mai dernier et qui se terminera à la fin de juin prochain, est gratuit et restera disponible en ligne sur la plateforme France université numérique, lancée en janvier dernier.

Dans ce domaine non plus, nous n’étions pas prêts. Alors que seuls quatorze MOOC étaient d’abord disponibles, ils sont maintenant trente-six. À la fin de l’année, ils seront soixante. À ce jour, on dénombre plus de 300 000 inscrits. Dans ce domaine également, nous progresserons et nous monterons en puissance progressivement. On ne peut plus aujourd’hui enseigner aux enfants nés dans le numérique, les fameux digital natives, comme on le faisait auparavant.

Les ESPE peuvent devenir au sein des universités des centres de ressources pour la formation continue des enseignants, car tout le monde n’est pas spontanément à l’aise avec le numérique. Ce n’est pas forcément une question de génération, même si, en général, on distingue ceux qui lisent les modes d’emploi de ceux pour qui l’apprentissage est intuitif. Vous aurez compris quelle génération lit les modes d’emploi – plutôt la mienne – et quelle génération a un rapport spontané avec le numérique – plutôt les jeunes générations. (Sourires.)

Les ESPE s’inscrivent aussi dans un processus démocratique. Pourquoi ? Benoît Hamon l’a très bien dit, il faut absolument que notre réussite scolaire bénéficie à l’ensemble des enfants, quels que soient leur territoire ou leur classe sociale d’origine. Pour cela, il faut que les enseignants viennent de milieux sociaux plus diversifiés. On a assisté à une homogénéisation progressive des origines sociales des enseignants, qui sera accentuée par la masterisation si nous ne prévoyons pas de mesure d’accompagnement.

Il ne s’agit pas de stigmatiser, mais de diversifier les origines sociales des enseignants. En effet, on sait que les jeunes se construisent et construisent leur parcours éducatif et leur formation par identification et par projection. Les emplois d’avenir professeurs, qui sont ouverts aux élèves boursiers dès la deuxième année de licence, sont à cet égard un outil de démocratisation de l’enseignement, puisqu’ils contribueront à la réussite d’élèves issus de la diversité sociale et culturelle.

J’en viens à la gouvernance et à la manière dont les moyens ont été redéployés entre les IUFM et les ESPE. Globalement, cela ne s’est pas si mal passé. On a beaucoup insisté sur les dysfonctionnements. Aujourd’hui, seules deux ESPE, sur une trentaine, connaissent des dysfonctionnements ; ce n’est pas un si mauvais score. En tout, 700 équivalents temps plein, ou ETP, sont concernés. La plupart d’entre eux ont été transférés sans problème.

Là où il y a des problèmes, le comité de suivi et les services du ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche veillent à ce que les choses se passent le mieux possible et font en sorte qu’il n’y ait pas de perte de postes, afin que le transfert se déroule de manière très fluide. Globalement, je le répète, les transferts de postes et de moyens ont été effectués.

Le passage à l’autonomie a fragilisé les universités, il est vrai, parce qu’il n’y a pas eu d’accompagnement à la conduite du changement et à la formation et parce que le transfert n’a pas tenu compte de l’évolution des carrières. Je pense au glissement vieillissement technicité, le GVT, mais aussi à l’évolution naturelle des carrières et aux recrutements rendus nécessaires par l’augmentation des flux d’étudiants, qui est de l’ordre de 1 % à 2 % par an – cela représente tout de même entre 24 000 et 30 000 étudiants supplémentaires chaque année.

Comme nous étions très conscients de cette situation, nous avons mis en place dès notre arrivée au pouvoir toute une ingénierie d’accompagnement et, surtout, d’anticipation des difficultés. Nous avons procédé à une simplification des intitulés des enseignements, car on ne s’y retrouvait plus dans leur maquis : il y avait 5 500 masters et 10 000 parcours de master, ce qui n’était lisible pour personne. Les étudiants et les familles qui n’avaient pas de décodeur à la maison ou dans leur environnement proche en souffraient particulièrement.

Aujourd’hui, les universités se portent mieux ; ce n’est pas moi qui le dis, c’est un récent rapport de la Cour des comptes. Je ne dirais pas qu’elles se portent toutes très bien, mais elles se portent mieux. Nous sommes passés en deux ans de dix-huit à huit universités en déficit de trésorerie ; là encore, c’est la Cour des comptes qui le dit, en s’appuyant notamment sur le courrier de réponse que lui avait adressé la Conférence des présidents d’université, la CPU, après la publication de son rapport provisoire.

La question de la professionnalisation a également été abordée. Certains d’entre vous estiment que les stages, ou plutôt l’immersion in situ, doivent intervenir plus tôt, dès la licence. Nous en avons discuté ici même il y a peu de temps. Les mêmes intervenants étaient d’ailleurs présents ; cela traduit une certaine stabilité des centres d’intérêt et des engagements ! Nous avons bien répété que les stages faisaient partie intégrante de la formation, qu’ils en étaient un élément indispensable. Les stages sont une période de formation.

Nous avons aussi souligné que, si les stages étaient très présents au niveau du master, ils ne l’étaient pas suffisamment au niveau de la licence ; ils ne concernent par exemple que 2 % des étudiants de première année. Les stages sont pourtant utiles pour confirmer ou infirmer une vocation. En plus des emplois d’avenir professeurs, qui prévoient une immersion à partir de la deuxième année de licence, il faut développer des stages, pas nécessairement de longue durée, mais accessibles dès la première ou au moins la deuxième année de licence, pour les étudiants attirés par l’enseignement.

L’organisation de la formation au sein des ESPE préfigure la réforme pédagogique que nous souhaitons introduire à l’université. Je veux parler de la spécialisation progressive en licence, qui favorisera l’interdisciplinarité, indispensable à un enseignement de qualité, que beaucoup d’entre vous appellent de leurs vœux. Le socle général de formation sera plus large. Un étudiant de dix-huit ou dix-neuf ans sait généralement ce qu’il ne veut pas faire plutôt que ce qu’il veut faire ; il sait globalement quels domaines l’attirent, mais il ne sait pas encore précisément vers quoi il va s’orienter. La spécialisation progressive en licence lui permettra de se réorienter sans redoubler, ce qui favorisera les étudiants issus des milieux moins favorisés.

La dernière question posée est celle de l’attractivité. Benoît Hamon y a déjà répondu en partie. Les difficultés de recrutement dans certaines disciplines ne font que refléter les difficultés qui existent au niveau universitaire. Je pense d’abord aux mathématiques. Comme on manque de professionnels dans le numérique, les étudiants en mathématiques se dirigent moins vers la recherche, alors même que nous sommes au premier rang mondial pour la recherche en mathématiques.

Nous avons obtenu onze médailles Fields. La médaille Fields, qui constitue une sorte de prix Nobel pour les mathématiques, est attribuée à un ou plusieurs mathématiciens de moins de quarante ans. Vous connaissez sans doute Cédric Villani, qui est le plus spectaculaire titulaire de cette distinction, mais il y a eu dix autres lauréats français. Il n’y a pas encore eu de femme lauréate, mais j’espère que la prochaine médaille en récompensera une ; nous avons déjà repéré deux gagnantes potentielles.

Les États-Unis ont quant à eux obtenu douze médailles Fields ; si on rapporte le nombre de médailles à la population, nous sommes donc bien le premier pays au monde.

Cependant, il faut être vigilant, car nous avons des difficultés à recruter des enseignants en mathématiques. Nous devons améliorer l’attractivité de cette discipline pour séduire davantage de jeunes. Nous manquons non seulement d’enseignants, mais également de chercheurs et de professionnels en mathématiques appliquées, en particulier dans le domaine de l’informatique.

Je suis tout à fait d’accord avec ce qui a été dit au sujet de la culture scientifique et technique. Il est indispensable de la promouvoir si on veut éviter les postures sur des sujets qu’il faut savoir aborder sans tabou. Ce n’est pas une attitude responsable que de se disputer en opposant principe de précaution et principe d’innovation. Les deux ont leur légitimité. Ce qui compte surtout, c’est d’avoir à la fois une culture de la prévention, de l’anticipation et de la précaution, ainsi qu’une culture de l’innovation. C’est mieux que de figer les choses dans une loi, car, ensuite, on est ennuyé par le caractère contradictoire des jurisprudences, qui crée des controverses.

Il faut développer les différentes cultures. Des associations comme « La main à la pâte » y concourent. La loi relative à l’enseignement supérieur et à la recherche a délégué la promotion de la culture scientifique et technique aux vingt-deux régions, qui seront demain quatorze – sauf si le Parlement en décide autrement…

Nous pourrions discuter encore longtemps de ce sujet passionnant, mais il est l’heure de conclure. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de la qualité de vos interventions et de la sérénité du débat, que j’apprécie chaque fois que je viens au Sénat – si vous alliez à l’Assemblée nationale, vous comprendriez pourquoi… Il est important d’avoir une réflexion commune sereine et pacifiée sur ce sujet, car c’est l’intérêt de nos enfants, donc l’avenir de notre pays, qui est en jeu. Cela nous tient tous à cœur, quelles que soient nos convictions politiques.

Je vous remercie de nous accompagner dans cette ambition partagée. (Applaudissements.)

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur les écoles supérieures du professorat et de l’éducation.

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