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« La situation est dramatique dans les laboratoires et les universités » - Libération, 3 septembre 2014

vendredi 5 septembre 2014, par Elisabeth Báthory

Les organisateurs de la manifestation Sciences en marche expliquent les raisons et les modalités de cette marche de Montpellier à Paris entre le 27 septembre et le 17 octobre.

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A lire sur le site de Libération.

TCHAT : Revendiquant plus d’investissements dans la recherche et la création d’emplois, un petit groupe de chercheurs du CNRS à Montpellier organise pour la Fête de la science une marche sur Paris. Patrick Lemaire, directeur de recherche en biologie moléculaire et porte-parole du mouvement les Sciences en marche, Solange Desagher, chercheur en biologie cellulaire, et Olivier Coux, biologiste, ont répondu à vos questions.

Catherine. Comment est venue l’idée de cette Marche pour la science ?

Patrick Lemaire. Ce qui a été déterminant, c’est le constat de la situation dramatique dans les laboratoires et les universités à la fois au niveau des crédits de fonctionnement, de l’emploi dans l’enseignement supérieur et la recherche, et dans les débouchées, notamment des doctorants. La situation est de plus en plus critique, ce qui nous a conduits à un certain nombre de mises en garde au début de l’année et de pétitions, et à l’organisation d’une session plénière du Comité nationale de la recherche scientifique.

Solange Desagher. Face à la situation de nos métiers et face aux interrogations de nos collègues, nous avons organisé une conférence-débat à Montpellier le 3 juin 2014 pour analyser la situation et discuter de possibles actions. Nous avions invité des personnalités universitaires locales et Alain Trautmann, qui avait fondé le mouvement Sauvons la recherche en 2004. C’est au cours de cette réunion, qui a été un grand succès, que l’idée de faire une marche sur Paris a été lancée par Patrick Lemaire.

Yvon. Avez-vous prévu des rencontres, des animations tout au long du parcours ?

Patrick Lemaire. Une composante très importante de la marche, c’est d’aller vers le public pour gagner son adhésion et obtenir son relais. L’autre raison, c’est que l’on pense que les sciences, leur impact dans la société, ainsi que l’enseignement supérieur, sont très mal connus, du public. On va effectivement organiser des conférences-débats dans les grandes villes universitaires que l’on traverse, parfois en partenariat avec des animations de la Fête de la science, mais parfois des animations qui nous sont propres. Nous aurons également des animations sur la route, dans les petites villes, voire parfois dans les villages dans lesquels on va s’arrêter.

Camille. Comment est perçue votre idée de marche par les chercheurs ? Sur combien de participants pouvez-vous compter ? Vous-mêmes participerez-vous ? À pied, à vélo ?

Patrick Lemaire. Toute la mobilisation pour le moment a été montée en période de vacances. Néanmoins, on a déjà 1600 personnes qui nous soutiennent sur les sites, dont 1200 disent qu’ils veulent faire au moins une étape, et la mobilisation reprend beaucoup plus fortement depuis une semaine. Combien de personnes vont rouler ? C’est difficile à l’estimer. Mais au moins plusieurs milliers de personnes vont faire au moins une étape. Solange Desagher et moi-même, nous allons aller de Montpellier à Paris à vélo.

Plusieurs endroits sont prévus à pied dont la descente de l’observatoire du Pic du Midi vers la vallée, le 26 septembre, mais également une ascension du Puys de Dôme, le 11 octobre. Et à Paris, le 17 octobre, une marche est également prévue. Tout le reste est à vélo, par petites étapes d’environ 50 kilomètres.

Olivier Coux. Des personnes pourront s’inscrire sur l’étape à laquelle ils désirent participer sur le site de Sciences en marche.

France. Est-il vrai que 90% des projets des bureaux de recherches ont été retoqués ?

Patrick Lemaire. Plus de 90% des projets de recherches soumis par les laboratoires à l’Agence nationale pour la recherche (ANR) ont été refusés.

Solange Desagher. Faute de crédits. Le problème ne vient pas de la qualité insuffisante des projets, mais du manque de crédit pour les financer.

Olivier Coux. S’il y a autant de demandes des laboratoires à cette agence, c’est parce que les laboratoires ne disposent plus de budgets propres pour travailler.

Daniel. Quels sont les secteurs de la recherche scientifique les plus touchés par les restrictions budgétaires ?

Patrick Lemaire. Actuellement, tous les secteurs sont touchés, y compris des secteurs qui, jusqu’à présent, étaient épargnés comme l’informatique. Si on prend le CNRS, les budgets des laboratoires toutes disciplines confondues ont baissé de 26% entre 2004 et 2014. Ce sont les budgets que l’on donne aux laboratoires pour faire leurs activités de recherche. Hors les salaires, bien évidemment.

Daniel. Certains labos échappent-ils aux restrictions ?

Patrick Lemaire. La situation est très hétérogène, certains laboratoires restent très bien financés, soit par des financements nationaux, soit par des financements internationaux, mais le nombre de ces laboratoires baisse.

Olivier Coux. On assiste en quelque sorte à une concentration des moyens sur quelques laboratoires, au dépens des autres puisque, globalement, les budgets sont en baisses.

Maxime. Les fonds privés peuvent-ils se substituer aux fonds publics pour la recherche ? Dans quels secteurs en particulier ?

Patrick Lemaire. Il ne peuvent pas se substituer puisqu’ils ciblent certains type de recherche, notamment les recherches du médical.

Solange Desagher. Le financement de la recherche par les fonds privés peut poser le problème de l’indépendance des chercheurs, par exemple quand il s’agit d’estimer la nocivité de certains produits, et plus généralement dès qu’il y a des conflits d’intérêts.

Les bailleurs de fonds privés ne s’intéressent qu’à certains pans de la recherche scientifique, alors que l’on a besoin d’une veille scientifique et d’une création de connaissance dans l’ensemble des domaines scientifique, y compris ceux qui ne semblent pas pouvoir rapporter de l’argent.

Olivier Coux. Il faut voir qu’il y a besoin d’un continuum entre les recherches les plus fondamentales qui sont généralement des projets sur des échelles de temps très longs, incertains, qui peuvent aboutir, ou ne pas aboutir. Et les projets qui vont jusqu’à une mise sur le marché d’un produit. Cette dernière phase plus liée à l’industrie et aux financements privés est à beaucoup plus court terme. Une échelle de temps très différente. Enfin, il ne faut ne pas non plus penser que la recherche scientifique a pour seul but la commercialisation de produits.

Un des buts va être simplement la connaissance du monde, un autre but va être les fonctions d’expertise, totalement indépendant, et un dernier but qui nous amène à ce dont on n’a pas parlé pour le moment, l’enseignement supérieur, la formation des cadres de la nation, et ça, c’est directement la recherche qui alimente en connaissance les universités.

Mario. Et pourtant malgré les difficultés de financement, la production scientifique se porte plutôt bien, c’est paradoxal, non ?

Olivier Coux. On peut discuter de ce que veut dire « production scientifique ». Si on la mesure comme c’est souvent le cas aujourd’hui, au travers du nombre de publications, effectivement la production, non seulement ne baisse pas, mais augmente. On oscille aujourd’hui dans un système qui nous pousse à publier, et ce n’est pas forcément positif pour la science.

Solange Desagher. Les publications qui sortent aujourd’hui sont le résultat de recherches qui se sont déroulées dans les années antérieures. Il faut beaucoup de temps pour aboutir à une publication. Pour l’instant, on ne voit pas l’impact de la réduction budgétaire sur les publications scientifiques mais ça pourrait bien venir. Il commence à y avoir un déficit de Français dans les congrès internationaux parce qu’on n’a pas eu les budgets pour y aller.

L’idée de cette marche est de vraiment faire comprendre l’importance de la recherche et de l’enseignement supérieur. Nous souhaitons que ce soit une démarche participative et solidaire. On donne au public la possibilité de nous soutenir par des dons sur notre site. Mais aussi en proposant des hébergements solidaires aux cyclistes : on a une campagne qui s’appelle Adopte un chercheur qui est sur le site. Et enfin, les gens peuvent rouler avec nous.