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Unissons le potentiel scientifique de Paris - Bruno Andreotti, Etienne Parizont et Frédéric van Wijland, Le Monde, 6 juillet 2016

mercredi 6 juillet 2016, par Tournesol, Pr.

Trois professeurs de Paris-VII s’inquiètent du morcellement de la communauté scientifique dans la capitale. Ils plaident pour la création d’une unique université pluridisciplinaire avec des formations exigeantes et une recherche reconnue mondialement

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Que notre système d’enseignement supérieur et de recherche soit rendu totalement illisible par le morcellement et l’amoncellement de strates est un constat largement partagé. C’est particulièrement vrai en Ile-de-France, où l’éclatement institutionnel post-68 a conduit à un découpage en dix-sept universités environnées d’une constellation d’établissements supérieurs, publics et privés.

En 1968, la loi Faure, anticipant la multiplication par huit du nombre d’étudiants, supprima les facultés, créa des unités d’enseignement et de recherche à échelle humaine et ­démembra l’université de Paris – processus accentué par le plan Université 2000, qui multiplia les universités dans les villes moyennes.

L’appellation « Sorbonne » revendiquée par trois ­regroupements

Dans un vaste coup d’accordéon, les politiques publiques ont récemment organisé une recomposition en sens inverse, par accrétion d’établissements en grands ensembles régionaux, en concentrant les moyens de recherche dans les métropoles régionales. La région parisienne, pourtant, présente des spécificités que la structuration en « territoires  » ne suffit pas à épuiser ; près du tiers de l’enseignement supérieur et de la recherche français y est concentré, héritage d’une longue politique centralisatrice.

Paris-Saclay dispose d’atouts in­contestables et devrait devenir une université de tout premier plan, portée par un continuum entre science pure et ingénierie et par un campus moderne desservi par le futur métro du Grand Paris. Il suffit pour cela que les divergences de vues entre écoles ultra-sélectives et universités soient un jour aplanies.

Dans le centre de Paris, en revanche, la politique de regroupement laisse sceptiques les non-initiés comme les universitaires quant à la logique de simplification ; que l’on songe à l’appellation « Sorbonne » revendiquée par trois ­regroupements. Sorbonne-Universités, autour de Paris-IV et ­Paris-VI, rétablit le noyau dur d’une Sorbonne historique dans son bastion du Quartier latin. Sorbonne-Paris Cité agglutine quatre universités et d’autres établissements dont Sciences Po. Paris Sciences et ­Lettres joue l’élitisme en regroupant des établissements fortement sélectifs comme l’Ecole normale supérieure, sans universités.

Séisme du mois de mai

Jusqu’à peu, les plus optimistes pensaient que cette complexification supplémentaire ne serait que transitoire, ces nouvelles structures étant appelées à supplanter à terme l’identité des établissements qui les composent.

Jusqu’au séisme du mois de mai. Faisant le constat d’une béance entre la réalité et les effets escomptés, le jury des Investissements d’avenir n’a ­pérennisé les financements d’aucun regroupement francilien et a mis fin à l’un d’entre eux. En avril, un rapport de France Stratégie avait établi le même constat et conclu à un manque d’enthousiasme de la communauté universitaire à procéder à ces restructurations, avec ce diagnostic sévère : « On ne peut pas faire boire un âne qui n’a pas soif. »

En sciences « dures », il existe pourtant une reconfiguration qui a les ­faveurs d’une part croissante de la communauté universitaire : réunifier le secteur scientifique des universités de Paris centre pour constituer, au sein d’une unique université pluridisciplinaire, un pôle conjuguant une ­recherche au plus au niveau international et un enseignement exigeant et démocratisé. Du reste, des liens très profonds unissent déjà les établissements parisiens : laboratoires sous ­tutelle jointe, formations cohabilitées en master et doctorat, innombrables collaborations de recherche…

Lourdeurs administratives

Que l’on songe à la simplification des choix d’orientation, à la possibilité de multiplier les filières pour s’adapter au niveau très hétérogène à l’entrée et aux aspirations différentes à la sortie, à la multiplication des possibilités de proposer des enseignements adaptés aux divers rythmes étudiants (étudiants travailleurs, formation tout au long de la vie…). Côté recherche, cette unification donnerait aux chercheurs une liberté de circulation entre les laboratoires, une liberté de collaboration, les moyens de développer de grands instruments, un campus spatial… et un allégement des lourdeurs administratives.

N’est-il pas temps de pousser véritablement la logique des regroupements qui, pour être porteurs de sens, supposent parfois des redécoupages disciplinaires plutôt que des fusions arbitraires ? Si, au contraire, trois universités mastodontes étaient créées, morcelant cette communauté, comment préserver ce potentiel scientifique ? Envisage-t-on réellement d’ajouter une nouvelle strate administrative dans chaque discipline, destinée à ­faciliter la coopération entre superstructures ?

Las ! Prenons un peu de recul et, sans sous-estimer l’ampleur de la ­tâche, constatons l’évidence : pour préserver Paris comme capitale mondiale au niveau scientifique, il faut réunifier son potentiel scientifique universitaire. Pour s’en convaincre, procédons à rebours et imaginons qu’il n’existe qu’une seule université scientifique dans Paris proposant des formations exigeantes, adossée à une recherche reconnue mondialement, bien insérée dans le tissu économique ; qui soutiendrait alors que c’est une bonne idée de la démanteler pour en répartir les fragments dans différents regroupements ?

Par Bruno Andreotti, Etienne Parizot et Frédéric van Wijland (Professeurs de physique à l’université Paris-Diderot)