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Ghettos scolaires : les chefs d’établissements veulent réagir - Lucie Delaporte, Mediapart, 28 août 2013
mercredi 28 août 2013
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Le principal syndicat des chefs d’établissement, le SNPDEN, estime qu’il n’y aura pas de « refondation de l’école », si les pouvoirs publics ne s’attaquent pas aux phénomènes de ségrégation scolaire qui gangrènent le système. Un problème ignoré par la loi sur l’école votée avant l’été.
Ces dernières années, la rentrée scolaire du point de vue des chefs d’établissement a souvent ressemblé à une litanie de récriminations sur les difficultés matérielles posées par le manque de personnels. Avec cette question si récurrente qu’on s’y était presque habitué après des années de suppressions de postes : y aura-t-il un enseignant devant chaque classe ?
Cette année, les « efforts considérables de recrutement » engagés par le gouvernement ont permis, selon le SNPDEN, principale organisation syndicale des chefs d’établissement, de lever partiellement cette hypothèque, et pourtant… Tout ou presque reste encore à faire pour véritablement « refonder l’école », a voulu rappeler lundi cette organisation.
Alors que Vincent Peillon vient d’annoncer la publication d’une charte de la laïcité qui sera affichée dans les établissements mi-septembre, Philippe Tournier, le président du SNPDEN, a tenu à souligner que, s’il approuvait le principe d’un tel texte, il devait aussi s’inscrire dans une politique plus générale de lutte contre les phénomènes de ghettoïsation scolaire. Un angle mort, selon lui, de la « loi de refondation » votée avant l’été.
« La charte dit par exemple que la laïcité à l’école implique le rejet de toutes les violences et de toutes les discriminations. C’est très bien mais les élèves ne sont pas stupides. Ils savent que ce n’est pas comme ça que cela fonctionne à l’école », a-t-il expliqué. « L’école ne peut être crédible que si elle ne fait pas le contraire de ceux à quoi elle exhorte les élèves. Quand dans votre collège tout le monde est de la même origine que vous, il est normal de se poser des questions. Il ne faut pas négliger le fait que cela rend une partie de la jeunesse amère. »
Pour Philippe Tournier, il devient donc urgent d’ouvrir le chantier de la mixité sociale et scolaire : « Cela ne sert à rien de recruter, de bien former des enseignants, si ensuite on les envoie dans une école totalement inégalitaire », assure-t-il. Pour lui, s’attaquer à ces sujets aurait dû être « un préalable à la refondation ».
L’école en France est toujours moins mixte que le quartier où elle se trouve, a-t-il rappelé, en référence notamment aux travaux des sociologues Agnès Van Zanten, Georges Felouzis et Christian Maroy. Comme ces auteurs le montrent bien dans Les marchés scolaires, sociologie d’une politique publique d’éducation, ouvrage qui vient de paraître aux PUF, l’école britannique, par exemple, qui pourtant n’a pas la même obsession – dans le discours – sur l’égalité que la France, a paradoxalement de meilleurs ou moins mauvais résultats sur ce plan de la mixité scolaire.
« Nous, nous avons tendance à penser que parce que nous avons inscrit “ÉGALITÉ” sur nos frontons, cela suffit à faire une école juste », a ironisé le président du SNPDEN. « Dans la pratique, l’État est sur ces questions aux abonnés absents. Cela ne sert à rien ensuite de venir pleurnicher sur le communautarisme », a-t-il par la suite indiqué à Mediapart, « car ce que nous constatons ce sont des établissements où la situation s’est tellement dégradée qu’il sera difficile de revenir en arrière. »
Pour Philippe Tournier, si cette question est le plus souvent contournée, c’est que « tout le monde est très mal à l’aise avec ça ». Parler de discrimination à l’école, par exemple, ou de « polarisation en fonction de l’origine », reste en pratique toujours très délicat (voir notre enquête).
Lutter contre les phénomènes de ghettoïsation scolaire n’est « techniquement pas simple », reconnaît-il volontiers. Si l’assouplissement de la carte scolaire en 2007 a aggravé la situation des établissements les plus fragiles, (voir le récent rapport de l’inspection générale à ce sujet), il assure ne pas souhaiter un retour à la carte scolaire antérieure puisque elle reproduit souvent la ségrégation urbaine et qu’elle était du reste contournée par les publics les plus au fait du fonctionnement du système scolaire.
« Nous travaillons à des scenarii pour progresser vers plus de mixité, que nous présenterons d’ici la fin de l’année. Comme l’État finance son propre contournement, par le biais de l’enseignement privé, il faut que le contrat passé avec ces établissements soit subordonné à des obligations en terme de mixité sociale et scolaire. » Le fonctionnement du logiciel, le logiciel national d’affectation par internet, devrait, selon lui, être totalement revu car « il a tendance à aggraver ces phénomènes de polarisation plutôt qu’à les réduire, parce qu’il accentue la polarisation par niveaux scolaires alors que toutes les études montrent que c’est néfaste de regrouper ensemble les meilleurs élèves ».
Vincent Peillon a annoncé que l’éducation prioritaire était bien le prochain chantier de sa « refondation » de l’école (lire ici l’entretien qu’il accordait à Mediapart). Philippe Tournier espère donc une profonde remise à plat de ces politiques, car « déverser des moyens supplémentaires dans des établissements totalement ghettoïsés ne permet pas d’avancer d’un pouce ».