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Comme jadis les « indulgences » de l’Eglise, des « doctorats light » s’achèteront-ils ? - Henri Audier, Blog Educpros, 30 mars 2015

jeudi 16 avril 2015, par Pr. Shadoko

Si vous avez raté les premiers épisodes de notre nouveau feuilleton "Les métamorphoses du doctorat dans le Grand Royaume de l’excellence", Henri Audier vous en fait un résumé sur son blog.

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En mai 2014, sur ce blog, nous écrivions : « Si les « regroupements » [COMUE] contribuent à rapprocher universités et écoles, il doit être clair que les universités sont seules à pouvoir délivrer les grades et diplômes universitaires et que les écoles délivrent leurs propres diplômes, sauf en cas de co-habilitation explicite. De même, il n’est pas acceptable que des pressions d’écoles s’exercent auprès des universités pour que soient institués des « doctorats light » pour leurs anciens élèves en quête de reconnaissance internationale, ce qui n’a aucun rapport avec la nécessité de voir plus d’élèves des écoles faire des (vraies) thèses. »

L’analyse des vrais doctorants de l’Institut d’études politique de Paris

Ces pressions sont d’abord le fait d’un certain nombre de professions ou d’écoles (l’ENA par exemple) qui se rendent compte que la référence au niveau européen au « top-niveau » est le doctorat. Il s’agit aussi de professions de la haute administration ou du secteur privé souhaitant valoriser leur CV, afin de gagner plus. La situation est remarquablement décrite par un groupe de doctorants dans l’Obs (23/02/2015). « L’Institut d’études politique de Paris (IEP), suivant l’université Paris-Dauphine, propose la mise en place d’un nouveau diplôme intitulé « doctorat professionnel ». De quoi s’agit-il ? Frais d’inscription très élevés, deux ans d’encadrement seulement [tout en continuant son activité], à destination de personnels du privé ou de la haute fonction publique disposant d’expérience, pour la délivrance d’un titre de « docteur professionnel ». Problème ? Il n’est ni doctoral, ni professionnel, et fait peser un grand nombre de menaces en termes d’intégrité, de qualité de la recherche, et de qualification de détenteurs de diplôme (…) Nous sommes ici plus proches d’une grande braderie que d’un objectif de qualité. Le doctorat n’est pas un master 3, mais un diplôme de formation pour diverses carrières, dont universitaires. (…) L’intitulé de ce diplôme dévalorise l’ensemble des doctorats. Il s’agit d’une nomenclature qui engendrera la confusion entre des diplômes, on l’a vu, très différents » estime l’article. Celui-ci conclut sur le thème de « l’achat de diplôme par des grands cadres » : « On peut résumer ce doctorat professionnel à un achat pur et simple de diplôme par des grands cadres, qui désirent repousser leur plafond de verre ou s’afficher » docteur » – notamment à l’étranger, ou le terme peut être très valorisé – avec le moins d’efforts possibles, en jouant sur la quasi-contrefaçon en laquelle consiste le terme de » doctorat » pour ce travail. »

Tarif d’inscription : 29 000 euros

Le Monde (25/03/2015) confirme que les corporatismes étroits (mais influents) précités convergent avec l’intérêt financier d’établissements. « Proposé à des consultants ou à des cadres dirigeants, ce diplôme – notamment développé à l’étranger par des universités ou des écoles privées sous le nom « d’executive doctorate in business administration (EDBA) » – consiste à effectuer une recherche appliquée à son contexte professionnel après avoir suivi des cours de méthodologie, et tout en poursuivant son activité. » Mais le secteur public n’est pas en reste : « A Dauphine, la neuvième promotion d’EBDA (18 places à Paris) est en cours. Coût : 29 000 euros. » La dèche des crédits, combinée à la pression des écoles dans les COMUE, fait craindre le pire. Même si le CS de Paris 1 affirme vouloir garder aux écoles doctorales la maîtrise de la qualité du recrutement, du mode d’évaluation ou de la composition des jurys de soutenance, et ne délivrer que de vrais « doctorats », Paris-I s’est engagée dans des conventions avec le notariat et l’INP (Institut national du patrimoine). » Quand on sait comment les notaires ont promené Macron, le pire est à craindre.

La Commission permanente du Conseil national des universités (CP-CNU)

Après avoir confirmé que « depuis quelques années se multiplient des diplômes d’université d’un nouveau genre, présentés comme « doctorats » sous des dénominations diverses », la CP-CNU estime « qu’en l’absence de cadre national, toutes les conditions sont réunies pour que les modalités d’acquisition et d’évaluation des connaissances lors de ces « doctorats professionnels » soient largement en-deçà des exigences scientifiques de la thèse de doctorat telle qu’elle existe aujourd’hui. Enfin, ces doctorats sont une source très lucrative dans la mesure où ils sont proposés à des tarifs d’inscription particulièrement élevés, ce qui crée d’une part une discrimination évidente à l’entrée, et risque d’autre part d’inciter les établissements à multiplier les offres de « doctorat » au rabais scientifique, dans le but de répondre à des contraintes financières croissantes. Ces diplômes d’université n’ont donc rien à voir avec la thèse scientifique telle qu’elle est notamment aujourd’hui exigée pour le recrutement sur des postes d’enseignant-chercheur à l’université. »

Un projet d’arrêté

La situation actuelle est mouvante, comme en témoigne l’abandon (provisoire ?) par l’IEP de son projet initial, après les réactions. Mais le projet d’arrêté sur le doctorat qui circule est loin d’effacer nos craintes, même s’il y a quelques tentatives de limiter les dégâts. Ainsi, dès son début, il élargit considérablement le cadre actuel : « Le diplôme de doctorat peut s’obtenir dans le cadre de la formation initiale et la formation tout au long de la vie. Il peut notamment s’obtenir par la voie de l’apprentissage ou par la voie de la validation des acquis de l’expérience. » Par la suite, comme s’il recherchait un effet de provocation, les termes de « professionnalisant » et d’innovation sont martelés. Et s’il est vrai qu’il donne un large pouvoir de contrôle aux Ecoles doctorales, c’est dans un cadre où quiconque peut s’associer à elles pour un doctorat. Nous analyserons ce projet d’arrêté dans un prochain article.