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Pour que ParcourSup ne soit pas seulement un « cas d’école » de la science politique - Blog "Les invités de Médiapart", 3 mai 2018
jeudi 3 mai 2018
Comment peut-on être contre la Loi ORE et sous quelle condition, sans se donner les moyens de la combattre ? C’est la question que se posent des enseignants en science politique. Ils ont imaginé « de faire cela à la manière d’une petite leçon de science politique où, pour une fois, les étudiants livrent de nombreux enseignements à leurs enseignants ».
L’affaire « ParcourSup » pourrait être du pain bénit pour les politistes. L’imposition de cet outil de régulation des entrées à l’université est l’un de ces objets « en or » qui mobilise nombre de sous-disciplines de la science politique : celles qui étudient le fonctionnement de la démocratie représentative, les transformations des politiques publiques, les instruments qui gouvernent et dépossèdent les agents d’exécution, les évolutions de l’ordre international académique soumis à des logiques de marchandisation et, bien sûr, les raisons d’agir d’une communauté, quand se concrétise le passage de la colère à l’action collective.
La Loi ORE, et sa pièce maîtresse ParcourSup, sont à l’image du déclin et des écueils de la démocratie représentative en France. Une fois de plus, les professionnel·le·s de la représentation ont cru bon de faire sans les usagers ni les professionnel·le·s du service public de l’enseignement. L’idée, tant répandue dans les agences de communication publique, qu’il fallait frapper vite et fort au travers d’une loi « courageuse », avant que la contestation et, surtout, la « résistance au changement » n’adviennent, a été privilégiée au détriment de procédés plus participatifs, plus respectueux des compétences et des connaissances des personnels concernés.
Cette loi qui se paie de mots valises s’est assise sur toute consultation sérieuse au sein d’un corps de spécialistes dont, justement, les domaines de réflexion et d’expertise portent sur la pédagogie et les défis de la démocratisation scolaire. Elle a, de surcroît, été mise en œuvre plusieurs mois avant même d’avoir été discutée au Parlement, incarnant jusqu’à la caricature la logique exécutive d’une Vème République centrée sur le pilotage technocratique, la dévalorisation du débat parlementaire, et la faiblesse structurelle des contre-pouvoirs (cf. l’avis très prudent de la CNIL quant à l’usage des données personnelles dans les fichiers ParcourSup et le choix des critères de sélection). Cette inversion de l’ordre démocratique, pour ne pas dire ce déni du politique, n’a semble-t-il pas choqué les spécialistes patentés du renouvellement démocratique, celles et ceux en tout cas qui brandissaient cette revendication haut et fort au sein du nouveau parti En Marche. La Loi ORE, qui fait bien peu de cas de ce qu’est l’Etat de droit, est un aveu d’immaturité et d’inconséquence politiques des gouvernants, dans un contexte où les critiques et la défiance à l’encontre du personnel politique et des hauts fonctionnaires ont atteint un niveau inouï.
Constatant ce passage en force et le caractère inique de la réforme, des étudiant·e·s ont décidé de manifester leur opposition, et d’alerter sur les nombreux dangers de ParcourSup. Peu à peu, à force d’imagination politique, ils et elles ont construit une contre-expertise, des modes d’action et d’interpellation rebelles, et se sont élevé·e·s contre un gouvernement sourd face à l’expression de leur colère, piétinant leur indignation et maltraitant leur mouvement à coups d’interventions policières. C’était mal connaître les universités françaises que de croire possible un tel passage en force et d’espérer que, face à la marche forcée gouvernementale, l’apathie l’emporterait, quand on sait que les étudiant·e·s sont parmi les citoyen·ne·s les plus sensibles aux atteintes à l’égalité dans notre pays. Le sentiment de colère avait donc peu de chance de ne pas se transformer en protestation et en mobilisation, au sein d’un univers doté d’intellectuel·le·s critiques et de savoirs en sciences sociales et politiques dont l’un des horizons est de mettre au jour les ruses de la manipulation politique.
Nous avons pu constater combien nos étudiant·e·s n’ont pas seulement assisté aux cours d’une oreille distraite mais se les sont appropriés et leur ont insufflé une force mobilisatrice. Face à une stratégie gouvernementale et présidentielle de mise au pas, ils et elles ont su mobiliser des ressources particulièrement efficaces dans la conduite de l’action collective et dans l’accès aux médias, à Paris, Rennes, Lille, Bordeaux, Grenoble ou Montpellier. Ils et elles ont pris au sérieux et au mot les enseignements sur les impasses de la démocratie représentative, les écueils du new public management, la gestion politique de l’ordre public, les inégalités sociales et scolaires auxquelles l’Etat est si souvent aveugle, quand il ne participe pas à leur aggravation. Ils et elles ont peu à peu pris possession de l’espace public et braqué sur les gouvernants en place les arguments que les sciences sociales mettent à disposition de qui entend résister à l’apathie citoyenne.
Les étudiant·e·s se sont ainsi emparé des enseignements de sociologie de l’action publique qui mettent en garde contre la fascination pour l’innovation instrumentale. Ils et elles ont mis en pratique les analyses sur l’« Etat en action », qui alertent sur l’apparente neutralité technique des instruments et leur prétendue indépendance vis-à-vis des stratégies politiques. Les étudiant·e·s ont également retourné les mises en scandale de problèmes politiquement et médiatiquement construits – les affres d’APB et du « tirage au sort », le taux d’échec en licence – pour montrer avec quel cynisme le gouvernement manie les statistiques. Ils et elles ont vu clair dans les choix de politique publique imposés par la ministre sous couvert de lutte contre l’injustice, et se sont indigné·e·s qu’un gouvernement voie dans le manque criant de moyens humains et matériels de l’enseignement supérieur une opportunité politique de généralisation de la sélection comme modalité de régulation des flux étudiants. Les étudiant·e·s ont également fait leurs les enseignements sur le « sentiment de compétence politique » et l’« auto-déshabilitation », qui montrent déjà que ParcourSup contraindra les lycéens, et surtout les lycéennes, à l’autocensure. Comment ne pas démasquer le renforcement des inégalités sociales à l’œuvre derrière les exigences d’un dispositif qui ne veut pas entendre que les lycéen·ne·s ne sont pas égaux devant la rédaction d’une lettre de motivation qui valorise le style, le soutien parental à l’écriture, et des activités extra-scolaires socialement discriminantes ?
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