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Autonomie, les mirages des réformes - Jean- Philippe Heurtin, Pascale Laborier et Frédéric Sawicki, Le Monde.fr , 9 juin 2014

mardi 10 juin 2014, par Hélène

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Depuis 2005, l’enseignement supérieur et la recherche ont été en butte à une série de réformes imposées sans concertation – les assises de l’enseignement supérieur organisées en 2013 en ont été un simulacre, tant la voix de ceux-là mêmes qui font la recherche et l’enseignement a été sciemment étouffée. La conséquence des ces réformes a été, comme à la poste, à l’hôpital, dans les services sociaux ou la justice une dégradation de la qualité de service et une démoralisation du personnel. Dans l’université, ces réformes se sont faites au nom de l’autonomie et de l’excellence. Avec la loi du 10 août 2007 (LRU), l’autonomie promettait « plus de libertés et plus de responsabilités » pour les universités, et l’excellence, leur reconnaissance dans les classements internationaux.

Mais l’autonomie et l’excellence se sont révélées les noms d’une destruction des fondements de l’enseignement supérieur et de la recherche modernes : l’autonomie intellectuelle et pédagogique et la liberté de chercher. Les universités et les organismes de recherche sont victimes d’une politique budgétaire si restrictive qu’elle les condamne à tailler dans leurs budgets, tout en apparaissant désormais responsables de leur sort ! Il faut dénoncer ici l’immense hypocrisie qu’il y a à prôner la nécessaire réduction de l’échec à l’université, et dans le même mouvement à réduire les moyens pour ce faire, mais aussi l’immense hypocrisie à enjoindre la communauté universitaire à se mesurer à la compétition internationale, quand dans le même mouvement tous les crédits ne cessent de diminuer. Le double bind, les injonctions contraires, est devenu la politique du MESR. Le résultat de cette politique est désormais tangible : les universités, quand elles ne sont pas en faillite, sont obligées de tailler dans leurs dépenses. L’offre de formation, en particulier les coûteux TD, est réduite, les budgets de recherche sont comprimés et les postes gelés. « Plus de libertés » et « plus de responsabilités », mais avec moins de moyens signifie des enseignants-chercheurs sous-payés, surchargés par les heures complémentaires et obligés de surcroît d’assumer les charges administratives que ne peuvent plus prendre en charge des personnels de soutien en nombre sans cesse décroissant.

Cela signifie aussi le recours de plus en plus fréquent à des vacataires exploités et précarisés. Le résultat de cette politique est encore la prégnance de la souffrance au travail, à propos de laquelle les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHRCT) ne cessent de nous alerter. Comment, dans un tel contexte, réduire le taux d’échec en premier cycle et consolider l’avenir professionnel des étudiants que nous formons, dans un service public, gratuit et de qualité ? Cette politique destructrice a été maquillée par le Grand Emprunt, et la « politique d’excellence » avec son cortège de Labex, d’Equipex, d’Idex, etc. Or, cette soi-disant politique d’excellence n’a eu pour effet que de délaisser la recherche fondamentale, dans tous les domaines de la science, pour les pauvres attendus des recherches d’immédiates et « sociétales » applications, et dont l’effarante médiocrité s’affiche dans le programme de « l’horizon 2020 », aussitôt dupliqué dans les appels à projet de l’Agence nationale de la recherche, puis localement dans les universités. Malheur désormais à ceux qui ne s’inscrivent dans aucun « pôle d’excellence » ou dont les recherches n’entrent pas dans les priorités ainsi étroitement définies.

Depuis la LRU2 (juillet 2013), l’autonomie est placée sous la contrainte des regroupements, et, délaissant la nécessaire refondation de l’enseignement supérieur et de la recherche, on occupe les énergies avec des acronymes divers : Pôle de recherche et d’enseignement supérieur (PRES) hier, incontournables Communauté d’universités et établissements (COMUE) aujourd’hui. Là encore, c’est au nom de la compétition et de la visibilité internationales que l’on cherche, dans la précipitation et de manière autoritaire, à regrouper les établissements quelle que soit leur nature et leurs objectifs. Ces regroupements qui seront des mastodontes de plus de 55 000 étudiants pour certains d’entre eux, dont on ne voit plus le sens pédagogique, ni la possibilité de les piloter. Que cela soit le plus gros possible, et le classement de Shanghai y reconnaîtra les siens. Une autonomie de l’état de nature en quelque sorte… Et cela d’autant plus que les fameux financements d’excellence abonderont seulement les plus gros.

Mais l’addition de nos universités est-elle de nature à améliorer la qualité de nos formations, la réussite universitaire de nos étudiants, la qualité de nos recherches ? Où ce modèle du « big is beautiful » a-t-il donc fait ses preuves ? Certainement pas aux Etats-Unis, ni en Allemagne, dont les universités les plus convoitées ont des contingents d’étudiants bien inférieurs à ceux d’une seule de nos actuelles universités. Comment ne pas voir aussi qu’elles ont un mode d’accès et de financement qui les rendent incommensurables avec notre système d’enseignement ? Il n’est pas sûr que même les réformateurs croient véritablement à cette chanson de la visibilité et du ranking international de nos établissements d’enseignement supérieur. Ils ont plutôt à l’esprit la « gouvernance forte » qui a été la priorité de la loi LRU. Le renforcement de la capacité de pilotage des universités a favorisé une concentration autocratique du pouvoir dans les mains d’équipes restreintes autour des présidents, en lieu et place de directions collégiales. Cette concentration du pouvoir sera encore renforcée par les futures COMUE. La « gouvernance forte » signifie ensemble la fin des libertés universitaires et la contradiction même de l’autonomie. De fait, on a dit et répété, jusqu’à l’écœurement l’expression d’« autonomie des universités », alors que ce qui a été détruit, c’est l’autonomie – c’est-à-dire la liberté – des universitaires. Cette autonomie, il est aujourd’hui plus que temps de la repenser, et plus que nécessaire de la réinventer.

Jean-Philippe Heurtin (Professeur de sciences politiques à l’Université de Strasbourg)

Pascale Laborier (Professeur de sciences politiques à l’Université de Nanterre)

Frédéric Sawicki (Professeur de sciences politique à l’Université de Paris I)