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Quel avenir pour la recherche fondamentale ? - Alain Cozzone, Sciences², Libération, 9 février 2015
mardi 10 février 2015, par
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Depuis plusieurs années, la recherche fondamentale est malmenée. Si cette tendance persiste, elle conduira inévitablement tôt ou tard, pour un pays, à un suicide à la fois intellectuel et économique.
Par définition, la recherche fondamentale consiste « en des travaux expérimentaux ou théoriques entrepris principalement en vue d’acquérir de nouvelles connaissances sur les fondements des phénomènes et des faits observables, sans envisager une application ou une utilisation particulière » (manuel de Frascati).
D’aucuns considèrent que ce type de recherche n’est pas rentable et coûte trop cher, dans un contexte économique certes difficile mais où les arguments utilitaristes et le retour sur investissement deviennent désormais prépondérants.
C’est oublier, volontairement ou pas, que la recherche fondamentale constitue, en fait, la base de tout progrès et la source de découvertes réellement innovantes. Elle n’est motivée, au départ, que par la curiosité intellectuelle pure et le désir d’acquérir, dans l’absolu, de nouvelles connaissances et de les transmettre. Elle représente « le socle sur lequel tout le reste est possible » (Serge Haroche, Prix Nobel 2012), et vise à comprendre la nature du monde qui nous entoure, y compris dans des disciplines qui, selon certains, n’auraient pas suffisamment d’utilité sociale. Ainsi, elle échappe à toute planification et est, par essence, imprévisible en termes de résultats.
On l’oppose souvent à la recherche appliquée ou finalisée qui est dirigée, pour sa part, vers un objectif pratique déterminé, choisi à l’avance. Le but est alors de réaliser des travaux qui tendent, par exemple, à améliorer la capacité ou la qualité d’une production ou encore à mettre au point de nouveaux procédés ou services considérés comme utiles en fonction des attentes du marché.
De ce fait, la recherche fondamentale qui n’a pas de perspective économique affichée, est effectuée en majeure partie dans des laboratoires publics, notamment dans le monde académique, alors que la recherche appliquée mobilise surtout le monde industriel, même si ces deux mondes sont de moins en moins cloisonnés l’un par rapport à l’autre.
Il est clair qu’il ne peut y avoir de recherche appliquée sans recherche fondamentale. Toute forme de programmation ne peut s’inspirer que de l’existant, c’est-à-dire des concepts et résultats précédemment établis par la recherche fondamentale. Et l’on ne peut vraiment parler de nouveauté quand il s’agit d’utiliser ce qui est déjà connu.
En substance, il y a la recherche et les applications de la recherche, les deux types d’activité étant nécessaires et complémentaires, mais il est essentiel de respecter un équilibre et d’éviter que l’une ne se développe au détriment de l’autre.
Ceci étant, il est notoire que la transition d’une observation fondamentale vers une application pratique est souvent un processus totalement inattendu. Plus encore, l’obtention elle-même d’un résultat important est fréquemment le fruit de conditions parfaitement imprévues, quelquefois carrément insolites. C’est la sérendipité, qui se définit comme le fait de découvrir accidentellement quelque chose que l’on ne cherchait pas particulièrement, ou de trouver quelque chose qui sert à tout autre chose que ce que l’on supposait a priori. En effet, avec Pasteur, « savoir s’étonner à propos est le premier mouvement de l’esprit vers la découverte, sachant que le hasard ne favorise que les esprits préparés ».
L’exploitation créative de l’imprévu s’adresse à de multiples domaines incluant la biologie et la médecine, la chimie et la physique, ainsi que l’astronomie, l’archéologie, la géographie, la sociologie et même la gastronomie.
La sérendipité est à l’origine d’un nombre considérable de découvertes scientifiques et d’inventions techniques. Parmi les exemples classiques, on peut rappeler le cas des rayons-X découverts par Wilhelm Röntgen. Alors qu’il étudie le rayonnement cathodique, il constate qu’un écran recouvert de platinocyanure de baryum placé fortuitement en face d’un tube de Crookes devient fluorescent lors de la décharge, même lorsqu’il est éloigné à un distance inatteignable par les rayons cathodiques. La persistance de la fluorescence est due, en fait, à d’autres rayons, très pénétrants, capables de traverser la matière : les rayons-X. Autre exemple, le Viagra, de notoriété publique, découvert par deux chercheurs de chez Pfizer travaillant sur un médicament destiné, en réalité, à traiter l’angine de poitrine. De même, le cas du Téflon découvert accidentellement par un chimiste de Dupont, Roy Plunkett, en essayant de produire du fréon, utilisé dans les réfrigérateurs, par réaction entre l’acide chlorhydrique et le tétrafluoroéthylène. En refroidissant ce dernier en vue de le liquéfier, il provoque involontairement la formation d’un flocon blanc : le Téflon. Pour sa part, Wilson Greatbatch à l’Université de Buffalo, cherchant à enregistrer les pulsations cardiaques d’animaux de ferme, connecte par erreur le transistor d’un autre circuit que celui sur lequel il travaille et observe étonné que l’ensemble stimule le cœur des animaux : le stimulateur cardiaque est né. De leur côté, en vaporisant du graphite, les américains Robert Curl et Richard Smalley obtiennent une nouvelle forme de carbone comprenant une soixantaine d’atomes organisés en une jolie structure ressemblant à un ballon de football (bucky ball) de type fullerène, ouvrant la voie, ni plus ni moins, aux nanotechnologies.
La liste d’autres exemples serait encore très longue en citant notamment l’Aspartam destiné à l’origine à être un médicament anti-ulcère, le Velcro issu de l’observation des fruits de bardane s’accrochant aux poils de chien, le Nylon , le Botox, les polymères conducteurs, l’imprimante à jet d’encre, le micro-ondes, la radioactivité, etc. Tous possèdent le même dénominateur commun : un concours imprévu de circonstances transformé en une invention.
Une notion importante en recherche est la notion de temps. Les gens pressés devraient bien comprendre que la recherche scientifique est une démarche à moyen et long termes qui doit laisser du temps aux chercheurs. La propension actuelle des financements par projets, sur des thèmes pré-établis, pour des durées limitées, qui s’accompagne d’une obligation mercantile de résultats utilisables immédiatement est totalement incompatible avec l’esprit de la recherche fondamentale qui est motivée avant tout par une curiosité simple et désintéressée. La production du savoir possède sa dynamique propre, et une science de qualité ne signifie pas une science produite hâtivement dans la crainte de normes quantitatives.
Non seulement l’obtention de résultats originaux prend du temps, mais aussi le passage aux applications qui en découlent. Ainsi, la pénicilline découverte accidentellement en 1928 par Alexander Fleming sur des cultures bactériennes infectées par le champignon Penicillium, puis momentanément oubliée, a attendu 1942 pour être reprise en considération et ouvrir l’ère des antibiotiques en étant produite industriellement à grande échelle par Pfizer. De même,
l’adhésif poisseux obtenu par hasard en 1964 par Spencer Silver dans le laboratoire 3M, après divers aléas n’a été développé sous la forme de Post-it qu’au début des années quatre-vingts, avec le succès qu’on lui connait. Ce sont là deux exemples bien connus, parmi une multitude d’autres, qui montrent qu’il faut laisser du temps au temps en matière de recherche et d’applications.
Quelles pourront être dans le futur les retombées pratiques de la découverte récente du boson de Higgs au CERN, et dans combien de temps ? Nul ne le sait.
La recherche fondamentale est un état d’esprit, empreint de liberté et d’indépendance, d’audace et d’imagination, qui débouche sur de grandes percées et de réelles ruptures conceptuelles. Elle est le garant d’un système ouvert, source permanente de progrès dans la connaissance et la compréhension de l’homme, de la matière et du monde.
En France, l’Agence Nationale de la Recherche a affiché sa volonté de soutenir la recherche fondamentale, tout en maintenant un continuum logique avec la recherche technologique et le transfert aux entreprises. De même, au printemps dernier, lors de l’élaboration de la Stratégie Nationale de la Recherche, le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche a clairement souligné sa détermination à défendre la recherche fondamentale, tout en prenant en compte les besoins et les attentes des citoyens.
Souhaitons que ces bonnes résolutions ne se limitent pas à des vœux pieux et qu’elles soient concrètement suivies d’effets.
Alain Cozzone, biochimiste, Professeur Emérite à l’Université Claude Bernard (Lyon-1).