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Oui, l’excellence scientifique est mesurable - C. Gollier, Les échos, 20 février 2013
lundi 4 mars 2013
Les assises de la recherche voulues par le président de la République ont produit l’an dernier un rapport qui inquiétera tous les chercheurs de haut niveau qui ont décidé avec courage et souvent avec abnégation de faire carrière en France. Si la fuite des cerveaux y est brièvement évoquée, le rapport oublie que nos universités subissent une concurrence internationale féroce, en particulier envers nos meilleurs chercheurs. Le rapport n’a de cesse de dénigrer toutes les tentatives passées pour évaluer, reconnaître et récompenser l’excellence scientifique de nos chercheurs et de nos laboratoires. On peut par exemple y lire que « le jugement de ce qui excelle et de ce qui ne l’est pas est toujours discutable. […] L’excellence est […] indécidable et insaisissable. » C’est sans doute pourquoi le rapport recommande de supprimer les notes dans les évaluations de la recherche, et globalement tout système individuel ou collectif de récompense du mérite.
Cette intention égalitariste serait louable si l’excellence était effectivement « indécidable et insaisissable ». Mais elle ne l’est guère. La meilleure variable permettant de prédire la qualité d’une équipe de rugby prise au hasard est son classement lors de la saison précédente. De même, la volatilité du classement de Harvard dans les « rankings » internationaux étant encore plus faible que celle du Stade Toulousain dans le Top 14, le meilleur prédicteur du nombre d’articles publiés dans les revues internationales par une équipe scientifique est le nombre de ses publications des cinq années précédentes. Cette vérité statistique a de nombreuses conséquences sur la manière de gouverner la recherche. Le pays qui l’ignore est à terme éliminé de la course aux savoirs, moteur de sa croissance. Imaginons qu’un discours similaire soit tenu pour le rugby. Si le talent sportif y était indécidable et insaisissable, l’égalité des rémunérations et du recrutement devrait y être aussi la règle, du Top 14 aux divisions départementales. Il n’est pas certain que cela aiderait à l’émergence de talents nouveaux ou à nos chances de gagner le tournoi des VI Nations. Et même s’ils recevaient une compensation digne de leurs opportunités à l’étranger, il n’est pas sûr que Luke McAllister ou Tugan Sokhiev accepteraient de travailler à Toulouse s’ils n’avaient pas la possibilité de jouer avec des coéquipiers ou des musiciens de leur calibre.
Nier cette vérité, c’est condamner les bonnes équipes à partager les maigres soutiens à la recherche au prorata, après d’épuisantes rédactions de projets et de rapports que personne ne lit. Nier cette vérité, c’est aussi accepter de recruter à vie des jeunes docteurs qui n’ont pas encore démontré leur compétence, et qui n’auront d’autre obligation durant le reste de leur carrière que d’enseigner 128 heures de cours par an, la nation leur faisant irréversiblement confiance pour le reste de leur vie. Finalement, nier cette vérité, c’est refuser le droit de la nation à évaluer la bonne utilisation des moyens publics qu’elle met à la disposition de ses chercheurs.
Au contraire, il est urgent que l’Etat remotive son élite scientifique présente et à venir en engageant une politique volontariste d’évaluation de la production académique, en se lançant dans une ambitieuse gestion des ressources humaines, et en refinançant vigoureusement les universités en fonction de leurs résultats intelligemment quantifiés. La liberté académique et l’autonomie des universités se méritent et doivent se traduire par une responsabilisation accrue. La prétendue « indécidabilité » française de la qualité scientifique, contrecarrée par nos concurrents à l’étranger qui sont, eux, capables de repérer et d’attirer talents et prodiges, est le moyen le plus sûr de conduire la France vers la ruine de sa recherche, donc vers sa ruine tout court.
Christian Gollier est membre de l’école d’économie de Toulouse -TSE- (note de SLU)