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Maison de l’histoire de France : refuser la politique du coucou - Association des Usagers du Service Public des Archives Nationales
mardi 5 octobre 2010
Voir aussi la pétition contre ce projet lancée par l’intersyndicale des Archives nationales.
Le projet d’installation du Musée de l’histoire de France sur le site des Archives nationales (AN) a été annoncé, le 12 septembre 2010, lors de la visite à Lascaux de Nicolas Sarkozy. Environ un tiers des locaux parisiens des AN doivent être occupés par cette nouvelle structure.
Cette décision pose aux usagers des AN, chercheurs et généalogistes principalement, et aux citoyens une série de problèmes :
La Maison de l’histoire de France remet en cause le devenir des Archives nationales et le chantier actuel de rénovation lancé durant la présidence de Jacques Chirac ; projet en voie d’achèvement normalement d’ici deux ans. On ignore les kilomètres linéaires et les locaux précis qui seront consacrés à ce nouvel établissement (Soubise, Rohan, Les Grands dépôts ?). Mais, il est clair que le découpage actuel des fonds prévu par le projet Pierrefitte sera obsolète si cette « Maison » se réalise là : au moins une partie du minutier central devrait aller ailleurs, obligeant à repenser totalement le découpage des fonds. Le ministre de la culture et les responsables du nouveau projet (déclaration de Philippe Bélaval à France Inter le 17 septembre) l’ont dit de façon détournée : entre Paris, Pierrefitte et Fontainebleau, il y aura de la place pour accueillir les archives nouvelles des notaires : de prioritaire, le projet d’agrandissement de l’espace pour les Archives nationales deviendrait-il ainsi secondaire ?
Du projet de Pierrefitte ne va guère rester alors que deux choses concrètes qui en modifient totalement le sens :
1er Les bâtiments nouveaux vont être remplis de façon accélérée, grevant l’avenir ;
2e. Les lecteurs et le personnel des AN seront « éjectés » de Paris, envoyés en banlieue ou, pire pour la recherche, à Fontainebleau.
Or, tel n’est pas le sens du projet Pierrefitte. Celui-ci vise en effet, à l’inverse, à régler les questions de stockage pour plusieurs décennies. Le projet Pierrefitte a été vu au plus juste pour des raisons budgétaires et les Archives ont impérativement besoin des kilomètres linaires parisiens.
Le projet visait aussi à éviter d’envoyer la majorité des usagers dans un lieu (Fontainebleau) qui pénalise la recherche. C’était le sens de la mobilisation qui avait réuni des archivistes et des historiens dans l’Association « Une Cité pour les Archives nationales » qui avait obtenu le soutien des pouvoirs publics, notamment de l’ancien Président de la République de l’époque. Fontainebleau, en dépit des efforts du personnel, pénalise la recherche par le coût des transports, l’isolement intellectuel du centre, ses difficultés d’accès. Sa fréquentation est aujourd’hui ridiculement faible, bien moins de 10 personnes par jour en moyenne, son encadrement scientifique insuffisant, alors qu’il contient des archives essentielles du XXe siècle, le fonds dit "de Moscou" pour la période avant 1940 et pratiquement toutes les fonds des Archives nationales depuis 1958. C’est précisément en raison de ces multiples inconvénients que l’idée d’installer le Musée d’histoire de France au château de Fontainebleau n’a pas été retenue. Fontainebleau n’est pas assez bien pour les usagers potentiels du projet présidentiel, mais sera parfait pour les usagers des Archives nationales ! C’est au minimum mépriser la recherche, au pire la sacrifier consciemment. Enfin, peut-on admettre un tel non respect des engagements de l’État ? Un changement de ministre ou de conseiller ne devrait pas remettre pas en cause les projets du gouvernement précédent quand ceux-ci sont pleinement légitimes, et ont fait l’objet d’un large consensus citoyen : il y va de la continuité de l’État républicain.
La Maison de l’histoire de France est censée contribuer à développer la Mémoire Nationale. Sans entrer dans le débat citoyen sur la Mémoire et l’Identité nationale, observons que par ce choix de prendre la place d’une partie des Archives, le mort saisit le vif, ou si l’on préfère, l’histoire en construction est sacrifiée à ce qui serait la « Mémoire ». Cette décision peut-elle être isolée de son contexte, alors que le nombre de postes d’enseignants d’histoire est réduit aux concours et que dans tous les établissements de France, l’histoire est supprimée en terminale S… ? Et on ne peut éluder la question : pour quel type d’histoire ? D’une histoire « nationale », pour ne pas dire « nationaliste », qui risque de négliger des pans entiers des questions actuelles, et d’isoler un peu plus l’histoire française des questionnements internationaux. L’État ne choisit-il pas de dépenser des sommes folles pour développer la « mémoire » et encourager une histoire nationale aux dépens des recherches librement menées aux Archives nationales ? La France n’a jamais fait seule son histoire, et cette vision par en haut de l’Histoire exclut par avance l’histoire des obscurs et des Français réels : c’est l’histoire d’un État nostalgique de sa grandeur passée qui est au cœur de la « Maison de l’Histoire de France ».
La recherche et l’histoire ne sont pas les seuls domaines concernés. Faut-il le rappeler les Archives ne se réduisent pas à l’histoire mais relèvent aussi d’une fonction citoyenne (établissement de droits, généalogie, recherches personnelles, littéraires, familiales, preuve de la naturalisation etc.). Doit-on pour développer la Mémoire nationale sacrifier les droits des citoyens ?
Doit-on priver les archives de leur fonction éducative en les transformant en simple prestataire de service de cette « Maison » ? Le Musée de l’histoire de France intégré aux Archives (significativement oubliées dans l’énumération des neuf musées dans le rapport Hébert) va-t-il être supprimé ? La qualité des récentes expositions et leur succès public, le développement régulier des activités culturelles tournées vers un large public attestent du succès de ce dernier secteur. Les Archives étaient parvenues à créer un équilibre : elles privilégiaient la sauvegarde et la recherche sur la muséographie et la pédagogie, sans sacrifier ces dernières. Les activités culturelles et éducatives de l’actuel Musée d’histoire de France des Archives nationales – qui concernent des centaines de milliers de personnes par an – vont-elles disparaître au profit de cette nouvelle structure qui englobe neuf autres musées nationaux ? Ce point doit être éclairci.
La Maison de l’Histoire de France postule à une fonction qui peut conduire à régenter la recherche et la vulgarisation historique. Elle devrait selon sa lettre de mission (voir le rapport Hébert) créer un forum de l’histoire, organiser des expositions, attribuer de postes de chercheurs et de bourses, donner des crédits à la numérisation, à la publication de fonds rares, loger les sociétés savantes, etc.. « Un comité scientifique définira les axes de recherche et de diffusion encouragés par la Maison de l’Histoire de France ». C’est dire que la Maison de l’histoire de France veut exercer une influence sur la recherche, elle « encourage » concrètement des axes choisis selon des critères que l’on espère scientifique, mais qui correspondront au choix politiques qui ont présidé à son établissement (nation, identité…). Ne relèguera-t-on pas la majorité des chercheurs et des archives hors les murs, pour en faire rentrer une minorité choisie ?
Le projet de la Maison de l’histoire de France se proclame lui-même « ambitieux », ambition qui justifierait l’emprise du tiers des locaux des AN. Il est en effet prévu de créer en premier lieu un musée, avec une galerie chronologique, des salles de « grandes expositions temporaires » dont certaines devraient occuper plus de 1000 m2 et des petites expositions thématiques, « sans oublier des lieux pour débattre et travailler ». Sont également envisagés des « Ateliers, visites-conférences, promenades historiques, rencontres avec des acteurs de l’histoire et des chercheurs », des lieux pour accueillir les étudiants. Enfin, la Maison de l’Histoire de France doit disposer d’équipements lourds : salles de cinéma, lieux de débats, de présentation d’ouvrages ou de travaux, de colloques, de spectacles, de concerts, « elle disposera d’un ensemble de salles multimédia (auditorium et salles de projection) ». « Des avant-premières, des festivals s’y dérouleront. » Cette Maison devra être disposer d’un portail internet, être tête de réseau de l’ensemble des musées d’histoire en France. La cour de l’hôtel de Soubise commence à être pleine. Tout ceci suppose une immense bureaucratie et demandera le maximum de place au dépens des AN.
Et tout cela sur quels crédits ? Ceux des archives et de la recherche ? Le caractère d’établissement public peut permettre des transferts à la nouvelle entité. En fait ils l’exigent compte tenu des ambitions. Comment vont être financés – en dehors des ambitions pharaoniques développées ci-dessus – la construction et le fonctionnement quotidien de ce nouvel établissement ? C’est une question clé pour les Archives nationales. A qui va-t-on prendre l’argent ? Le projet coûterait 100 millions d’euros disait-on dans un premier temps, puis 80 et maintenant 60 millions d’euros. En ces temps de disette budgétaire, même si elle est limitée pour la Culture qui voit ses crédits progresser, où va-t-on les trouver ? Philippe Bélaval, dans l’émission la Fabrique de l’histoire, a contourné la question en expliquant que le budget serait moins lourd avec le site retenu pour trois raisons : il y a déjà des bâtiments construits ; un financement est prévu pour leur restauration ; enfin l’intérêt du projet serait de mutualiser les moyens, avec ceux des AN et des neufs Musées nationaux qui seront rattachés à la Maison de l’histoire de France dans un vaste établissement public. Si le projet Pierrefitte est « sanctuarisé » selon le ministère, le budget alloué aux Archives pour leur rénovation prévoyait la réfection du quadrilatère parisien. Ce Musée bénéficiera du tiers au moins des bâtiments remis à neuf avec le budget promis aux Archives. Et une partie des frais de fonctionnement du Musée pourra leur être attribué. On comprend mieux que les Archives ne soient pas totalement chassées de Paris. N’est-ce pas imposer la politique du coucou : prendre le nid, ses œufs et l’argent des bâtisseurs ? Le manque de transparence sur cet aspect du budget, comme sur l’emprise matérielle prise aux Archives, ne peuvent qu’alimenter les inquiétudes. Il faut les lever.
L’AUSPAN émet toutes réserves sur un projet de localisation de la Maison de l’Histoire de France sur le site parisien des Archives de France. Elle invite aussi toutes les parties intéressées, Association des archivistes, syndicats, associations de généalogistes, Cité des Archives notamment à se concerter pour échanger leurs informations et s’associe à la demande de suspension de ce projet, tant qu’il n’est pas repensé dans un esprit d’ouverture en prise avec la recherche historique.
PS : Pour accéder aux différents rapports.